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Point de vue
Publié le
Lundi 12 Octobre 2015
Pier Carlo Padaon, le ministre des Finances italien, a présenté au parlement italien une ébauche de système d’assurance chômage au niveau de la zone euro(1). De quoi s’agit-il ?
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Plusieurs bonnes raisons plaident pour une assurance chômage européenne, c’est-à-dire des allocations chômage payées directement par la zone euro aux chômeurs européens.

1 - Lorsque le chômage est élevé dans un pays, ses chômeurs bénéficient d’une solidarité européenne en recevant des allocations chômage financées par l’ensemble des salariés européens et non plus par les seules cotisations des salariés de leur propre pays. Pour les pays en difficulté dont les chômeurs reçoivent des allocations européennes, le poids des allocations chômage dans le budget est réduit, ce qui peut éviter que les finances publiques ne se dégradent trop.

2 – À l’intérieur de la zone euro, un mécanisme d’assurance chômage européen instaure de fait des transferts d’argent des pays où le chômage est bas vers ceux où le chômage est haut, ce qui réduit l’amplitude des écarts conjoncturels entre les pays et facilite les décisions de politiques monétaires.

3 – À ces raisons économiques s’ajoute une raison plus politique. Les responsables de la zone euro plaident pour des politiques de consolidation budgétaire qui touchent la plupart des citoyens. La mise en place d’un mécanisme d’assurance chômage au niveau de la zone euro enverrait le signal fort et très concret que la zone euro est bien une communauté où la solidarité va de pair avec la responsabilité.

D’ailleurs, dans la plupart des économies avancées, y compris dans les fédérations comme l’Allemagne, l’assurance chômage est commune à l’ensemble des travailleurs du territoire national et solidaire. Aux États-Unis, alors que l’assurance chômage est habituellement organisée à l’échelon des États fédérés (avec tout de même la possibilité pour les caisses régionales de financer leurs déficits temporaires par de la dette fédérale), l’échelon central prend le relais lors des crises de grande envergure en allongeant de manière significative la durée des allocations versées. Ainsi en 2009, l’échelon fédéral a versé jusqu’à 18 mois d’indemnisation supplémentaires aux chômeurs américains, soutenant ainsi les États les plus touchés par la crise. En Europe, ce type de solidarité a fait défaut ces dernières années, chaque État ayant dû supporter seul le poids de l’augmentation de son chômage.

Mais ces bonnes raisons rencontrent des objections tout aussi valides. Par exemple, comment faire accepter par les pays de la zone dont le taux de chômage est très bas en moyenne le financement d’une assurance chômage qui leur bénéficierait peu et se traduirait par des transferts vers les pays qui sont de « mauvais élèves » en matière de chômage (ceux dont le taux de chômage est perpétuellement plus élevé que le reste de la zone euro) ? Comment faire pour maintenir une incitation à mener des bonnes politiques sur le marché du travail si les chômeurs sont indemnisés par les autres pays de la zone ?

Une idée, déjà avancée par d’autres et reprise dans la proposition italienne, est de mettre en place une assurance chômage européenne qui n’opérerait pas des transferts permanents, mais seulement des transferts temporaires entre États. Cette solution est techniquement réalisable.

Deux grandes options existent :

Dans la première, les chômeurs d’un pays ne bénéficieraient de l’assurance chômage européenne que lorsque le taux de chômage dans leur pays augmente brutalement et pour un laps de temps de quelques trimestres (ou quelques années). Le système d’assurance national n’interviendrait alors que pour compléter si besoin le montant de l’assurance européenne afin de coller aux règles d’indemnisation du pays. Le reste du temps, les chômeurs seraient couverts par leur régime d’assurance chômage national seul. Un tel schéma est compatible avec des règles d’indemnisation qui diffèrent selon les pays, ce qui autorise la mise en place d’une assurance européenne sans harmonisation préalable des systèmes nationaux. Des simulations réalisées par France Stratégie (disponibles ici) montrent qu’un tel système serait peu coûteux (et d’autant moins que les conditions de déclenchement des paiements seraient exigeantes) tout en allégeant substantiellement les efforts budgétaires que doivent consentir les pays pour indemniser le chômage en cas de hausse brutale de celui-ci.

Dans la seconde option, quel que soit le niveau de chômage de leur pays, les chômeurs européens bénéficieraient d’un socle commun de prestations (une indemnité calculée à partir d’un taux commun de remplacement), complété par des prestations décidées au niveau national. Pour éviter les transferts permanents, la contribution de chaque pays au financement du système européen d’assurance chômage serait modulée selon son niveau de chômage structurel : les pays à taux de chômage structurellement fort auraient des taux de cotisation élevés, et inversement pour les pays à taux de chômage faible. Lors d’un pic conjoncturel de chômage, un pays recevrait ainsi une contribution nette du système européen pour l’aider à passer le cap. Cette option a également l’avantage de définir un socle commun d’indemnisation tout en préservant la possibilité pour les États de le compléter comme ils l’entendent.

Les détails de la récente proposition italienne ne sont pas connus, mais il semble qu’elle se rapproche de la première option. Celle-ci a l’avantage de mobiliser des sommes assez modestes (de l’ordre de 10 milliards par an, soit 0,1 % du PIB de la zone euro dans les simulations de France Stratégie) tout en assurant un mécanisme efficace de stabilisation en cas de très gros choc négatif sur une économie. La seconde option, qui mobiliserait des sommes plus importantes pour une capacité d’absorption des chocs macroéconomiques équivalente, a le mérite d’être davantage lisible pour les citoyens européens et de constituer un embryon de véritable assurance chômage au niveau européen.

En tout état de cause, ces deux options montrent qu’il est techniquement facile d’imaginer des dispositifs qui améliorent la capacité de stabilisation de la zone euro sans générer des transferts permanents et qui préservent les incitations à réduire le chômage via des réformes du marché du travail. L’impulsion politique que vient de donner le ministre italien des Finances pourrait ainsi bien être la première étape en direction d’une Europe socialement plus solidaire et économiquement plus stable. 


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Auteurs

Anne Epaulard
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