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Point de vue
Publié le
Jeudi 30 Mars 2017
Il y a 60 ans, six États signaient l’acte fondateur de la construction européenne : le Traité de Rome. Quelques années plus tôt, c’est notamment à l’Hôtel de Voguë, siège du Commissariat au Plan, aujourd’hui celui de France Stratégie, que se préparait cet acte fondateur. Jean Monnet, l’un des « Pères fondateurs » de l’Europe, était alors le Premier Commissaire au Plan (1946-1952).
Quel avenir pour le projet européen ?

À la veille du Sommet qui se tient à Rome, le 25 mars 2017, France Stratégie a organisé dans ce même Hôtel de Voguë, dans une salle qui porte symboliquement le nom de Jean Monnet, une conférence sur l’avenir du projet européen, avec trois autres organismes, l’OFCE, le CEPII, le CAE, et la Direction générale du Trésor, sous le haut patronage du Ministre de l’Économie et des Finances Michel Sapin.

Soixante ans après l’adoption du Traité de Rome, après avoir connu des avancées majeures et des réalisations concrètes, l’Europe présente un tout autre visage de celui qu’ont connu les pères fondateurs. Tout en passant de 6 à 28 membres, l’idéal de paix et d’unité est devenu réalité. Mais l’Europe connaît aujourd’hui une crise existentielle majeure et se trouve à la croisée des chemins. Il est plus que jamais nécessaire de construire un diagnostic commun sur la zone euro et le projet européen afin de définir un avenir partagé pour l’Union européenne.

Aujourd’hui, l’Europe affronte quatre crises fondamentales, auxquelles les Européens doivent répondre collectivement. La conférence visait à participer à cette réflexion, en revenant sur les accomplissements et les perspectives de la construction européenne. Les enjeux liés à l’architecture de la zone euro et les cinq scénarios définis par le Président Jean-Claude Juncker étaient au cœur des débats.

1. La crise de l’euro se prolonge, et la zone euro n’est pas équipée pour faire face à la prochaine crise. En l’absence d’un budget commun, la zone euro n’a pas de fonction de stabilisation macroéconomique. Or, la politique monétaire atteint ses limites pour amortir un nouveau choc.

C’est ici que la proposition de Fonds Spinelli trouve tout son intérêt : prévoir des prêts contingents pour former les personnes les plus vulnérables en cas de choc économique. Il s’agit d’un instrument de stabilisation macroéconomique, construisant les bases de la reprise par l’investissement dans le capital humain. C’est un mécanisme de solidarité mais qui peut être conçu sans transferts financiers entre les Etats. C’est un investissement social, que les bénéficiaires eux-mêmes remboursent car leurs revenus futurs augmentent.

2. L’Europe connaît une panne de l’intégration économique et sociale. Longtemps l’intégration soutenait la croissance et les Etats géraient la répartition de ses fruits (par les politiques sociales). D’une part, l’Europe a perdu la recette de l’intégration économique : depuis la fin des années 2000, peu d’avancées en la matière peuvent être mises à son crédit à l’exception de l’Union bancaire. D’autre part, les Etats ont perdu beaucoup de leurs marges d’action traditionnelles en matière sociale : l’optimisation fiscale réduit les recettes possibles sur les bases  fiscales les plus mobiles (le capital et le travail qualifié),  l’endettement public limite l’utilisation de l’outil budgétaire dans les pays qui en auraient besoin et les mutations technologiques fragilisent nos modèles sociaux.

C’est pourquoi l’agenda sur la convergence fiscale est un impératif : l’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés est une étape souhaitable mais insuffisante. Il y a des propositions intéressantes dans une note récente du Conseil d'analyse économique : revoir la directive sur les intérêts et les redevances (ce qui inclut les royalties liés aux marques et aux brevets) afin de permettre la taxation à la source. C’est une voie prometteuse concernant la juste taxation des acteurs du numérique.

De même, il faut lier la discussion sur la révision du budget de l’UE (du fait du Brexit mais aussi du nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2028) avec l’impératif de mieux accompagner les zones d’emploi et les régions qui sont affectées le plus durement par les mutations économiques et sociales, qu’elles soient dues à l’intégration économique ou au progrès technique.

Il faudra revoir les mécanismes même du budget européen pour qu’il soit plus réactif. Pour cela des mécanismes de garantie de prêt et la combinaison plus simple des subventions et des prêts type Plan Juncker sont à développer. C’est la philosophie du Fonds Spinelli : manier les bonnes incitations et utiliser les prêts plutôt que les subventions même si les deux peuvent se combiner.

La discussion est également devant nous concernant les deux gros morceaux du budget européen, la PAC et les Fonds de Cohésion, qui devront être mieux mobilisés pour la croissance, la justice sociale et la transition écologique.

Par rapport aux budgets nationaux, le budget européen doit se concentrer sur trois objectifs : la convergence entre les régions de l’UE, traiter les interdépendances entre Etats (typiquement sur le climat) et la solidarité en cas de situation entrainant des conséquences systémiques (les réfugiés mais aussi le chômage endémique des jeunes par exemple).

France Stratégie travaille sur ces sujets, et conviera l’ensemble des organismes présents à approfondir la réflexion commune sur chacun d’entre eux, notamment dans le cadre de la préparation du cadre financier pluriannuel.

Le pilier social a été peu évoqué lors de la conférence, par manque de temps. L’UE ne peut pas se désintéresser des situations individuelles et considérer que celles-ci relèvent uniquement du ressort des Etats. Il faut des actions concrètes au plus près des citoyens comme Erasmus ou la garantie jeune. C’est là une autre des vertus du Fonds Spinelli. Il est important d’élaborer une logique et des instruments pour l’action de l’Europe dans ce domaine. La Commission va publier différents documents sur ce thème dans la suite du Livre Blanc. France Stratégie prépare également une contribution pour dans les prochaines semaines.

3. L’instabilité du voisinage de l’Union européenne. Longtemps les seules politiques étrangères de l’UE se limitaient à l’élargissement et la politique commerciale (nouer des accords de libre-échange avec ses partenaires privilégiés). A l’exception du Royaume Uni et de la France, l’Europe considérait que le bouclier américain était suffisant pour sa politique de défense.

La déstabilisation du voisinage est à l’origine de deux crises majeures qui affectent le continent : la crise des réfugiés et les attaques terroristes.

Il commence à se dégager un nombre critique d’Etats membres pour avancer sur ce sujet avec des déjà des initiatives concrètes (notamment le fonds européen de défense) et d’autres à venir. On peut avoir bon espoir même si le chemin est compliqué à trouver.

Il y a un autre domaine pour lequel aucune voie ne se dégage concrètement, et que le Livre Blanc passe largement sous silence : quelles relations entre l’UE et ses voisins proches ? Quelle voie alternative à l’élargissement ou à un simple accord commercial ? Quel type de partenariat approfondi veut-on et peut-on offrir ?

La négociation avec le Royaume-Uni va certainement nous amener à devoir apporter des réponses nouvelles. De même, il faudra pouvoir proposer une autre voie que l’adhésion à la Turquie sans non plus la laisser dériver comme on l’observe aujourd’hui vers des rivages extrêmement préoccupants. C’est vrai pour la plupart des pays qui nous entourent, je pense au Maroc, à l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte… mais aussi bien-sûr au Royaume-Uni. On ne veut pas créer de nouveaux antagonismes. Il y a une nouvelle voie à inventer, à condition bien sûr que ces pays, et au premier rang le Royaume-Uni, le souhaitent.

Sur tous ces sujets, France Stratégie a organisé avec l’ESSEC, le Service Européen d’Action Extérieure, la Commission européenne et le Quai d’Orsay une conférence sur le rôle global de l’UE lundi 13 mars 2017.

4. La crise de légitimité. La confiance envers les institutions européennes est sérieusement entamée. Cela n’est pas propre aux institutions européennes puisque la défiance des citoyens est souvent encore plus forte envers leurs propres institutions nationales.

Pourtant, le soutien au projet européen et à la monnaie commune est encore majoritaire ; ce sentiment est même en progression depuis 2011.

Le paradoxe est que les Européens s’expriment majoritairement à la fois contre un transfert plus important de  pouvoirs aux institutions de l’UE et contre la sortie de leur pays de l’UE ou de la zone euro, tout en ne se satisfaisant pas du statu quo. Nous sommes faces au constat que l’Europe ne peut ni avancer, ni reculer, ni rester sur place. Ainsi, la méthode des petits pas théorisée par Jean Monnet s’est enrayée.

L’Europe doit donc changer de méthode. Elle doit présenter aux citoyens un choix entre des stratégies cohérentes et complètes, en indiquant leurs conséquences.

C’est là la démarche choisie par Juncker dans le Livre Blanc : ouvrir le débat avec les Etats membres et les citoyens. Il va falloir faire vivre ce débat. La conférence d’aujourd’hui en est un exemple, il faudra naturellement un débat beaucoup plus large.

Une des questions fondamentales qui animent la campagne présidentielle française est la fin de l’Europe telle qu’on la connait : sortie de la monnaie unique, fin des institutions européennes, bras de fer sur le Pacte de stabilité et de croissance… Il est indispensable que ceux des candidats qui défendent l’idée d’une évolution de l’Union européenne plutôt que d’une révolution précisent les termes du choix entre différents modèles pour le futur de l’UE. Ces idées et les analyses et réflexions liées ne sont pas encore assez présentes dans le débat aujourd’hui.

Michel Yahiel, Commissaire général de France Stratégie


La première session a débattu des avancées de la monnaie unique et des défis qu’elle pose en termes d’évolutions souhaitables de l’Union économique et monétaire. La deuxième session a été consacrée à l’analyse des cinq scénarios proposés par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, dans le livre blanc sur l’avenir de l’Europe paru le 1er mars 2017.

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Michel
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