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Point de vue
Publié le
Vendredi 18 Décembre 2015
Par Dominique Auverlot. La France a relevé le défi : l’Accord de Paris est signé. Après de longues nuits de négociations, les 195 négociateurs se sont entendus sur un texte qui réunit pour l’avenir de l’humanité les pays développés et les pays en développement, dans le respect de l’équité, de leurs responsabilités communes mais différenciées, et de leurs capacités respectives.
L'Accord de Paris : un accord bottom-up universel qui doit être traduit dans les actes

Qualifié d’historique par le gouvernement français, de tournant par la Maison Blanche, de triomphe pour l’humanité et la planète par le Secrétaire général des Nations unies[1], de nouveau chapitre par le Ministre de l’environnement indien et de succès essentiel par le représentant de la Chine, l’Accord de Paris devrait relancer la dynamique mondiale en faveur d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre et donner un signal fort,  selon les termes de John Kerry, aux acteurs économiques et industriels pour innover dans les technologies bas carbone. Il relance enfin l’espoir de voir se conclure des accords mondiaux multilatéraux. Son préambule, rédigé sous la direction de la ministre de l’environnement du Venezuela,  est intelligent et lucide. Il met en avant[2] les droits des peuples indigènes, des communautés locales, des peuples vulnérables au changement climatique ainsi que les notions d’équité intergénérationnelle, de justice climatique et de protection des écosystèmes (en particulier des océans) et de la biodiversité, évoquant ainsi ce que certaines cultures – notamment sud-américaines – désignent par la Terre Mère.

Sept dispositions méritent d’être évoquées :

  •  l’Accord de Paris rehausse l’ambition climatique en adoptant comme objectif une augmentation de température nettement inférieure à 2 °C et en envisageant la poursuite des efforts nécessaires pour ne pas dépasser 1,5 °C. Dans les derniers jours de la Cop, une question de fond a suscité un intense débat : les pays qui subissent déjà les effets du réchauffement climatique voulaient que le protocole acte la nécessité de ne pas dépasser une élévation de 1,5 °C et en faisaient un point dur de la négociation. Les petits Etats insulaires, les pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, certains pays Africains, mais aussi le Népal, la Bolivie et le Nigéria, se sont vus ici soutenus par une coalition dite « pour une haute ambition » rassemblant près de 80 pays, dont les Etats-Unis, l’Union européenne et le Brésil (en décalage avec les autres « Basic », Afrique du Sud, Inde et Chine). Dans son discours d’ouverture, le Président de la République française avait évoqué cet objectif de 1,5 °C en termes prudents, précisant que cet objectif ne devait être retenu que « si c’était possible ». Un certain nombre de pays pétroliers dont l’Arabie saoudite, le Venezuela et la Russie (rejoints par l’Inde qui souhaitait préserver son développement) voulaient au contraire, dans les premiers jours de la Cop, en rester à l’objectif de Cancun de ne pas dépasser 2 °C. Les conséquences de telles options sont loin d’être négligeables : maintenir une température inférieure à 1,5  °C nous obligerait à réduire à un chiffre voisin de zéro les émissions mondiales à partir de 2025. Ainsi que le souligne Jean Jouzel, cet objectif est quasiment inaccessible (à moins d’absorber dans le futur plus de CO2 que l’on en émet à l’échelle mondiale). Son maintien dans l’accord permet cependant de montrer l’attention que porte la communauté internationale aux pays déjà victimes du changement climatique : les remerciements du représentant des Philippines en clôture de la Cop et le témoignage d’une jeune femme des Iles Marshall évoquant sa peur de la montée des mers ont illustré les drames et le souci de survie auxquels sont confrontés ces pays. Au fond, la mention de cet objectif de 1,5 °C dans l’Accord montre que le changement climatique est déjà perceptible en certains endroits de la planète et qu’il nous faut agir rapidement pour limiter l’augmentation de la température au seuil le plus bas possible ;
  • l’Accord en déduit logiquement la nécessité d’atteindre aussi rapidement que possible un pic mondial d’émissions (en reconnaissant que cela demandera plus de temps pour les pays en développement). Il introduit aussi, ce qui est une innovation, la notion de neutralité carbone : une fois leur pic d’émissions passé, les Etats s’engagent à réduire rapidement leurs émissions afin d’atteindre à l’échelle mondiale une neutralité carbone dans la seconde moitié de ce siècle. Cette formulation est extrêmement importante : elle suppose un accroissement massif des puits de carbone (lutte contre la désertification, reforestation, etc.) et un développement accéléré de solutions technologiques de retrait du carbone de l’atmosphère (capture directe de CO2 dans l’atmosphère, combustion de biomasse et d’hydrocarbures avec capture et stockage du carbone, pratiques d’agroécologie et d’agroforesterie qui maximisent le stockage dans les sols, etc.). Surtout, à moins d’un développement massif de ces solutions technologiques, elle pourrait marquer à cet horizon la fin des énergies fossiles, autrement dit la fin du charbon, du gaz et du pétrole. Elle donne ainsi un signal extrêmement fort dans la lutte contre le changement climatique et restera probablement un des points marquants de cet Accord ;
  •  l’Accord de Paris confirme la volonté des Parties de mettre en œuvre le mécanisme adopté à Varsovie pour prendre en compte les pertes et dommages liées aux catastrophes climatiques. L’expression désigne[3] les impacts « d’événements météorologiques extrêmes et d’événements au déroulement lent », parmi lesquels l’élévation du niveau de la mer, la hausse des températures, l’acidification des océans, la fonte des glaciers, la salinisation, la perte de biodiversité, la désertification, la déforestation. La prudence des Américains, qui craignent de se voir imputés ces catastrophes climatiques,  les a amenés à introduire un article[4] indiquant que l’accord ne pouvait servir de base à une demande juridique en vue de compenser les dommages liés aux effets climatiques. Plusieurs pays en développement s’en sont émus et ont déjà annoncé leur intention de relancer ce point dans les prochaines Cop ;  
  • les Décisions et l’Accord de Paris confirme que les pays développés verseront d’ici 2020 100 milliards de dollars aux pays en développement (ceux-ci pouvant également contribuer). Au-delà de 2020, il prévoit une augmentation de ce montant pour aider les pays en développement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ainsi qu’à s’adapter et à accroître leur résilience aux évolutions du climat. A plus court terme, les décisions demandent aux pays développés d’augmenter leurs financements et de publier la feuille de route montrant que cette somme de 100 milliards de dollars sera bien atteinte en 2020. Par ailleurs, compte tenu des divergences sur le montant des sommes actuellement versées par les pays développés aux pays en développement, des études sont prévues afin de préciser la réalité des flux financiers. Dans une conférence de presse à Paris, les ministres de l’environnement indien, brésilien et de l’Afrique du sud ainsi qu’un négociateur chinois ont en effet exprimé leurs doutes sur le chiffre de 62 milliards avancé par l’OCDE et réclamé la mise en place d’une méthodologie de calcul claire et transparente. Le ministère des finances indien avait publié fin novembre un texte[5] extrêmement critique à l’égard de la méthodologie retenue par l’OCDE ;
  • les Décisions et l’Accord de Paris demandent à tous les pays de réviser leurs engagements de réduction tous les cinq ans (en accroissant leurs efforts), ce qui conduit chaque Etat à développer une vision de son devenir énergétique et à la mettre en œuvre. Un bilan mondial quinquennal des efforts réalisés sera établi en 2018 puis tous les cinq ans, pour permettre aux Etats des révisions en conséquence ;
  • l’Accord crée un cadre de transparence améliorée dans lequel chaque Etat fera part de l’avancement de ses actions de réduction et d’adaptation, des progrès de sa « contribution nationale » désormais désignée par l’acronyme NDC ( Nationally Determined Contribution), ainsi que des transferts financiers et technologiques. Ces informations, qui devront tenir compte des spécificités des pays en développement, seront soumises à une revue technique d’experts qui sera chargée de proposer des voies d’amélioration ;
  • l’Accord décide de créer un comité dit Comité de Paris pour aider les pays en développement à créer les conditions nécessaires (la formation, les connaissances, les soutiens publics, l’expertise scientifique et le savoir-faire politique) pour réduire leurs émissions et s’adapter au changement climatique.

L’Accord de Paris sera officiellement signé à l’ONU le 22 avril 2016, journée internationale de la Terre-Mère. Il entrera en vigueur un mois après avoir été approuvé par 55 Parties à la Convention représentant au moins 55 %  des émissions mondiales de gaz  effet de serre pour l’année 2013[6].

Ce succès est d’abord celui des efforts de la diplomatie française depuis de nombreux mois et, plus particulièrement, de son ministre des affaires étrangères qui a véritablement guidé les travaux de la conférence. L’écoute dont il a fait preuve, la confiance qu’il a inspirée auprès des délégués, selon leurs propres déclarations, le climat positif qu’il a su instaurer ont été des éléments déterminants dans l’achèvement des négociations. Il s’est montré efficace dans la dernière ligne droite de la Cop en arrêtant les discussions et en approuvant, à la manière du président de la Cop de Doha, l’accord sans laisser aux délégations le soin de prendre la parole (ce que le Nicaragua a dénoncé comme un coup de force). De nombreux remerciements ont été également adressés par les Parties à la Secrétaire exécutive de la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques), à l’Ambassadrice française pour le climat et à tous leurs collaborateurs et bien sûr aux représentants de la société civile. Cet Accord n’aurait pu enfin être obtenu sans l’engagement des gouvernements américain et chinois. La Chine et les pays émergents ont en particulier accepté de renoncer à l’ancienne division de l’annexe deux du protocole de Kyoto entre pays émergents et pays développés, même s’ils ont souhaité que soit maintenu un principe de responsabilité commune mais différenciée.

Avant même son ouverture, la conférence de Paris a connu un premier succès : 183 Etats, représentant plus de 95 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ont remis au secrétariat de la CCNUCC leur contribution nationale à la lutte contre le réchauffement climatique. C’est la première fois qu’autant de pays s’engagent de concert dans un tel exercice. Le Venezuela a de plus annoncé en clôture qu’il venait de rendre son exercice

Deuxième succès incontestable : tout au long des deux semaines qu’aura duré la conférence, se sont succédé des annonces d’engagement et de solutions concrètes de la part de groupes d’Etats, d’industriels, de collectivités, mais aussi de représentants du monde de la finance, qui ont montré qu’ils agissaient sans plus attendre. Citons notamment l'Alliance solaire internationale, lancée le premier jour à l’initiative de l’Inde, en étroite coopération avec la France, qui vise à créer une plateforme de coopération pour les pays développés disposant de technologies dans le solaire et les pays en développement situés entre les tropiques du Cancer et du Capricorne. Citons également le lancement de la Mission innovation par laquelle 20 États signataires s’engagent à doubler leur budget de R & D sur les énergies propres en l’espace de cinq ans – initiative qui sera accompagnée par des capitaux privés. Ou le soutien apporté à une initiative africaine de développement des énergies renouvelables en Afrique. Citons enfin l’engagement des élus locaux à avancer vers une énergie 100 % renouvelable sur leurs territoires ou vers une réduction de 80 % de leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. La liste est longue et impressionnante.

Cet Accord qui, dans l’esprit des travaux d’Elinor Ostrom[7], cherche à intégrer les initiatives des entreprises, des territoires et des collectivités, mais aussi des ONG et des citoyens, permettra-il d’écarter le spectre de cette « tragédie » des biens communs que constituerait une augmentation de température de notre planète de plus de 2 °C à la fin du siècle ? La réponse est ambiguë. Elle est négative lorsqu’on considère la somme des engagements pris aujourd’hui par les différents Etats : alors que nous devrions commencer le plus rapidement possible à baisser les émissions mondiales pour espérer limiter l’augmentation de température sous le seuil de 2 °C, celles-ci devraient continuer à croître sur toute la période et être supérieures en 2030 d’environ 10 % aux émissions actuelles.

De manière schématique, les efforts des États-Unis et de l’Union européenne réussissent à compenser l’augmentation des émissions chinoises, ainsi que le montre le tableau ci-dessous, établi à partir des contributions nationales (INDC) transmises avant la COP.

T CO2eq

1990

2012

2030

Différence

Chine

3 218

10 684

12 516

+ 1 932

US

5 744

  5 823

  5 366

-     457

UE

4 638

  4 123

  2 783

-  1 340

Russie

2 564

  2 255

  1 859

-     396

Japon

1 116

  1 207

  1 042

-     165

Corée

   261

     661

     536

-     125

Canada

   682

    856

     524

-     332

Total

18 223

25 609

24 626

-     983

Source : INDC Update, n° 5, October 1st, 2015
www.factorco2.com/comun/docs/171-INDC%20UPDATE%205%20Factor_%20COP%2021.pdf

Mais si nous ajoutons l’Inde, le raisonnement s’inverse totalement : l’Inde qui comptera près de 1,5 milliard d’habitants en 2030 peut voir ses émissions passer de 3 à 6  milliards de tonnes de CO2 voire à 9 milliards[8] en 2030 selon que l’on est optimiste ou non : les chiffres correspondants d’émissions de gaz à effet de serre par habitant de 4 à 6 tCO2 seraient encore inférieurs à ceux des émissions actuelles de l’Union europénne (légèrement inférieurs en 2014  à 9 tCO2).

Inde

  1 212

  2 887

  6  Gt

+ 3,1  Gt

Total

19 435

28 496

30,6  Gt

+ 2,1  Gt

Source : INDC Update, n° 5, October 1st, 2015, pour 1990 et 2012 ; France Stratégie pour 2030

Une telle évolution signifierait presque inéluctablement l’épuisement vers 2040 du budget carbone dont nous disposons pour ne pas dépasser 2 °C. Autrement dit, nous ne réussirions à contenir le réchauffement de climat ni en-dessous de 1,5 °C, ni même en dessous de 2° C…

L’évolution est cependant plus positive lorsqu’on considère l’Accord de Paris comme un texte méthodologique fixant des points de rendez-vous réguliers à toutes les Parties afin qu’elles puissent réviser leurs engagements. Les Décisions et l’Accord prévoit ainsi une estimation des efforts globaux de réduction en 2019, 2023 puis tous les cinq ans ainsi que la révision des INDC en 2020 puis tous les cinq ans. Dans la dernière ligne droite des négociations a été en outre introduite une référence à un chiffre mondial d’émissions à 2030 de 40 GtCO2e qui devrait être respecté pour limiter l’augmentation de température sous les 2°C, alors que les engagements volontaires des Etats nous placent sur une trajectoire d’émissions d’environ 56 à 57 GtCO2e en 2030[9] et nous conduisent, selon le PNUE (Programme des Nations Unies pour l'environnement), à une augmentation de température voisine de 3 °C. L’enjeu est donc désormais clair : nous devons dans les prochaines années accroître l’ambition des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre des différents pays.  On peut cependant regretter que ce processus de révision ne soit engagé que dans quatre ans alors que ces engagements sont notoirement insuffisants : le Président de la République a néanmoins annoncé qu’il ferait « la proposition que les pays qui veulent aller plus vite puissent réactualiser avant 2020 tous leurs engagements ».

Plus fondamentalement, l’Accord de Paris s’inscrit bien dans une logique bottom-up où chaque pays apporte les objectifs de réduction et les financements qu’il est prêt à consentir. Mais, et c’est probablement la principale interrogation que l’on peut avoir sur son efficacité, il n’a pas réconcilié la nécessaire réduction mondiale des émissions (40 GtCO2e à 2030) avec le résultat des INDC qui lui reste très supérieur (56 à 57 GTCO2e à cette date). Tout au plus, les considérants de la décision soulignent avec inquiétude l’urgence qui s’attache à résoudre le contraste entre les émissions annoncées dans les INDC et les émissions mondiales qu’il serait nécessaire d’atteindre pour aboutir à une élévation de température bien en dessous de 2 °C (voire pour se rapprocher de 1,5°C). En un mot, l’Accord de Paris n’a pas pour le moment permis de résoudre le problème qui se pose lorsqu’on passe d’une démarche top-down à la Kyoto en répartissant un objectif mondial entre tous les pays à une démarche bottom-up prenant en compte les engagements volontaires de réduction des différents pays qui, au total, ne sont pas suffisamment ambitieux. Compte tenu de l’état actuel des opinions publiques et des relations diplomatiques, l’Accord de Paris ne pouvait probablement pas résoudre ce problème. Il met néanmoins en place une gouvernance qui pourrait permettre cette révision. On peut en effet espérer que sous l’impulsion des générations plus jeunes et d’un certain nombre de pays, une prise de conscience intervienne dans les cinq à dix prochaines années sur la nécessité de réduire beaucoup plus fortement et beaucoup plus rapidement nos émissions de gaz à effet de serre : c’est le sens du paragraphe[10] au début du texte adopté par la COP21, qui dénonce l’écart entre les objectifs et les actes et souligne la nécessité de le combler. Dans ce cas, les différents Etats adopteraient des objectifs beaucoup plus ambitieux dans leur NDC et l’Accord de Paris aura rempli sa mission. Soyons cependant lucides sur la signification d’une telle prise de conscience mondiale : elle se traduirait, y compris dans notre pays, par des transformations économiques non négligeables, vraisemblablement rapides, et qui devront être anticipées si on veut qu’elles se déroulent dans de bonnes conditions.

Trois éléments sont vraisemblablement nécessaires pour réussir ce « rehaussement » des ambitions. Un développement accru des technologies bas carbone tout d’abord : le signal envoyé par l’Accord de Paris devrait le favoriser. Le deuxième élément tient au financement de la lutte contre le réchauffement climatique. L’accord de Paris confirme l’engagement de Copenhague d’un versement en 2020 de 100 milliards de dollars aux pays en voie de développement, et le prolonge en envisageant une augmentation de cette somme après 2020. Mais, au-delà de cette somme, il faut chercher à ce que les nouveaux investissements, dans les pays développés comme dans les pays en développement, nous amènent vers une économie de plus en plus décarbonée. Un prix mondial du carbone permettrait de réduire la dépense et constituerait donc la meilleure solution selon les économistes. Cet objectif est probablement hors d’atteinte aujourd’hui, compte tenu de la disparité du niveau de vie des différents pays. Dès lors, plusieurs économistes envisagent des financements innovants s’appuyant soit sur des certificats carbone, soit sur les banques centrales. Jean-Michel Hourcade, Michel Aglietta, Etienne Espagne et Baptiste  Perrisin Fabert proposent à cet effet un mécanisme de certificats carbone qui seraient donnés aux porteurs de projets décarbonés[11] et qui reposeraient sur une valeur de référence du carbone. Les économistes risquent cependant d’être déçus. Si certains rêvaient d’un prix mondial du carbone, plusieurs pays, l’Arabie saoudite et le Koweit notamment, restent farouchement opposés à toute idée de tarification du carbone qui gênerait leur croissance ou qui menacerait leur intégrité environnementale. Le Venezuela s’est ainsi plaint que cette notion réapparaissait dans la version de mercredi de l’accord alors qu’elle aurait dû être éliminée. Cette idée apparaît néanmoins à deux endroits dans la décision accompagnant l’accord final :

  • d’abord sous forme d’une périphrase reconnaissant la valeur sociale, économique et environnementale des actions de réduction et leurs co-bénéfices pour l’adaptation, la santé et le développement durable ;
  • puis sous forme d’une phrase plus claire (qui figure dans une rubrique s’adressant aux acteurs non étatiques) reconnaissant le rôle important d’un prix du carbone dans les incitations à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Dans son discours de clôture, le Président de la République française a de plus évoqué l’idée, que, sans attendre, un prix du carbone destiné à soutenir l’investissement dans une économie bas carbone[12] pourrait être mis en place dans le cadre d’un regroupement d’Etats volontaires.

Cette idée s’inscrit ainsi dans la suite du lancement, le 30 novembre,  d’une « coalition des leaders pour une tarification du carbone » qui associe la Banque mondiale, le FMI et plusieurs chefs d’État. Celle-ci doit maintenant se concrétiser pour définir une trajectoire souhaitable de la valeur du carbone et encourager un maximum de Pays à adopter les instruments nécessaires au respect de cette trajectoire que ce soit à travers une fiscalité directe de l’énergie, des certificats carbone garantis, un prix plancher des marchés du carbone, des liens entre les différents marchés de carbone, voire des mécanisme de taxation du carbone ajouté ou des taxes aux frontières vis-à-vis des pays qui ne voudraient pas rentrer dans cette coalition.

Troisième réflexion : de la croissance, emblématique de celle des pays en développement, des émissions de l’Inde et de la capacité de son gouvernement à décliner ses engagements dans un Etat de plus d’un milliard d’habitants confronté à d’immenses problèmes de pauvreté dépendra en grande partie la progression ou la stagnation, voire la réduction, des émissions mondiales de gaz à effet de serre et notre capacité à ne pas dépasser le 2°C. Ce pays doit donc être au cœur de la réflexion de la solidarité mondiale et des prochaines COP. Le pari que fait l’Inde dans son INDC transmis au secrétariat de la CCNUCC consiste à limiter l’augmentation de ses émissions grâce à un très important déploiement d’énergies renouvelables, à l’augmentation de sa production d’électricité décarbonée, à une forte réduction de son intensité énergétique et à une extension de sa forêt, qui constitue un puits de carbone : ces initiatives doivent être  soutenues. Le lancement, à l’initiative de l’Inde, d’une Alliance mondiale pour le solaire va dans ce sens.

Soulignons également que les secteurs aérien et maritime ne sont pas couverts par des INDC et sont absents de l’Accord de Paris. On ne peut que le regretter même si le responsable de l’Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) considère cette absence comme une preuve de la confiance accordée à un secteur aérien qui a pris pour engagement d’aboutir à une croissance neutre en carbone au-delà de 2020. Le secteur aérien a cependant un rendez-vous important en septembre 2016, lors de la prochaine assemblée générale de son organisation : à la suite des actions menées par l’UE, l’OACI s’est en effet donné trois ans jusqu’en 2016 pour mettre en place un système international d’échange de quotas d’émissions. Compte tenu de cet engagement, la Commission européenne a suspendu l’initiative qu’elle avait prise d’intégrer les vols internationaux dans son système ETS : au vu des décisions que prendra l’OACI l’année prochaine, le commissaire européen aux transports devra gérer la suspension de la mesure au-delà du 31 décembre 2016, en bonne entente avec l’OACI et la communauté internationale.

Rendez-vous est donc donné à Marakkech l’an prochain pour la Cop 22 qui devrait permettre, selon les propos de la ministre déléguée à l’Environnement du Maroc, de développer des outils opérationnels dans le cadre du plan Paris-Lima, puis Paris-Marrakech. Dès maintenant, des coalitions d’Etat ou d’acteurs internationaux pourront cependant décliner les nombreuses annonces faites en parallèle de la COP et qui vont au-delà de l’Accord de Paris. En outre, le signal donné à Paris devrait inciter les acteurs industriels à innover et à accélérer le développement des technologies n’utilisant pas les combustibles fossiles.

 


[1] “The Paris Agreement is a monumental triumph for people and our planet,” said Mr. Ban in a tweet, immediately following its adoption. “It sets the stage for progress in ending poverty, strengthening peace and ensuring a life of dignity and opportunity for all.”

[2] Acknowledging that climate change is a common concern of humankind, Parties should, when taking action to address climate change, respect, promote and consider their respective obligations on human rights, the right to health, the rights of indigenous peoples, local communities, migrants, children, persons with disabilities and people in vulnerable situations and the right to development, as well as gender equality, empowerment of women and intergenerational equity,

[3] Décision 1/CP.16, note de bas de page accompagnant le paragraphe 25.

[4] The Conference of the Parties agrees that Article 8 of the Agreement does not involve or provide a basis for any liability or compensation.

[6] Ces émissions sont précisées dans un tableau figurant sur le site de l’UNFCC.

[9] nous émettons aujourd’hui 52 GtCO2 ; la tendance naturelle devrait conduit à des émissions de 65 GtCO2 en 2030 ; avec les INDC, les émissions à 2030 continueraient d’augmenter et devraient être de 56 à 57 GtCO2.

[10] “The Conference of the Parties, emphasizing with serious concern the urgent need to address the significant gap between the aggregate effect of Parties’ mitigation pledges in terms of global annual emissions of greenhouse gases by 2020 and aggregate emission pathways consistent with holding the increase in the global average temperature to well below 2 °C above pre-industrial levels and pursuing efforts to limit the temperature increase to 1.5 °C”.

[12] « "Je m'engage, avec d'autres pays, s'il veulent nous rejoindre, pour former une coalition pour aboutir à un prix du carbone pour que les investissements puissent être réorientés."

Auteurs

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Dominique
Auverlot
Anciens auteurs de France Stratégie
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