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Publié le
Mercredi 04 Décembre 2013
À la demande du Président de la République et dans le cadre de la mission que lui a confiée le Premier ministre sur « Quelle France dans dix ans ? », Jean Pisani-Ferry, Commissaire général à la stratégie et à la prospective, a souhaité associer les parlementaires à sa réflexion.
Quelle France dans 10 ans ? Dîner de travail à l'Assemblé nationale

À l’invitation du Président Claude Bartolone, une première rencontre avec les députés a eu lieu le 12 novembre dernier sur trois thèmes : le modèle de croissance, le modèle de production et le modèle social. L’échange se poursuivra le 4 décembre à 20h00 sur deux autres sujets : le modèle républicain et le projet européen.

 

Compte rendu de la réunion du 12 novembre 2013

Présidence de M. Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale.

M. le président Claude Bartolone :

Vous êtes chargé, monsieur le Commissaire général, de présenter un projet pour la France à l’horizon de dix ans. Cette échéance présente l’avantage d’être déconnectée du temps législatif, tout en restant suffisamment proche pour que nos concitoyens puissent s’approprier les orientations qui seront fixées. Votre rapport se concentrera sur cinq enjeux : notre modèle productif, notre modèle social, notre modèle de croissance, notre modèle républicain et notre projet européen.

Je vous remercie d’avoir pris l’initiative d’associer l’Assemblée nationale à vos travaux. Vous allez échanger ce soir avec une délégation de députés de toutes les sensibilités politiques. Je propose que nous traitions d’abord des questions économiques et sociales, avant d’évoquer les questions institutionnelles.

M. Jean Pisani-Ferry, Commissaire général à la stratégie et à la prospective :

Je vous remercie de nous accueillir, M. Michel Ozenda, conseiller auprès du Commissaire général, Mme Delphine Chauffaut, chef du département des questions sociales, Mme Christel Gilles, chargée de mission, et moi-même. C’est le Président de la République qui a émis le souhait que les parlementaires soient associés aux travaux du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), lorsque j’ai présenté la note de contribution au séminaire gouvernemental du 19 août dernier.

Dix ans, c’est en effet un horizon bien choisi : il est assez éloigné pour que les objectifs ambitieux que l’on se fixera concernent non seulement une majorité donnée mais la société dans son ensemble ; mais il est assez proche pour que l’on en tire immédiatement des conséquences concrètes. C’est un horizon qui a d’ailleurs déjà servi dans plusieurs domaines : équipements collectifs, éducation, construction européenne.

Sur la base des notes introductives qu’il a préparées, le CGSP a engagé, à Paris et dans les régions, une série de discussions thématiques avec les experts, les partenaires sociaux et les élus – dont des parlementaires –, auxquels il a soumis ses constats, ses analyses et ses idées. Loin d’être un travail en chambre, notre rapport se nourrira de tous ces débats.

Je vais donc vous faire part, pour commencer, de quelques éléments de notre réflexion sur les aspects économiques et sociaux.

La première question qui s’impose à nous est celle de la croissance. Et la comparaison qui vient à l’esprit, c’est le cas de l’Italie : ce pays stagne depuis quinze ans – il a été incapable de produire de la croissance – et il a fortement subi le choc de 2008. Le revenu par tête y est actuellement à son niveau de 1997. Or, la France n’est pas à l’abri d’un tel scénario. Certains économistes pointent notamment l’extrême faiblesse des gains de productivité dans notre pays et, donc, de la croissance à venir.

Se pose ensuite la question de notre capacité à retrouver un meilleur niveau d’emploi. Si le plein emploi est redevenu la norme pour certains de nos partenaires, la France fait partie des pays pour lesquels cette perspective est plus lointaine. Quant à la question de la compétitivité, on l’aborde en général sous l’angle du coût du travail et de la fiscalité, mais de nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte : le partage entre les secteurs qui sont exposés à la concurrence internationale – industrie et services échangeables – et ceux qui ne le sont pas ; le prix auquel les secteurs exposés achètent les services et l’énergie dont ils ont besoin ; le coût du foncier pour ces entreprises et celui du logement pour leurs salariés. Notre impression est que la France a laissé s’étioler, au fil des années, ses secteurs exposés. Devenus moins rentables, ils ont attiré moins de capitaux que d’autres secteurs plus protégés.

Dès lors, deux stratégies sont possibles. La première, que l’on pourrait qualifier d’« intensive », consisterait à consacrer un maximum de moyens au redressement de la compétitivité des secteurs exposés, notamment de l’industrie ; il s’agirait en quelque sorte de se rapprocher du modèle allemand. La seconde serait d’accroître le nombre des secteurs exposés – qui ne représentent actuellement qu’une petite partie de notre économie – en déplaçant les frontières de l’échange. Cela reviendrait à accepter que certains services actuellement situés dans la sphère non-marchande deviennent échangeables. Tel pourrait être le cas de l’enseignement supérieur, dont certains pays font aujourd’hui une industrie d’exportation. Chacune de ces deux stratégies comporte des difficultés propres : la première impliquera de réallouer des ressources – quelle part ? – en faveur des secteurs exposés ; la seconde imposera des mutations assez lourdes dans des secteurs actuellement protégés.

Quoi qu’il en soit, nous n’échapperons pas à une réflexion sur la croissance elle-même. Au cours des débats, nous avons été frappés de constater que la notion de croissance suscitait un certain scepticisme, soit qu’on déplore ses effets négatifs sur l’environnement, soit qu’on estime son retour illusoire, quels que soient les efforts consentis. En ma qualité d’économiste, je demeure convaincu du caractère central de la croissance. Cependant, il est vrai que le consensus sur la nécessité de la croissance s’est sérieusement affaibli. Nous ne pourrons reconstruire un tel pacte qu’à la condition de qualifier la croissance et de prendre en compte ses impacts sociaux et environnementaux.

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