Back to
Point de vue
Publié le
Mardi 27 Octobre 2015
Des travaux théoriques initiés notamment par Xavier Gabaix (2011) montrent que des chocs subis par des firmes individuelles peuvent avoir des effets très importants sur le reste de l’économie et engendrer des fluctuations économiques.
Les difficultés de Volkswagen risquent-elles d'affaiblir l'économie allemande ?

La propagation du choc initial subi par une grande firme résulte d’effets en cascade qui partent de cette entreprise et se diffusent vers celles qui utilisent directement et indirectement comme input les produits de l’entreprise affectée. Ce mécanisme de propagation est d’autant plus fort que l’entreprise est grande et/ou que sa production est nécessaire à un nombre élevé d’autres entreprises. Si par exemple EDF subit une rupture de production, celle-ci se répercutera sur l’ensemble de ses clients, notamment les entreprises, du fait non seulement de la taille d’EDF mais aussi du type de bien qu’elle fournit (l’électricité).

Les récents évènements qui affectent Volkswagen (VW) amènent à se poser la question de sa place dans l’économie allemande. Selon l’Euromonitor International, Volkswagen concentre un tiers des emplois situés dans le secteur automobile allemand.

L’entreprise est-elle suffisamment importante pour influencer la dynamique d’ensemble de l’économie allemande ? Existe-il un risque de contagion ?

Si l’on s’en tient au type de biens produits, l’impact du « choc Volkswagen » sur l’économie allemande devrait être limité : certes l’entreprise est grande, mais les automobiles ne sont pas un input majeur pour la plupart des autres entreprises (contrairement à l’électricité). Par ailleurs, d’autres producteurs lui sont facilement substituables. Cependant, les loueurs de voitures dont la flotte est constituée majoritairement de voitures du groupe Volkswagen, comme c’est de cas d’Europcar, leader du marché européen de location de voitures, pourraient être négativement affectés[1].

Une méthode pour mesurer les risques de répercussion sur l’économie

Une approche complémentaire, plus ancienne mais moins souvent exploitée dans l’analyse macroéconomique contemporaine, consiste à regarder non pas la propagation des chocs dans l’économie via les entreprises en aval, mais via les entreprises en amont : dans le cas étudié ici, la propagation du choc sur les fournisseurs et les sous-traitants de Volkswagen.   

À court terme, de tels canaux de propagation sont potentiellement − voire plus importants − que ceux qui passent par l’aval. C’est ce que montrent des travaux empiriques réalisés sur les firmes japonaises (Carvalho, Mirei et Saito, 2014). Ainsi, en 2011, les fournisseurs des entreprises de la région de Fukushima ont été davantage affectés que les clients des entreprises de cette région.

Si l’on s’intéresse maintenant à l’effet du « choc Volkswagen » sur l’économie allemande, en l’absence de données sur l’ensemble des fournisseurs et des entreprises clientes de la firme, on peut utiliser l’information disponible dans les tableaux « Entrées-Sorties » de l’économie allemande qui retracent les échanges clients et fournisseurs des 65 secteurs de l’économie entre eux[2]. Il est facile de mesurer le rôle de chaque industrie en tant que consommateur de biens intermédiaires (rôle sur l’amont du réseau) et en tant que fournisseur de biens intermédiaires (rôle sur l’aval du réseau).

Que nous disent ces mesures ? Le graphique 1 représente chaque secteur de l’économie allemande en fonction de trois caractéristiques, pour l’année 2010 :

  • la taille de la production du secteur dans le total de la production du pays (représenté par la taille des cercles) ;
  • l’influence en aval sur le réseau de production (axe horizontal) ;
  • l’influence en amont dans le réseau de production (axe vertical).

 

Graphique 1 - Taille relative, rôle aval et rôle amont des différents
secteurs de l'économie allemande en 2010

graphique1-billet-epaulard.jpg
Type d'image: 
Libre

graphique1-billet-epaulard.jpg, par fcausse

 

Source : données Eurostat, calculs des auteurs.

Le secteur automobile, représenté par le point rouge, est le plus gros secteur (5,6 % de la production) après celui des activités immobilières (environ 8 %), représenté par le point bleu. Bien que similaires en taille, ces deux secteurs ont un profil complètement diffèrent au sein de l’économie. Le secteur automobile est le secteur le plus important pour la consommation de biens intermédiaires (indicateur amont élevé) alors que son importance pour la fourniture de biens intermédiaires est limitée (indicateur aval faible), comme on pouvait s’y attendre pour un secteur producteur de biens surtout destinés aux ménages. Le secteur des activités immobilières est peu consommateur en biens intermédiaires (indicateur amont plutôt faible) mais irrigue en revanche le reste du réseau de production de l’économie allemande (indicateur aval très élevé).

Du fait du poids de Volkswagen dans le secteur automobile allemand, les difficultés actuelles de l’entreprise vont aboutir à une réduction de la production du secteur, ne serait-ce que parce qu’une partie de la demande pour les voitures diesel de la firme va disparaître sans effet de report total sur les autres entreprises allemandes du secteur automobile. L’impact sur les ventes est difficile à chiffrer, des spécialistes du secteur avancent une baisse de 6 % des ventes[3]. Compte tenu de la place de VW dans le réseau de production de l’industrie automobile allemande, on doit s’attendre à court terme à un effet direct non négligeable sur l’ensemble des industries via les fournisseurs du secteur. 

Au-delà de ces effets directs, doit-on prévoir aussi des effets de contagion susceptibles d’affecter la dynamique de l’économie allemande ? Ceci dépend des effets indirects ou de cascade. Ces effets qui transitent par les fournisseurs des fournisseurs du secteur automobile seront d’une ampleur qui peut être mesurée par l’indicateur amont de second ordre. Cet indicateur tient compte non seulement des effets directs en amont de l’industrie automobile, mais aussi des effets de répercussions sur les fournisseurs des fournisseurs de l’industrie automobile. Ainsi, les effets de cascade seront d’autant plus importants que l’indicateur amont de second ordre est élevé.

Les indicateurs amont et amont de second ordre sont représentés sur le graphique 2 qui fait apparaître la spécificité du secteur automobile allemand (le point rouge) : non seulement celui-ci est un grand utilisateur de la production des autres secteurs (indicateur amont élevé), mais ses fournisseurs sont eux-mêmes de gros utilisateurs de la production des autres secteurs, ce qui se traduit par un indicateur amont de second ordre très élevé. On doit donc s’attendre à des effets en cascade sur l’ensemble de l’économie allemande induits par le choc initial qui touche Volkswagen.

Graphique 2 - Influence en amont directe (amont) et totale (amont 2è degré)
des secteurs de l’économie allemande en 2010

graphique2-billet-epaulard.jpg
Type d'image: 
Libre

graphique2-billet-epaulard.jpg, par fcausse

 

Source : données Eurostat, calculs des auteurs.

On remarquera qu’un indicateur amont initial élevé ne se traduit pas nécessairement par des effets en cascade très significatifs. Par exemple, le secteur de la construction (en orange sur les graphiques) se caractérise par un indicateur amont élevé et une taille importante, mais l’effet initial d’un choc sur le secteur de la construction n’est pas amplifié par la prise en compte des effets de cascade. 

Que retenir de ces estimations ?

  • Tout d’abord que l’importance du secteur automobile pour l’économie allemande va au-delà de sa part dans la production en raison des effets en cascade élevés que celui-ci peut engendrer via ses fournisseurs. Aucun autre secteur n’étant à ce point crucial pour l’économie allemande dans son ensemble, il est donc légitime de s’en inquiéter, au moins à court terme.  
  • Pour autant, cette analyse assez mécanique n’est pas suffisante pour en déduire la fin de la bonne santé de l’économie allemande. L’impact du « choc Volkswagen » sur l’économie allemande dépendra (i) du comportement des clients et des effets de report vers d’autres constructeurs allemands ou étrangers, (ii) de la stratégie de la firme, notamment vis-à-vis de ses fournisseurs étrangers relativement à ses fournisseurs allemands, (iii) de la capacité des fournisseurs à s’adapter à une réduction de la demande pour cette marque.
  • Néanmoins, à court terme, le temps que ces fournisseurs s’ajustent, on doit s’attendre à un effet dépressif sur l’économie allemande.

 Références

Carvalho Vasco M., Makoto Nirei, and Yukiko U. Saito (2014), “Supply Chain Disruptions: Evidence from Great East Japan Earthquake,” Discussion Paper, Research Institute of Economy, Trade and Industry (RIETI).

Gabaix X. (2011): “The Granular Origins of Aggregate Fluctuations,” Econometrica, 79, 733–772.


1] Neil King, « The VW Emission Scandal Poses a Threat to Europcar’s lead in Western Europe’s Car Rental Sector”, blog Euromonitor, October 17, 2015.

[2] Tableaux qui retracent les échanges clients et fournisseurs des secteurs dans l’économie, disponibles sur le site EUROSTAT.

[3] Neil King, « VW Will Inevitably Lose its Global Sales Crown as a Result of the Emission Scandal », Blog Euromonitor, September 24 2015.

 

Auteurs

Homero Martinez

Sur le même sujet

Tous nos travaux sur  :