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Publié le
Mardi 24 Octobre 2017
Il ne suffit pas de connecter une ville pour la rendre intelligente. Entre enjeux environnementaux et citoyens, exigences de rentabilité et cyber risques, la Smart City se cherche.
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En 2050, deux tiers de la population mondiale vivra en ville. C’est dire tout l’intérêt qu’il y a à rendre la ville « intelligente ». Un enjeu qui explique que France Stratégie ait consacré à la Smart City un cycle entier d’ateliers-débats, bientôt enrichi d’un rapport. Passée de l’utopie urbaine à une réalité rendue possible par la révolution numérique et les progrès de l’intelligence artificielle, la ville intelligente s’installe dans notre quotidien citadin, à bas bruit. De quoi relève-t-elle exactement et quel est son horizon ? Réponses avec Christine Raynard, experte mobilité et transport au département Développement durable et numérique de France Stratégie.

On parle beaucoup de villes intelligentes mais sans toujours savoir s’il s’agit d’un concept ou d’une réalité effective. Une mise au point ?

C’est une réalité bien sûr, mais elle est évolutive et surtout elle ne se matérialise pas partout de la même manière. Si je devais malgré tout en donner une définition, je dirais que la Smart City est une ville qui collecte et traite des données en vue de développer des services numériques qui lui permettent d’optimiser sa gestion au quotidien, qu’il s’agisse du trafic, de la fourniture d’énergie, ou du traitement de l’eau et des déchets par exemple, mais aussi la gestion de crises. Les habitants de leur côté disposent d’informations en temps réel qui leur facilitent la vie.

Évidemment, « faciliter la vie » ne veut pas dire la même chose selon que vous habitez Mumbaï (Bombay), Singapour ou Paris ! Le premier problème des villes d’Asie du Sud-Est en plein processus de métropolisation, c’est la congestion du trafic et la mise à niveau des infrastructures de transports collectifs. Mexico est devenu « smart » pour des raisons de sécurité. À l’opposé, Smart Dubaï est le premier projet au monde qui vise à mettre en place un système de plateforme multimodale englobant toutes les mobilités : métro, bus, tramways, bateaux, taxis, véhicules particuliers…

Il y a donc autant de Smart Cities qu’il y a de villes ?

Pas exactement. On retrouve quand même des enjeux communs à toutes les villes intelligentes même si la hiérarchie de ces enjeux varie selon les régions et les niveaux de développement de chacune. Des enjeux de mobilité durable pour commencer : régulation du trafic pour réduire la congestion, transports collectifs, véhicule autonome… Pensez aux applications Vianavigo en Île-de-France, Nantes dans ma poche ou Optimod’Lyon. Il y a aussi des enjeux d’efficacité énergétique. La ville d’Oslo a installé 10 000 lampadaires connectés capables d’ajuster le niveau d’éclairage selon l’heure du coucher du soleil, la luminosité et le trafic routier. In fine l’enjeu c’est donc de se servir des objets connectés pour faire de l’analyse de données et de fournir, grâce à elles, des services publics plus efficaces. S’ajoute un enjeu citoyen, celui de la participation des citadins à la vie de leur ville. Là on peut citer l’expérience de budget participatif de la Ville de Paris. Et puis plus largement l’objectif est d’améliorer les conditions de vie des habitants, de faire de l’inclusion sociale, d’assurer la stabilité financière des projets sur le long terme. Sans oublier le défi majeur de la protection des données privées et de la cyber sécurité.

Concernant la protection des données justement, certains évoquent le risque d’une mainmise des géants du web sur les villes. Faut-il prendre la menace au sérieux ?

Il y a un vrai risque en effet. Les collectivités manquent de moyens et de compétences juridiques. Pour que les GAFAM [Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft ] ne les relèguent pas au rôle de prestataire de services en imposant leur modèle d’affaires « services contre données », il faut qu’elles se dotent des compétences nécessaires, qu’elles développent leur « agilité ». Sans oublier que la question n’est pas propre aux Smart Cities. Il y a risque de captation des données personnelles dès qu’il y a objets connecté ou connectable. Or, il pourrait y en avoir jusqu’à 80 milliards dans le monde d’ici 2020 !

Quant à la cyber criminalité, c’est le risque majeur. Ne nous voilons pas la face : tout système quel qu’il soit sera hacké. Donc il faut nous y préparer. Dès la conception des plateformes, en travaillant à la prévention de ce risque et ensuite en prévoyant des audits des systèmes tous les ans avec des spécialistes en cyber sécurité. Il faut parvenir à des dispositifs similaires aux alertes incendie : déclencher de « vrais faux piratages » informatiques pour s’entraîner à les parer. Évidemment, ce sont des dispositifs à appliquer aux données sensibles. On n’a pas besoin du même niveau de protection pour toutes les données. Si Vianavigo est inaccessible pendant vingt-quatre heures, ce n’est pas grave. En revanche, si le système de gestion des feux tricolores de Paris est piraté et qu’ils passent tous au vert, il faut prévoir une réponse sans délai parce que là les conséquences peuvent être très graves.

La Smart City relève-telle de l’intelligence collective ou se résume-t-elle finalement à une gestion optimisée des flux via l’outil numérique ?

La question n’est pas tranchée. Il y a bien deux visions de la Smart City : techno-centrée versus l’humain au centre. Mais concrètement, ce que l’on observe pour l’instant, c’est la mise en place de projets opérationnels qui ne partent pas nécessairement des besoins des citoyens. Ils sont plutôt top-down. L’application Optimod’Lyon par exemple a nécessité trois ans de travail et n’est que très peu utilisée car trop complexe, semble-t-il, pour l’usager.

La ville connectée est aussi censée favoriser la démocratie participative. Sur ce volet, même constat : l’outil est là mais il est construit sans toujours tenir compte des usages. Pour participer, par exemple à un vote sur des options de budget de sa commune, il faut en être averti donc être abonné à la newsletter de la commune, être évidemment équipé d’un ordinateur ou d’un smartphone et avoir le bagage suffisant en termes de littéracie numérique pour participer à la procédure de vote électronique. Faute d’information suffisante, d’effort réel de pédagogie et de vulgarisation, beaucoup de citadins ne se sentent pas concernés. On cite souvent comme exemple de succès l’expérience du budget participatif de la Ville de Paris pour lequel 7,5 % « seulement » des Parisiens ont voté en 2017. Ça peut sembler paradoxal mais cette proportion est en réalité très élevée par rapport à ce qu’on observe ailleurs avec ce type de consultation. Plus généralement, il faut penser design thinking, c'est-à-dire utiliser l’intelligence collective et partir des besoins et des usages des citoyens pour que la Smart City ne génère pas d’« exclus numériques ».

Vous avez piloté un cycle d’ateliers consacrés aux Smart Cities à France Stratégie. Il s’est terminé en juillet. Quelle suite allez-vous lui donner ?

Nous avons en effet organisé sept ateliers qui ont fait intervenir seize spécialistes du sujet, de décembre 2016 à juillet 2017, avec une approche volontairement transverse, par opposition à l’approche souvent thématique de la Smart City – déchets, transports, citoyenneté, etc. En parallèle, nous avons mené plus d’une vingtaine d’auditions. La synthèse du tout fera l’objet d’un rapport dont la publication est prévue en décembre.

Propos recueillis par Céline Mareuge, journaliste-web

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