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Publié le
Lundi 14 Mars 2016
Le compte personnel d'activité : des entreprenants aux entrepreneurs - Contribution de Christian Sautter, président de France Active
Débat CPA

Le réseau associatif « France Active » encourage, accompagne, finance des hommes et des femmes qui n’ont pas pu ou voulu prendre « l’escalator social » des emplois garantis d’une durée indéterminée, d’une progression minimale à l’ancienneté, d’une défense syndicale assurée.

Ce sont des jeunes, souvent diplômés, qui sont discriminés en raison de leur quartier, de leur nom à consonance étrangère, de leur religion.

Ce sont des mères de famille, souvent isolées, qui ont besoin de travailler mais butent sur de multiples difficultés pour trouver un emploi salarié.

Ce sont des seniors, remerciés à cinquante ans, qui ont la volonté d’être utiles et de gagner leur vie jusqu’à l’âge de la retraite pleine.

Ce ne sont pas que des victimes d’une société durcie par la crise sociale et le chômage qui s’éternisent depuis quarante ans et qui ont été aggravés par la crise financière de 2008 et ses séquelles durables. Ce sont aussi des « entreprenants », si nombreux, qui veulent devenir « entrepreneurs », pas seulement pour gagner de l’argent, mais aussi pour affirmer leur personnalité et la mettre au service du développement de leur quartier, de leur zone rurale en désertification, de leur zone industrielle en mutation.

Une nouvelle génération dynamique se lève, qui n’est pas à l’aise dans le musée de statuts qu’est devenue la France. Le « Compte personnel d’activité » (CPA) est une belle idée qui doit devenir un bel outil de promotion personnelle pour tous ces jeunes, ces femmes, ces seniors qui se cognent aux rigidités ou que des hasards de la naissance ou de la vie laissent au bord de la route de l’emploi et de la société.

Le CPA unit trois mots-clés.

« Compte » signifie que, dans un monde de l’instantané, de la précarité, on peut capitaliser des droits, des droits acquis par son activité antérieure ou des droits accordés également par la société à chacun de ses membres.

« Personnel » est une révolution copernicienne. Ce n’est plus l’individu qui tourne autour du statut ; c’est l’individu qui prime le statut. La société ne se borne plus à proposer des cases où chacun s’insère plus ou moins bien ; elle fait du « sur mesure ». Et notre expérience, à France Active, est que chaque homme, chaque femme en difficulté d’emploi ou en promesse d’entreprise mérite une attention, un accompagnement spécifique.

« Activité ». C’est un mot qui n’a l’air de rien mais qui brise un tabou : l’avenir n’est pas que dans le salariat. Le CPA reconnaît que la création d’entreprise est une « activité » aussi « noble » que le recrutement par une grande entreprise mondiale.

L’excellent rapport de France Stratégie consacré au CPA a pour sous-titre « De l’utopie au concret ». Faisons rapidement ce trajet intellectuel prometteur.

L’ « utopie », d’abord ! À France Active, nous militons pour une autre économie, pour une autre société, qui combinerait la solidarité et l’efficacité, l’universalité et la proximité. En 2015, les 550 salariés du Réseau et les 2500 bénévoles ont encouragé, accompagné et financé 5800 créateurs d’entreprises (chômeurs à 90%, femmes à 45%) et soutenu 1200 « entreprises solidaires » (rentabilité minimale, productivité sociale maximale). Ce sont de vraies entreprises qui se battent à armes égales sur le marché avec les entreprises dites classiques et qui, non seulement survivent (82% sont encore en vie au bout de trois ans) mais se développent (les deux tiers créent de l’emploi dans les trois ans).

En quoi le CPA nous aiderait-il à faire vivre cette utopie, à prouver qu’il n’y a pas de fatalité du chômage et de l’exclusion ? Qu’il n’y a pas de loi naturelle qui concentrerait les emplois qualifiés dans les métropoles mondiales et repousserait les emplois peu diplômés dans les banlieues et la France périphérique ?

Le CPA a, dans son principe, un double mérite : il met la personne au centre du jeu économique, plutôt que le chiffre du profit en bas du compte de résultats. Et il « anoblit » la création d’entreprise, qui n’est plus réservée aux « start-ups » façon Californie. L’ « innovation sociale » monte sur le podium au côté de l’ « innovation technologique ». Et l’ « innovation locale » monte sur la troisième marche et s’invite entre les lignes des médias où l’on loue les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon).

Le « concret » aussi ! La création d’entreprise est un sport de haut niveau, qui coûte cher, en temps et en argent. Notre expérience à France Active, mais il en serait de même pour les autres réseaux d’appui à la création d’entreprises, est qu’il faut donner du temps aux futurs créateurs, du temps pour eux, du temps d’accompagnateur aussi. Ce temps, c’est de l’argent.

Les futurs créateurs se lancent en général avec peu de ressources personnelles, donc peu de temps pour préparer leur projet. La France a la chance de permettre aux chômeurs de « capitaliser » leurs « droits au chômage ». On pourrait aller plus loin, en dotant le CPA d’une somme calculée en fonction des économies que feraient les autorités publiques

(État et collectivités locales) si le chômeur créait son propre emploi, produisant cotisations sociales et impôts, plutôt que de rester à la charge du Revenu de solidarité active ou autres prestations pour chômeurs de longue durée. Toutes les études montrent qu’il est budgétairement « rentable » d’avancer un CPA pour éviter une assistance durable. Le CPA peut être un « investissement » public plutôt qu’une dépense sociale à fonds perdus.

L’accompagnement est coûteux. Consacrer dix heures de salarié de France Active à un futur créateur, mobiliser bénévoles et salariés pour suivre l’entreprise après sa création afin de contrarier les erreurs causes de tant de mortalité infantile, c’est une dépense « rentable » et incontournable. Il existe deux moyens de l’assumer. La première, marginale, est de demander au futur créateur d’en payer une partie, mais cela suppose qu’il ait un capital suffisant sur son CPA. La vraie solution est d’une simplicité évidente, qui a été inscrite dans la loi en 2005 sans passer dans les faits en 2015, c’est de considérer que l’accompagnement des chômeurs créateurs relève de la formation professionnelle, dont le budget paritaire est abondant et pas toujours dépensé à bon escient selon les sains principes de solidarité et d’efficacité. Cette ressource supplémentaire, un droit à des heures de formation inscrites dans le CPA incluant le tutorat de la création d’entreprise, est indispensable pour pallier l’effet de ciseau entre une demande croissante de soutien de la part de la nouvelle vague d’entreprenants et un plafonnement inéluctable des subventions publiques de l’État, des Régions, de l’Europe et de la Caisse des Dépôts.

En conclusion, je suis fermement partisan de la conception la plus ambitieuse du « Compte personnel d’activité ». Il ne s’agit pas seulement de dépenser mieux (ou moins !), ni de simplifier le maquis des procédures.

Ce qui est en cause, c’est de mettre la personne, sa volonté, ses talents, au centre de la lutte pour le retour à l’emploi.

Ce qui est vital, c’est de donner plus de points à ceux qui ont moins, de leur offrir le soutien sur mesure de « conseillers en création d’entreprise », financés par les fonds de la Formation professionnelle.

À France Active, nous voyons se gonfler cette nouvelle vague d’ « entreprenants ». Nous avons la capacité technique de les accompagner (mais pas toujours les budgets). Nous avons de quoi financer leurs projets labellisés, notamment grâce à l’admirable essor de l’épargne solidaire et au fidèle partenariat avec les banques.Un changement d’échelle est possible.

Le CPA sera le signal que la France peut être plus proche, plus solidaire, plus efficace, pour que les « entreprenants » deviennent des « entrepreneurs » à part entière.

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