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Note d'analyse
Publié le
Vendredi 16 Décembre 2016
Pour éviter une hausse des températures synonyme de graves dérèglements climatiques, l’humanité doit fortement réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans les prochaines décennies. L’Accord de Paris a récemment fixé des objectifs ambitieux en ce sens. La France, dont la production d’électricité est déjà largement décarbonée, doit concentrer ses efforts sur quelques secteurs d’activité, dont celui du transport, à commencer par la voiture particulière. Il lui faudra choisir entre deux scénarios.
2017/2027 - Le véhicule propre au secours du climat - Actions critiques

Le premier suppose de développer une voiture thermique aux performances optimisées – consommant 2 litres aux 100 km – à horizon 2030 (la généralisation d’un véhicule à zéro émission n’intervenant que dans une seconde étape, renvoyée au-delà de 2050). Le deuxième scénario, plus radical, consiste à imposer rapidement le véhicule tout électrique sur l’ensemble du marché européen, en interdisant la vente des véhicules thermiques à l’horizon 2040, et leur circulation en 2050. Dans les deux cas, le défi est à la fois technologique, industriel et institutionnel et les pouvoirs publics — français et européens — devront assumer un rôle majeur de stratèges et d’incitateurs.

Une évolution climatique qui impose des objectifs ambitieux

Le rythme des changements climatiques observés en 2015 est décrit comme « inquiétant » et « sans précédent » par l’Organisation météorologique mondiale. L’année 2016 quant à elle se signale par une forte hausse de la température moyenne, qui est désormais supérieure d’environ 1,2 °C à celle prévalant à l’époque pré-industrielle, avec des épisodes dépassant de 20 °C les normales saisonnières dans l’Arctique. Cette évolution du climat a pour conséquence une montée en fréquence et en intensité d’événements climatiques et météorologiques comparables pour certains d’entre eux à de véritables catastrophes naturelles, avec des dommages matériels mais aussi humains de grande ampleur[1]. Dans un contexte où l’espoir de limiter la hausse de la température en dessous de 1,5 °C apparaît désormais quasi nul[2], la nécessité d’agir est plus urgente que jamais.

En fixant des objectifs ambitieux — contenir la hausse de la température de la planète sous les 2 °C et parvenir à la neutralité carbone dans la seconde moitié de ce siècle —, l’Accord de Paris adopté en décembre 2015 a permis de relancer la dynamique climatique mondiale. Cependant, pour atteindre de tels objectifs, il est impératif de diminuer les émissions mondiales d’environ 30 % supplémentaires à l’horizon 2030 par rapport aux engagements pris par les différents pays. Le premier bilan, qui sera dressé en 2018 par l’ONU (CCNUCC), conduira donc inéluctablement à de nouvelles négociations, visant à ce que l’ensemble des pays durcissent leurs engagements de réduction d’émissions.

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Si l’Union européenne et la France demeurent fidèles à l’esprit de l’Accord de Paris, ce en dépit du probable changement d’attitude des États-Unis que laisse augurer l’élection d’un président sensible aux thèses climatosceptiques, la logique voudrait même qu’elles se donnent pour objectif de parvenir à une société neutre en carbone dès le début de la deuxième moitié de ce siècle.

Une priorité pour la France : la baisse des émissions dans les transports

Dans l’Union européenne (UE), la production d’électricité provient pour moitié des énergies fossiles. Une priorité à l’échelle communautaire devrait donc être de fermer les installations thermiques correspondantes, à commencer par les centrales à charbon. En France, où la production d’électricité est presque entièrement décarbonée, les efforts de réduction doivent désormais se concentrer sur le transport (29 % des émissions en 2015, soit 130 MtCO2e dont 70 MtCO2e pour les véhicules particuliers), sur l’agriculture (20 %, soit 90 MtCO2e) et sur le résidentiel-tertiaire (19 %, soit 84 MtCO2e). Le secteur du transport constitue une cible de choix car ses émissions ont augmenté de près de 10 % depuis 1990.

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Réduire les émissions des véhicules automobiles constitue un défi à la fois technologique et industriel pour un secteur automobile européen contraint d’adapter ses produits tout en restant compétitif. C’est aussi un défi institutionnel, s’agissant des leviers que la puissance publique doit mettre en place, de préférence à l’échelle européenne.

À très court terme (2021), l’objectif de l’UE d’aboutir à un niveau moyen d’émissions des véhicules neufs vendus inférieur à 95 gCO2/km – soit environ 3,7 litres aux 100 km – semble à portée de main de la plupart des constructeurs. Mais à l’horizon 2050, une société neutre en carbone devrait reposer sur un véhicule à zéro mission : le véhicule électrique[4] semble aujourd’hui le meilleur candidat (même si d’autres technologies sont encore en lice) pour y parvenir. Reste à savoir sous quelles conditions sa production à grande échelle et son utilisation peuvent devenir plus avantageuses que celles du véhicule thermique.

Le véhicule électrique : une opportunité pour le monde de demain

Le véhicule électrique était jusqu’à présent réservé à un marché de niche, compte tenu de sa faible autonomie, comprise entre 100 km et 150 km. Cette contrainte est en passe d’être levée : les nouvelles performances de la motorisation et de la chaîne de traction ainsi que la chute du prix des batteries vont permettre la mise sur le marché de véhicules électriques qui, sans augmentation notable de leur prix, pourront parcourir 230 km à 350 km en conditions réelles[5], avec une centaine de kilomètres supplémentaires pour une recharge de trente minutes.

Le prix du véhicule électrique est aujourd’hui élevé. Pour un particulier, son coût d’usage n’est comparable à celui de son équivalent thermique que s’il bénéficie de la prime de 10 000 euros accordée par le gouvernement. Sinon, pour un véhicule d’une durée de vie de dix ans parcourant 13 000 km par an, ce coût est  supérieur d’environ 1 200 euros par an[6]. De même, dans les conditions technologiques actuelles, le bilan pour l’ensemble de la collectivité penche encore en faveur du véhicule thermique[7]. Pour trouver un coût équivalent (sans bonus), il faudrait porter la valeur de la contribution climat-énergie à 900 €/tCO2, soit environ 2,40 euros par litre de carburant, ce qui n’est pas imaginable aujourd’hui.

De leur côté, les constructeurs automobiles peuvent certes compter sur des subventions à l’achat destinées à faire décoller le marché (c’est le cas en France avec le bonus/malus), mais ces subventions peuvent être caduques une fois que le marché aura atteint sa maturité. Le pari industriel repose donc sur la capacité des constructeurs à fabriquer dans les prochaines années un véhicule (éventuellement low cost) dont le coût global pour l’usager serait comparable à celui du véhicule thermique. Ce pari est tenable si on prend en considération que le coût du véhicule thermique devrait augmenter à l’achat, sous l’effet du renforcement des normes d’émissions à l’égard non seulement des gaz à effet de serre mais aussi des autres polluants. Le défi sera néanmoins plus difficile à relever si le prix de l’électricité augmente et si le prix du carburant consommé par le véhicule thermique baisse dans le même temps. De fait, le progrès technique permet une moindre consommation des véhicules thermiques, tandis que l’essor du véhicule électrique exercera une pression à la baisse sur les prix du pétrole.

Par ailleurs, les véhicules électriques ne pourront se déployer de manière massive que si le réseau est en capacité de fournir l’électricité nécessaire à leur circulation. La difficulté réside davantage dans l’appel de puissance que dans l’énergie totale consommée. Un parc automobile français composé uniquement de véhicules électriques consommerait près de 90 TWh par an. Ce surplus de consommation est gérable : il correspond à 20 % de la consommation d’électricité française ou à la quantité d’électricité exportée par la France en 2015[8]. En revanche, la concomitance des recharges peut induire des appels de puissance considérables, que ne pourrait supporter notre système électrique. Un parc de 30 millions de véhicules électriques se rechargeant en même temps à 19 heures, même lentement à 3 kW, nécessiterait une puissance supplémentaire de 90 GW, soit un quasi doublement de la demande de pointe actuelle. Une gestion intelligente, visant à répartir la recharge sur 24 heures, doit donc être prévue dès le départ. Elle suppose la mise en place d’une structure tarifaire adaptée, évoluant en fonction de la demande, avec possibilité pour le gestionnaire du réseau d’interrompre les recharges, voire de soutirer l’énergie contenue dans les batteries des véhicules particuliers, quitte à rémunérer le service rendu[9].


1. Le coût annuel des aléas naturels est estimé pour la France à 48 milliards d’euros sur la période 1988-2013. Il pourrait s’élever à 92 milliards en 2040. Voir Association française de l’assurance (2015), Risques Climatiques : quel impact sur l’assurance contre les aléas naturels à l’horizon 2040 ?
2. “The 1.5ºC target has almost certainly already been missed because of the lack of action to stop the increase in global GHG emissions for the last 20 years” : FEU-US (Universal Ecological Fund) (2016), The Truth about Climate Change, rapport.
3. Avec un recalage à + 0,78 °C pour la période 2003-2012 par rapport à la période 1850-1900 (voir le cinquième rapport du GIEC, tome 1, chapitre 2).
4. Avec une batterie fabriquée dans un pays doté d’un système électrique propre.
5. Selon la capacité de la batterie qui, hier de 20 à 25 kWh, devrait être désormais comprise entre 40 et 60 kWh, voire plus pour certains modèles (consommation de 17 kWh pour 100 km).
6. Voir la feuille de calcul sur le site de France Stratégie.
7. Le bilan pour la collectivité inclut le coût des externalités négatives liées aux émissions de carbone (taxe climat-énergie de 30€/tCO2 en 2016, soit environ 8 cts€/l pour le diesel). Il exclut le restant de la fiscalité (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques ou TICPE, TVA et bonus/malus), qui correspond à un simple transfert entre agents économiques (des particuliers à l’État), neutre pour la collectivité prise dans son ensemble. Ce bilan fait lui aussi ressortir un surcoût de l’ordre de 1 200 euros par an pour le véhicule électrique. Néanmoins, en zone urbaine très dense, la valeur de l’externalité négative liée aux gaz d’échappement (émissions de NOx et de particules fines nocives) est importante ce qui rend, toutes choses égales par ailleurs, le véhicule électrique d’ores et déjà avantageux pour la collectivité lorsqu’il remplace un véhicule diesel mis en service avant 2000 (vingt fois plus émetteur de particules que les diesels neufs actuels).
8. Corrigée de l’effet météorologique, la consommation en France métropolitaine a été de 476,3 TWh en 2015 (source RTE). La France a exporté 91,3 TWh vers les pays voisins et importé 29,6 TWh.
9. Cette gestion intelligente devra être protégée contre les cyberattaques, notamment celle qui déclencherait la recharge de toutes les batteries en même temps pour provoquer la chute du réseau.

Auteurs

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Dominique
Auverlot
Anciens auteurs de France Stratégie