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Publié le
Vendredi 12 Janvier 2018 -
Mis à jour le
07 Février 2018
Vendredi 12 Janvier 2018
09h00 à 18h00
Les pays d’Europe ont mis en œuvre d’importantes réformes structurelles au cours des dernières décennies. Ces réformes n’ont pas permis pour autant de combler l’écart de PIB par habitant avec les pays les plus performants.

Comment expliquer cette absence de résultat ? L’écart tient-il à d’autres facteurs ? Les réformes ont-elles été suffisamment ambitieuses ? Faut-il envisager d’autres types de réformes, dans d’autres domaines ? A-t-on sous-estimé la complémentarité entre réformes et l’importance de leur séquençage ?

Compte rendu

L’attention portée aux « réformes structurelles » s’est accrue, considérablement, au cours de la dernière décennie en Europe. Il y a au moins trois raisons à cela : le rappel, imposé par la crise des dettes souveraines, du danger des déséquilibres macroéconomiques en union monétaire et de l’importance de disposer de marchés et d’institutions capables de prévenir leur apparition ; le fait que les réformes structurelles ont pu apparaître, pendant la crise, comme l’un des derniers instruments de soutien à la croissance dont disposaient les pays de la zone euro confrontés à des niveaux de dette élevés ; et le ralentissement persistant des gains de productivité au cours des vingt dernières années, commun à tous les pays développés, qui force à réfléchir sur les freins structurels à la croissance et les sources de la prospérité future.

Rassemblant des représentants des États membres de l’Union européenne, des représentants des organisations internationales et des chercheurs, la conférence organisée par France Stratégie – en partenariat avec la Commission européenne, le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) – avait pour objet de tirer les leçons des dernières décennies de réformes structurelles en Europe. Elle a cherché à comprendre pourquoi l’écart de revenu avec les pays les plus performants continuait de se creuser malgré un activisme particulièrement marqué sur le front des réformes ces dernières années. À la lumière des expériences récentes en Europe, elle a fait le point sur l’état des connaissances concernant la manière de mettre en œuvre un programme de réformes. La conférence a servi, enfin, à préparer l’avenir : alors que l’attention a jusqu’à présent largement porté sur les réformes du marché du travail (flexibilité) et du marché des biens et services (libéralisation), le tarissement des anciennes sources de croissance et les défis de demain rendent sans doute nécessaires des réformes d’un nouveau type, dans des domaines moins défrichés tels que l’innovation, l’éducation, la formation professionnelle ou la justice.

Qu’a-t-on appris ces dernières années de la mise en œuvre des réformes structurelles? (Session 1)

Le sujet des réformes structurelles fait apparaître un écart de perception important entre économistes et décideurs politiques d’un côté et citoyens de l’autre : alors que les premiers semblent s’accorder sur le caractère souhaitable des réformes, celles-ci sont très impopulaires dans l’opinion publique (et parfois aussi chez les responsables politiques). Comment expliquer cette résistance ? L’un des panélistes a avancé plusieurs explications : le fait que les réformes détruisent des rentes, conduisant à des pertes élevées pour un faible nombre d’agents (qui ont des raisons de résister) et des gains diffus pour le reste de la société (qui n’a que peu de raisons d’exprimer son soutien aux réformes) ; la matérialisation très progressive des bénéfices, alors que le coût politique pour le décideur est immédiat ; l’influence de certains groupes d’intérêt et la forte capacité de nuisance de certaines professions ; des représentations économiques erronées de la part des agents économiques ; et enfin une culture de « lutte des classes », particulièrement prégnante dans certains pays du sud de l’Europe, qui tend à considérer que toute réforme bénéficiant aux entreprises, ou plus généralement à certaines catégories d’agents, se fait nécessairement au détriment des salariés et des autres (et vice-versa).

Sans contester cette grille de lecture, plusieurs participants ont relevé que les réformes de ces dernières années ont été décidées et mises en œuvre, pour la majorité des pays, en même temps qu’un ajustement budgétaire d’ampleur et en bas de cycle. Ce facteur, qui a pu accentuer les effets négatifs de certaines réformes, a sans doute autant, voire davantage, contribué à la chute de popularité des gouvernements qui les ont mises en œuvre[1]. Les économistes ont également eu tendance à négliger les aspects redistributifs et les coûts d’ajustement associés aux réformes, se focalisant sur leurs effets agrégés à long terme alors que leurs effets initiaux peuvent être négatifs (en d’autres termes, les réformes ne sont pas nécessairement Pareto-améliorantes). Enfin, comme l’ont relevé plusieurs participants, beaucoup de réformes structurelles des dernières années se sont in fine retrouvées adoptées sous une forme diluée ou altérée par rapport aux intentions initiales en raison des résistances qu’elles ont pu générer. Il n’est dès lors pas étonnant qu’elles n’aient pas toujours eu les effets escomptés, tant les aspects idiosyncratiques et la mise en œuvre pratique des réformes sont déterminants (« implementation is key »).

Ces facteurs – effets du cycle économique, temps d’ajustement, mise en œuvre pratique – peuvent expliquer l’effet apparemment modeste de certaines réformes dans les pays où elles ont déçu. Mais même dans ceux où les réformes structurelles sont vantées comme l’une des clefs de la reprise, plusieurs participants ont souligné qu’il était très difficile en pratique de démontrer et quantifier leurs effets. La littérature empirique et théorique a certes progressé ces dernières années mais les outils de mesures restent grossiers, et les canaux de transmission théoriques peu explicités − si bien que les économistes possèdent, en réalité, une compréhension encore assez schématique des facteurs qui déterminent le succès et l’ampleur des effets des réformes structurelles.

Le nouvel horizon des réformes structurelles (Session 2)

Alors que les précédentes décennies ont vu l’attention se focaliser en large partie sur les réformes de flexibilisation du marché du travail et d’amélioration des conditions de concurrence sur les marchés de biens et de service, les années à venir appelleront sans doute des réformes d’un nouveau type afin de trouver de nouveaux gisements de productivité et préparer les populations à un marché du travail en pleine mutation. Les panélistes de la seconde session, à qui il avait été demandé de dresser une liste des réformes prioritaires, ont recensé les axes suivants :

  • l’éducation et le capital humain, d’autant plus essentiels qu’à l’avenir la capacité de se former en continu sera plus importante que la formation initiale. Or l’Europe souffre de la comparaison avec le reste du monde, seulement deux pays figurant dans les dix premiers du classement PISA ;
  • la mobilité sociale, sur laquelle repose le contrat social européen et dont dépend la soutenabilité de nos modèles sociaux. Ainsi que l’ont relevé plusieurs participants cependant, la mobilité sociale est moins un domaine d’action que la résultante d’un ensemble de politiques dans des domaines divers (éducation, redistribution, etc.) ;
  • la réforme de l’administration et du secteur public. Les efforts de consolidation des dernières années ont reposé en large partie sur des baisses de dépenses et l’augmentation des prélèvements, sans réflexion stratégique sur les liens entre organisation de la sphère publique, efficience de la dépense publique et qualité des politiques publiques ;
  • la lutte contre la corruption, qui pèse sur les investissements étrangers, introduit des distorsions de concurrence nuisibles pour la productivité, et incite à l’émigration des travailleurs les plus qualifiés. D’autres participants ont évoqué la qualité des institutions et l’amélioration de la gouvernance, y compris au niveau européen ;
  • l’adaptation de la réglementation au numérique et la création d’un cadre pour les données générées par les utilisateurs (droits de propriété, etc.).

Ce recensement n’offre pas un panorama exhaustif des réformes possibles. Selon les pays, des réformes dans d’autres domaines (justice, logement, organisation territoriale, etc.) peuvent aussi être considérées comme prioritaires. Comme cela a été souligné en séance, l’état des connaissances sur l’impact économique de ce nouveau type de réformes et sur les « meilleures pratiques » paraît encore relativement pauvre et doit inciter les organisations internationales à développer des indicateurs et des grilles d’analyse permettant de comparer les pays entre eux.

Comment séquencer les réformes structurelles ? Où sont les complémentarités ? (Session 3)

Les effets des réformes peuvent être différents selon le moment de leur adoption (et notamment la position dans le cycle), selon qu’elles sont adoptées isolément ou qu’elles font partie d’un « paquet », ou encore selon qu’elles interagissent avec d’autres réformes qui peuvent se renforcer mutuellement ou se neutraliser. La stratégie de réforme doit tenir compte de ces éléments, de même qu’elle doit tenir compte de la contrainte de faisabilité politique.

En effet, comme l’a rappelé l’un des panélistes, les réformes structurelles génèrent des coûts à la fois financiers (ressources engagées pour compenser d’éventuels perdants, remise en cause des rentes, etc.) et politiques. Le « paquet » optimal doit viser à équilibrer des coûts et les bénéfices attendus des réformes, qui peuvent être démultipliés par deux types d’interactions : (i) l’existence de synergies entre réformes, qui permet d’accentuer les effets sur un objectif donné (élimination des barrières à l’entrée et réforme concomitante des régimes de faillite afin d’améliorer la productivité, par exemple) ; (ii) le fait que certaines réformes peuvent viser plusieurs objectifs à la fois (productivité et inclusivité par l’élimination des barrières à l’entrée et des politiques actives du marché du travail).

Plusieurs participants ont cependant rappelé que la question de la complémentarité entre réformes comme principe général n’était pas clairement démontrée et que les interactions se situaient à un niveau beaucoup plus spécifique qu’enseigné dans la littérature théorique (où il est question le plus souvent de réformes « du marché des produits » et « du marché du travail ») : entre réformes de l’assurance chômage et des politiques actives du marché du travail, par exemple, baisse du coin socio-fiscal et salaire minimum, etc. S’agit-il d’un débat avant tout théorique ? Pour certains participants, le débat sur le séquençage optimal néglige les contraintes et les réalités politiques et le fait que la fenêtre de tir pour réformer est généralement très courte : en pratique, la stratégie optimale se résume le plus souvent à faire le maximum tant que le contexte politique le permet.

Que peut faire l’Union européenne pour accompagner et encourager les réformes structurelles ? (Session 4)

Le rôle de l’Union européenne et de la Commission dans le suivi et la mise en œuvre des réformes nationales s’est renforcé ces dernières années avec la réforme du cadre de gouvernance économique (création de la procédure de surveillance des déséquilibres macroéconomiques, codification du semestre européen) et la mise en place de programmes d’ajustement dans certains pays en contrepartie de l’assistance financière. L’Union européenne reste, pour autant, un acteur périphérique dans les processus de réforme nationaux.

C’est la dernière session, consacrée au rôle que pouvait prendre l’Europe, qui a suscité les plus vifs débats de la journée. L’expérience récente est en effet colorée par les programmes d’ajustement dans les pays en crise, qui ont suscité une très vive défiance. Les programmes de réforme structurelle dans les pays en crise ont souffert d’évidentes erreurs de conception (prise en compte insuffisante des effets de l’ajustement budgétaire, caractère simultané des réformes et manque de ciblage, etc.), mais aussi de l’insuffisante prise en compte d’un facteur clef de la réussite des réformes : l’appropriation politique et l’adhésion nationale. De nombreux participants ont ainsi contesté la légitimité qu’avaient la Commission européenne et les autres États membres à jouer le rôle de prescripteurs extérieurs, ne voyant pas ou peu de rôle pour une coordination plus dense à l’avenir. D’autres ont au contraire appelé à rénover l’approche, au profit d’une démarche plus partenariale, moins moralisatrice, et tenant mieux compte de la dimension redistributive des politiques : c’est, en quelque sorte, le sens de la proposition récente de la Commission européenne d’amplifier l’assistance technique en soutien des réformes structurelles. Les participants se sont accordés pour considérer que la question centrale était maintenant de définir concrètement les nouveaux instruments à mettre à la disposition de l’Union européenne pour encourager et accompagner efficacement les réformes structurelles des États membres.

 

 


[1] La littérature empirique des dernières années a, en effet, montré que certaines réformes avaient des effets différenciés selon la position dans le cycle (et qu’il était dans la majorité des cas préférable de réformer en phase ascendante, même si cela dépend des réformes).

Programme

9h : Introduction – Kerstin Jorna, Commission européenne

9h15 : Session 1 – Réformes du marché des produits et du marché du travail – ce qu’il reste à faire et l’agenda pour l’avenir

Président : Luiz de Mello, OCDE
Alvaro Pereira, OCDE
Gilbert Cette, Banque de France
Christian Popa, Banque européenne d'investissements
Juan Jimeno, Banca d’España

11h30 : Session 2 – Un nouvel horizon pour les réformes structurelles : capital humain, innovation, réforme de l’action publique, système judiciaire, logement, collectivités locales

Présidente : Maria Jepsen, ETUI
Jean Pisani-Ferry, Hertie School & Sciences-Po
Brunello Rosa, Rosa & Roubini Associates
Klaus Masuch, Banque centrale européenne

14h : Session 3 – Comment préparer et séquencer les réformes structurelles ? Quelles complémentarités ?

Présidente : Mary Veronica Tovsak Pleterski, Commission européenne
Giuseppe Nicoletti, OCDE
Maria Demertzis, Bruegel
Romain Duval, FMI
Xavier Ragot, OFCE

16h15 : Session 4 – Comment l’Union européenne peut-elle soutenir les réformes ?

Président : Jean Pisani-Ferry, Hertie School & Sciences Po
Enrico Giovannini, Université de Rome Tor Vergata et LUISS Guido Carli University
George Papaconstantinou, GSP Advisory & LSE
Fabien Dell, Commission européenne
Luigi Zingales, The University of Chicago Booth School of Business

18h00 : Conclusion – Fabrice Lenglart, France Stratégie

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Date de publication: 
Vendredi 12 Janvier 2018
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