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Point de vue
Publié le
Mercredi 05 Mars 2014
L'idée que la croissance va revenir graduellement fait consensus au sein des gouvernements. Mais d'autres hypothèses sont développées, telle celle d'une "stagnation séculaire". Par Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective
Nouvelles controverses sur la croissance par Jean Pisani-Ferry

Pour la plupart des gouvernements, savoir quel taux de croissance économique il est raisonnablement possible d'espérer pour les années à venir est une question primordiale. Et, au moins pour les pays avancés, c'est une question à laquelle il est devenu particulièrement difficile de répondre.

Si l'avenir est à l'image du passé récent, les perspectives sont mauvaises. Depuis 2008, la croissance a été régulièrement inférieure aux prévisions. Parmi les pays les plus affectés par la crise financière, seuls quelques-uns - les USA, l'Allemagne et la Suède - se sont solidement installés sur le chemin d'une croissance dynamique. Pourtant même pour eux, le PIB de 2013 a été largement inférieur aux prévisions faites avant la crise.

Une reprise graduelle?

Économistes et responsables politiques s'accordent toutefois sur l'idée que si la crise financière et la crise de l'euro ont affecté à la fois l'offre et la demande, la reprise va graduellement s'affermir.

Selon cette analyse, endettement privé et endettement public vont encore peser pendant quelque temps sur la demande intérieure, mais la situation devrait s'améliorer graduellement à mesure que diminuera le poids des dettes passées. Peu à peu les consommateurs vont accroître leurs dépenses (comme cela commence à être le cas aux Etats-Unis) tandis que la politique budgétaire redeviendra neutre (ainsi qu'on le voit déjà en Allemagne).

Du côté de l'offre, la crise a affecté la croissance potentielle parce que les entreprises ont diminué leurs investissements, ce qui freine l'introduction des nouvelles technologies. C'est particulièrement visible en Europe et dans certains cas, comme au Royaume-Uni, la baisse des salaires et la facilité de licencier des salariés ont encouragé les entreprises à remplacer le capital par la main d'œuvre, réduisant ainsi la productivité par travailleur. Le dysfonctionnement du secteur financier et la réticence à aggraver la situation sociale ont aussi retardé le remplacement des entreprises les moins productives par de nouvelles entrantes plus efficaces.

Il en est résulté un ralentissement marqué de la productivité, quand ce n'est pas une baisse : au Royaume-Uni il a fallu davantage d'heures de main d'œuvre par unité de production en 2013 qu'en 2007. Ici aussi, la vision dominante est que ces phénomènes vont perdurer quelque temps encore avant de s'atténuer, à mesure que les entreprises renouvelleront leur équipement et accéléreront le rythme de l'innovation.

L'hypothèse d'une "stagnation séculaire"

Mais l'idée que les pays avancés sont sur la voie de la reprise est contestée, tant du côté de l'offre que de la demande. En ce qui concerne cette dernière, Larry Summers, l'économiste de Harvard qui a occupé des postes à responsabilité dans l'administration américaine sous les présidents Clinton et Obama, a récemment suggéré que les pays avancés pourraient bien connaître une phase de « stagnation séculaire ».

Il estime que l'endettement qui a précédé la crise n'était pas une anomalie exogène, mais la conséquence d'une demande structurellement insuffisante. La distribution mondiale des revenus a évolué au détriment de la classe moyenne des pays avancés et au profit des plus riches et des pays émergents, créant un excédent d'épargne généralisé. Le seul moyen d'éviter la stagnation a été de pousser les classes moyennes à s'endetter davantage, grâce à des taux d'intérêt faibles et à un laxisme dans la réglementation du crédit.

Tabler sur les classes moyennes des pays émergents

Autrement dit, la surabondance d'épargne ("the savings glut" ainsi que l'avait qualifiée l'ancien président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke) était antérieure à la crise et pourrait donc continuer à peser sur la demande, à moins que les classes moyennes des pays émergents ne deviennent les nouveaux consommateurs de dernier ressort de l'économie mondiale. Cela va sans doute arriver, mais en dépit de tous les efforts entrepris par les Etats-Unis et le FMI dans le cadre du G20, ce rééquilibrage n'est pas encore achevé.

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© Project Syndicate 1995-2014

Auteurs

Jean Pisani-Ferry
Jean
Pisani-Ferry
Anciens auteurs de France Stratégie