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Point de vue
Publié le
Vendredi 07 Février 2014
Depuis 1968 et la rationalisation des choix budgétaires, l’évaluation des politiques publiques est accusée tour à tour d’être trop dispersée ou insuffisante [1]. Une audition au Conseil Economique, Social et Environnemental nous a donné l’occasion de revenir sur ces idées.
Evaluation
  • Beaucoup ou trop d’évaluateurs 

De nombreux organismes produisent des informations de nature évaluative, c’est-à-dire comprenant un jugement sur la qualité d’une politique publique : la Cour des comptes, les corps d’inspections, le Parlement, les organismes gestionnaires, les collectivités locales … Hors du monde administratif, chercheurs et cabinets de conseil produisent également des évaluations de politique publique. Cette multiplicité, qui peut être interprétée comme un éclatement peut également, dans la mesure où aucun acteur de cet univers n’est exempt de défaut, être source de complémentarité.

Ainsi, les institutions ne questionnent pas les politiques de la même manière : la Cour des Comptes est plutôt centrée sur l’efficience quand les chercheurs se focalisent plus souvent sur l’efficacité, les inspections sur les organisations, le Parlement sur les points de vue des partis prenantes (dimension démocratique) …

Par ailleurs, chaque acteur n’use pas de la même granularité d’observation : les collectivités locales observent les dispositifs locaux, les évaluations dans le cadre de la Modernisation de l’Action Publique des pans de politiques ministérielles, la Cour des comptes des politiques au sens LOLF [2], le CGSP, nous y reviendrons, des politiques éventuellement composites.

Chacun dispose d’un type de méthode et d’accès à des informations : les corps de contrôle ont un accès privilégiées aux données de gestion, les chercheurs construisent des enquêtes, les organismes gestionnaires peuvent produire de la donnée statistique adaptée …

Ainsi, en l’absence d’acteur idéal, cette diversité permet de couvrir le plus largement possible l’ensemble des questions qui permettent de se forger un jugement sur les politiques publiques, que l’on résume souvent par les critères de l’évaluation [3].

  • La culture d’évaluation : du savoir à la réforme

Il semble que l’on se soit toujours plaint d’un manque de culture de l’évaluation en France. Des progrès ont toutefois été faits : les évaluations sont bien plus systématiquement prévues dans les nouveaux dispositifs publics que dans les années 1980 [4]; la participation des parties prenantes, ainsi que des usagers et /ou des citoyens est devenue un automatisme. La diversification des méthodes et des questionnements (avec leur dernier avatar, les analyses comportant un contrefactuel [5]) a considérablement renforcé la crédibilité des résultats des évaluations.

Toutefois, deux points semblent encore largement pêcher pour faire de nos progrès scientifiques des outils performants pour la réforme des politiques.

Le premier est l’organisation du savoir évaluatif. Certains auteurs, tels le CAE [6], préconisent le pilotage de l’ensemble des évaluations par une instance indépendante, telle la Cour des Comptes. A défaut de prendre position sur cet acteur, il semble qu’une coordination, une organisation des thèmes d’investigation et des questionnements évaluatifs donnerait plus de visibilité et de crédibilité aux résultats. Par ailleurs, la réalisation de synthèses d’évaluations (ou méta-évaluations) provenant de sources diverses (données locales, internationales, à granularité variable, dans différents contextes socio-économiques) doit permettre de consolider les hypothèses de réformes d’action publique.

Le second axe de progrès, outre la dimension cognitive, est celui de l’intégration de l’évaluation comme un élément central de la réforme des politiques et non comme un outil parmi d’autres du débat public [7]. Pour cela, une des voies possibles est la mobilisation des parties prenantes dès l’origine de l’évaluation (dans la formulation des questions évaluatives, dans la définition des méthodes). Cette mobilisation, si elle est coûteuse en temps, permet une imprégnation progressive de tous les acteurs de la réforme ultérieure, la constitution d’un diagnostic partagé ; elle devrait permettre à terme une meilleure acceptation des résultats et des réformes, et donc une mise en place plus aisée.

Partant de ces constats, le Commissariat Général à la Stratégie et à la Prospective, dont le décret de naissance prévoit la participation à l’évaluation des politiques publiques, ambitionne de travailler dans trois directions :

  • La contribution à la priorisation des évaluations de politiques à conduire et à leur coordination
  • La réalisation d’évaluations, sur une granularité large qui emporte des dispositifs multiples, autour d’un grand enjeu politique (un exemple actuel est la mise en place d’un dispositif d’évaluation des politiques d’innovation)
  • La contribution à la mobilisation des évaluations dans la réforme publique, par la consolidation des connaissances et l’organisation de concertations sur les grands résultats d’évaluation.

 Delphine Chauffaut, Chef du Département Questions sociales, CGSP

 


[1] Ainsi, un rapport du Commissariat général du plan (M. Deleau, J.P.Nioche, P. Penz, et R.Poinsard, "Evaluer les politiques publiques") constatait en 1986 que "l'évaluation reste en France une activité sporadique, (…) qui n'est pas encore reconnue au plan institutionnel comme une activité normale, régulière et organisée"
[2] Loi Organique relative aux Lois de Finances
[3] Efficacité (niveau d’atteinte des objectifs de la politique évaluée), Pertinence (adéquation de la politique au problème posé), Impact (effets), Cohérence (relation entre les moyens et le problème), Efficience (adéquation des ressources affectées à l’atteinte des résultats attendus)
[4] Le RMI était, notons le, la première politique publique mise en place avec l’obligation d’évaluation
[5] Ces méthodes d’évaluation reposent sur le principe de la comparaison entre deux populations similaires, dont l’une bénéficie du dispositif testé et l’autre non. Cette comparaison permet d’appréhender les effets réels du dispositif, hors tout effet de contexte.
[7] Par exemple, parmi les points de vue d’acteur ; ces points de vue doivent en fait être intégrés à l’évaluation.