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Publié le
Mercredi 14 Octobre 2015
Au cours des travaux menés sur le compte personnel d’activité, France Stratégie a sollicité ou reçu des contributions écrites d’experts d’horizons divers (partenaires sociaux, personnalités qualifiées, think tanks) visant à nourrir le débat.
Compte personnel d'activité

Tout travail doit créer du droit social

Quelles sont les mutations que nous devons prendre en compte en ce qui concerne notre modèle de protection sociale ?

Notre système de sécurité sociale a pris sa forme actuelle au sortir de la guerre. L’ambition d’alors, formalisée dans les travaux du CNR était celle d’un « Plan complet de Sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils seraient incapables de se les procurer par le travail ». Le but final à atteindre tel qu’inscrit dans l’ordonnance du 4 octobre 1945 est un système qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité.

Pendant 50 ans et encore aujourd‘hui, notre système a indiscutablement répondu aux missions assignées avec une extension continue de la protection d’es personnes couvertes contre les risques sociaux (universalité des prestations familiales, couverture maladie universelle…).

Cependant, ce système ignore la remise en cause de la norme de l’emploi autour de laquelle il a été conçu celle d’un travail salarié chez le même employeur durant toute la vie active. Qu’elles soient voulues ou subies, les nouvelles trajectoires professionnelles sont davantage marquées par des périodes de ruptures de transitions au caractère dynamique et incertain.

Le déploiement de la 3ème révolution industrielle, objet de la présente motion, s’opère dans un contexte démographique, sociologique, sociétal qui a lui-même profondément changé avec notamment l’évolution des modèles familiaux,  le travail des femmes l’augmentation de l’espérance de vie et le vieillissement de la population.

L’ensemble de ces mutations a fait émerger de nouveaux besoins qui ne sont insuffisamment voire pas du tout pris en compte par notre système qui est resté ancré sur des risques tels qu’on les identifiait au 20ème siècle.  La prise en charge des jeunes enfants, des ainés dépendants, l’accès et le maintien au logement sont aujourd’hui des préoccupations la majeures auxquelles la protection sociale ne répond pas assez voire pas du tout.

L’autre problématique récurrentes la forte contrainte financière qui pèse que notre système et qui interroge sans cesse sa viabilité. La quasi-totalité des réformes intervenues depuis la fin des années 70 l’a été essentiellement pour consolider financièrement les régimes de protection sociale. Ces réformes ont consisté principalement en des modifications paramétriques (retraites de base, complémentaire, action sur l’âge de départ, la durée d’assurance, prestations familiales avec action sur conditions de ressources) dont la logique atteint aujourd’hui clairement ses limites.

Quelle doit être la protection sociale dans ce monde en bouleversement ?

La CFTC doit retrouver l’ambition qui était la sienne lorsqu’elle s’est associée aux travaux du CNR à savoir un système de protection le plus complet possible contre la réalisation des risques inhérents aux parcours professionnels et personnels d’aujourd’hui. Un système véritablement universel qui couvre l’ensemble des citoyens actifs tel qu’il a été voulu par ses fondateurs.

En matière d’identification de nouveaux risques sociaux il s’agit d’identifier et de répondre à ce qui donne ou déduit la capacité des individus de se réaliser pleinement.

Au-delà des risques « classiques » notre système de protection sociale doit être tout aussi organisé et efficace en matière de dépendance et de logement. On peut même considérer comme le font les auteurs Gazier, Palier et Périvier[1] que ne pas avoir accès à la formation aujourd’hui peut être considéré comme un risque social. Pour ces auteurs, « la formation doit être au cœur du nouveau contrat social » en ce qu’elle est indispensable pour construire une trajectoire professionnelle dynamique et ascendante. Y accéder peut assurer à l’inverse le passage sans difficultés de phases de transition professionnelle subies. Elle peut même susciter des transitions choisies.

L’universalité de la couverture, c’était le sens du statut du travailleur qui concernait toutes les personnes actives et non les seuls salariés ? Qu’elle soit étudiante, salarié du secteur privé, fonctionnaire, entrepreneur, bénévole du secteur associatif ou en congé parental, la personne doit pouvoir sans aucune rupture bénéficier de droits sociaux.

Comme le défendait Alain Supiot[2], le droit à la protection sociale ne serait plus un droit propre au travail salarié mais droit commun de l’activité professionnelle.

La possibilité de passer de la position de salarié à celle d’indépendant, de clients à prestataires et inversement doit être la plus fluide possible et ouvrir dur l’acquisition et le tirage de droits sociaux. Les réponses doivent être par nature plus personnalisées attachées à la personne et à sa trajectoire de vie plutôt que strictement à son statut ou à son âge ; l’étude expérimentale menée pour la CFTC et citée dans la partie précédente démontre la faisabilité technique du suivi de telles transitions. Le numérique serait en capacité d’assurer la traçabilité et partant l’effectivité des droits.

Le compte personnel d’activité, un outil pour assurer la fluidité du parcours professionnel et la continuité des droits

Sous l’impulsion du statut du travailleur, la recherche de la continuité des droits a déjà inspiré la mise en place de dispositifs via la négociation interprofessionnelle : portabilité des droits ne matière de santé (garantie complémentaire maladie et maternité) d’invalidité décès, droits rechargeables à l’assurance chômage, création du compte personnel de formation.

L’accélération des mutations décrites précédemment doit nous conduire à aller plus loin. La CFTC voit dans le Compte personnel d’activité, inscrit dans le projet de loi sur la modernisation du dialogue social en cours de discussion au Parlement (cf I/1/B), l’occasion d’adapter notre modèle de protection social aux réalités actuelles.

Ce compte aurait pour objectif de sécuriser le parcours professionnel de chacun et rassembler les principaux droits sociaux attachés à l’expérience d’une activité. Cependant, tel qu’envisagé à l’heure actuelle, il rassemblerait  uniquement le compte personnel de formation, le compte pénibilité, les compte épargne temps et les droits rechargeables à l’assurance chômage.

Pour la CFTC, ce dispositif doit être construit avec plus d’ambition ce qui suppose d’aller au-delà du périmètre actuellement défini. Il doit recueillir à terme l’ensemble des droits sociaux de telle façon qu’en plus de faciliter les transitions professionnelles, il assure une parfaite continuité dans l’acquisition des droits et une parfaite couverture contre les risques sociaux identifiés.

Auraient par exemple vocation à rejoindre ce compte :

-La complémentarité santé et la garantie invalidité décès dont la portabilité est déjà acquise mais qui reste à) parfaire (conservation d’une couverture complémentaire santé limitée au douze mois maximum en cas de chômage et ouverture de droits aux chômeurs indemnisés uniquement).

-Une garantie universelle des loyers envisagée comme un dispositif de sécurisation financière pour l’accès et le maintien au logement à tout moment du parcours professionnel (conformément à l’axe 3-7 du rapport programme du 51ème congrès confédéral). La CFTC voit dans la coïncidence entre la construction d’un nouveau dispositif de sécurisation du logement privé (objectif de la convention Etat UESL 2015) et celle du CPA une occasion de construire une véritable sécurité sociale logement.

-un droit à congé parental individualisé et fractionnable jusqu’à la majorité de l’enfant et rémunéré non plus au forfait mais en pourcentage de l’ancien salaire. Ouvert à chaque parent dès la naissance d’un enfant (quel que soit son rang), il permettrait de bénéficier d’un capital temps, fractionnable jusqu’à la majorité de l’enfant. La liberté de choix pour les parents deviendrait ainsi réelle et chacun pourrait interrompre son activité le temps nécessaire sans perdre ses avantage liés à l’ancienneté ni ses droits à retraite.

Dans une logique de mise en œuvre, ce compte pourrait voir converger d’autres droits sociaux tels que la dépendance, la retraite et la maladie lorsque les différents régimes auront fini d’achever leur convergence ?

La « perte d’autonomie » correspond à une réalité vécue fluctuante. Les situations individuelles sont en effet évolutives. La « perte d’autonomie » est par ailleurs fonction de l’environnement matériel et social de la personne. Pour inciter à la couverture du risque de perte d’autonomie, il pourrait être proposé d’intégrer au compte personnel d’activité c’est dimension « dépendance ».  Cette dernière pourrait être financée par des versements volontaires de ses souscripteurs et transmissibles sans droits de succession à ses ayants-droit lorsque le risque n’est pas survenu.

Cette même logique pourrait être soutenue en matière de retraites. Le travailleur doit pouvoir avoir une vision globale de sa retraite en englobant les régimes par répartition mais également l’ensemble des dispositifs individuels (PERP, MADELIN, PREFON), collectifs et d’épargne salariale. Chaque assuré disposera ainsi dans son compte d’activité élargi de la possibilité de faire le point annuellement sur sa retraite par une estimation de rente ainsi qu’une vision de ses cotisations et de celles de son employeur quand ce dernier est salarié.

Enfin, l’accès à l’assurance maladie doit être sécurisé tout au long de la vie. Au-delà de la complémentaire santé l’intégration de la couverture maladie dite de base dans le compte personnel d’activité éviterait les ruptures temporaires d’accès aux soins induites par la sortie d’études, les phases de chômage oui un déménagement.

Ce renforcement de l’accès aux droits sociaux tout au long du parcours de vie e saurait suffire à lui seul. Il suppose, dans une logique ce prévention des risques sociaux un redéploiement massif des politiques publiques (petite enfance, soins, aide à la personne, logement, transports collectifs…

Il suppose également pour la construction de trajectoires ascendantes et pour éviter le creusement des inégalités un service d’accompagnement global à l’activité performant.

Cette ambition implique enfin une responsabilisation des entreprises. Celles-ci ne seraient plus considérées comme la source unique de financement de nitre protection sociale mais demeureraient néanmoins un acteur essentiel dans le déploiement du futur modèle par le biais de plans retraite, formation, prévention etc. Des plans en partie financés par divers abondements relatifs à l’anticipation et la couverture de risques sociaux découlant des incertitudes économiques de l’entreprise (voir dans III-3 la provision pour sécurisation sociale).

 


[1] « Refonder le système de protection sociale – Pour une nouvelle génération de droits sociaux » Sciences Po les Presses, Coll nouveaux débats 2014

[2] « Au-delà de l’emploi : Transformation du travail et devenir du droit du travail en Europe » - 1999

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CFTC
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