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Point de vue
Publié le
Vendredi 23 Mai 2014
Prospective des métiers et des qualifications : Quelle démarche suivre à l’échelon régional ?, par Frédéric Lainé, Commissariat général à la stratégie et à la prospective et Aline Valette-Wursthen, Centre d’études et de recherches sur les qualifications*.
PMQ : Quelle démarche suivre à l’échelon régional ?

Anticiper les emplois, les métiers, les compétences et les qualifications de demain pour permettre aux individus et aux entreprises de mieux maîtriser leurs choix pour le futur, et éclairer les décisions des acteurs publics et économiques, est un pari ambitieux qu’il est nécessaire de relever, tant l’environnement actuel est instable et complexe.

Encouragés par les pouvoirs publics, de nombreux acteurs se sont saisis du sujet ces dernières années, au niveau national (Commissariat général à la stratégie et la prospective et DARES…), sectoriel (observatoires des branches, de filières…) ou encore régional (observatoires régionaux emploi-formation, Conseils régionaux, Conseils économiques, sociaux et environnementaux). Le foisonnement des travaux de prospective métiers et qualifications réalisés, mobilisant des sources variées, des méthodologies différentes, reposant sur des objectifs et des usages multiples, rend toutefois l’ensemble des travaux relativement peu lisibles.

Éclairer les enjeux, les méthodes utilisées et valoriser les bonnes pratiques constitue donc une première étape destinée à renforcer cette visibilité. C’est par l’entrée régionale que cet éclairage est proposé à travers le document méthodologique « Prospective des métiers et qualifications : quelle démarche suivre à l’échelon régional ». Le niveau régional présente l’avantage d’être l’échelon pertinent de collaboration entre les acteurs, d’élaboration et de mise en œuvre de plans d’action opérationnels. Apporter une vision des évolutions possibles des métiers ou des secteurs d’activité selon les postes à pourvoir (évolutions d’emploi et départs en fin de carrière), proposer une lecture des évolutions des compétences ou de l’insertion des jeunes, repérer les territoires potentiellement fragiles ou dynamiques au regard de leurs structures de qualifications permet d’orienter les stratégies et les actions mise en œuvre par les branches, les entreprises, le service public de l’emploi et de l’orientation, les acteurs de la formation initiale et continue, pour préparer le futur du territoire.

Des enjeux d’opérationnalité et de mobilisation des acteurs autour d’un projet de territoire fédérateur

De façon très pragmatique, la prospective des métiers et qualifications est destinée à éclairer l’action publique et celles des acteurs économiques – et au final, les choix des individus, en abordant les questions d’évolution du nombre d’emplois par métiers ou familles de métiers et les départs en fin de carrière afin d’estimer les postes à pourvoir. La prospective peut aussi aborder les perspectives de mobilités professionnelles, de modes d’alimentation des métiers, d’insertion des jeunes, d’évolution des besoins en compétences, et celle de l’offre de formation. Ces évolutions impliquent de s’interroger également sur les mutations économiques : comment les secteurs ou les filières vont évoluer sur le territoire ? Quels impacts auront les évolutions technologiques, démographiques, sociales et sociétales, les contraintes environnementales ou encore les concurrences régionales ou internationales… sur la composition des qualifications, les métiers et leurs contenus ?

L’objectif de ces analyses est de contribuer à l’élaboration de visions stratégiques partagées, vers lesquelles vont se tourner l’ensemble des actions mises en œuvre par les acteurs du territoire ; un enjeu particulièrement ambitieux, qui suppose que la méthode employée est tout aussi importante que le résultat lui-même.

Le document méthodologique souligne combien la concertation entre tous les acteurs permet de renforcer les capacités de réflexion et d’action collective. Au-delà de la production de données quantitatives et d’études, le dialogue entre les parties prenantes est un des enjeux essentiels de la prospective des métiers et des qualifications, pour construire un projet de territoire fédérateur.

Ce dialogue favorise ensuite la mise en œuvre opérationnelle des actions, dans la mesure où il permet de recueillir un écho le plus large possible auprès des acteurs du territoire et d’assurer la crédibilité de l’exercice auprès du plus grand nombre. La prospective doit en effet permettre de construire des réseaux, pour faire travailler ensemble des acteurs différents, de manière à renforcer les capacités locales de traitement des problèmes à long terme. C’est un puissant levier de mise en œuvre du changement, dans le cadre de décisions parfois complexe à mettre en œuvre.

Engager une démarche de prospective en région

 

Graphique 1 - PMQ

Des enjeux de méthode et d’articulation entre travaux régionaux et travaux nationaux

Le document méthodologique s’arrête également sur les éléments de méthode devant être définis pour un exercice de prospective : le périmètre d’investigation (métiers ou ensemble de métiers, secteurs, branches professionnelles, filières, clusters, pôle de compétitivité), l’horizon temporel de l’exercice, les variantes et les scénarios retenus (poursuite de tendances observées ou ruptures), l’usage de méthodes qualitatives et/ou quantitatives. Les méthodes quantitatives de projections d’emploi sont également examinés, de même que la place de l’analyse de la relation formation-emploi dans une démarche prospective. Sont décrits également des travaux mettant en évidence les forces et faiblesses des territoires au regard de leurs structures de qualifications et /ou des niveaux de formation de la population. Chaque fois sont mis en évidence les articulations existantes ou possibles entre travaux nationaux et régionaux, ou les mutualisations envisageables à partir d’une même problématique.

Enseignements et recommandations

L’analyse des démarches de prospective emploi et compétence en région a permis de mettre en évidence plusieurs faits marquants. La mise en place des Contrats de Plan Régionaux de Développement des Formations professionnelles a relancé les travaux de prospective métiers-qualification, qu’ils soient de nature qualitative ou quantitative, centrés sur des secteurs ou des métiers ou de nature plus généraliste. Cette nouvelle dynamique a également favorisé le rapprochement des questionnements sur les mutations économiques de celles sur l’emploi et la formation.

Par ailleurs, des travaux de nature plus transversale se développent, autour des filières, des filières inter-régionales ou internationales, des compétences transversales ou transférables, et devraient favoriser une plus large coopération inter-régionale et entre acteurs de niveau régional et national. On observe également une appropriation croissante au niveau régional des démarches portants sur les métiers de la santé, les métiers liés aux personnes fragiles ou à la dépendance, ou ceux liés au développement durable.

Démarches prospective et politiques publiques : un pilotage rigoureux à mettre en place

Les démarches de prospective peuvent être des exercices relativement autonomes, mais ils prennent tout leur sens lorsqu’ils appuient les choix politiques des acteurs institutionnels et économiques. Pour autant, les démarches de prospective et les impératifs d’élaboration de stratégies ou de plan d’action ne s’inscrivent pas forcément dans la même temporalité. Piloter une telle démarche nécessite donc de trouver le juste équilibre entre dialogue avec les acteurs, rigueur de l’analyse, et alimentation de stratégies et de plans d’action. L’ambition de l’exercice de prospective devra être ajustée pour n’en sacrifier aucun.

Combiner diagnostic préalable, approches quantitatives et qualitatives

Dans l’idéal, tout exercice de prospective des métiers et qualifications devrait combiner des analyses qualitatives et quantitatives et croiser les regards des experts et des instances plus opérationnelles chargées des politiques d’emploi et de formation.

Prospective métiers-qualifications et prospective formation : de très nombreux paramètres à prendre en compte

Bien qu’il s’agisse d’un enjeu fort au niveau régional, l’articulation entre une prospective des postes à pourvoir par métiers et une prospective des besoins en formation initiale ne va pas de soi : les questions d’insertion des jeunes et des postes offerts aux jeunes débutants ne se résument pas à une équation mathématique. D’autres paramètres influent sur ces questions, tels que l’évolution du nombre de postes par métiers, l’évolution de l’offre de travail, l’évolution de la part des débutants dans l’emploi total, la concurrence entre diplômes et ses conséquences en termes de déclassement. La correspondance entre spécialité de formation et emploi occupé est par ailleurs loin d’être assurée : seul un débutant sur deux occupe un emploi correspondant à la spécialité de formation suivie pendant ses études (Cereq-2009). Enfin, construire une carte des formations repose sur de nombreux éléments tels que la demande sociale des jeunes et des familles, la structuration de l’offre de formation au niveau régional et inter-régional, les contraintes budgétaires et les objectifs d’efficience de l’appareil de formation. L’enjeu consiste donc à bien prendre en compte ces éléments dans toute démarche de prospective et de construction de schémas pour l’offre de formation.

Renforcer les échanges entre types, niveaux, méthodes et résultats de prospective

Les exercices de prospective de niveau régional ont une réelle plus-value, car il s’agit du niveau pertinent de mobilisation des acteurs du territoire et de mise en œuvre des plans d’action. Pour autant, la rigueur nécessaire de ces exercices, en particulier les exercices de prospective générale, plaide en faveur d’une meilleure articulation avec d’autres types de travaux. Les échanges et croisements en terme de résultats et de méthode pourraient être plus développés qu’ils ne le sont aujourd’hui et serviraient autant les acteurs de niveau national que ceux de niveau régional. Les exercices de prospective réalisés par les branches au niveau national pourraient par exemple être accompagnés de portraits régionaux de la branche en terme d’emplois, de qualification, de tissus économique, de déclinaison des plans d’action en fonction des spécificités régionales.

Il semble important, autant au niveau des branches professionnelles que des acteurs publics régionaux de ne pas chercher à refaire ce qui peut exister au niveau national mais de l’adapter au niveau régional, d’identifier les spécificités régionales et donc les points qui vont nécessiter des approfondissements ou des traitements spécifiques. Une des difficultés de la prospective sectorielle est d’anticiper l’évolution de la structure des qualifications à moyen et long terme au niveau régional, au regard des mutations du secteur à cette échelle et de ses spécificités par rapport au niveau national.

Pour des raisons d’opérationnalité et de mutualisation des moyens, il y a tout intérêt, au niveau de l’État d’articuler les travaux nationaux et régionaux réalisés dans le cadre de la politique contractuelle. Dans la cadre de la mise en place du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), est prévue la constitution et l’animation, au sein du commissariat, d’un réseau d’observation et de prospective des emplois et des compétences (réseau OPEC) qui regrouperait l’ensemble des acteurs du champ. Ce réseau pourrait être un puissant outil de transfert d’informations et d’échanges.

Un groupe de travail à l’origine du document d’appui à la prospective régionale

Compte tenu de l’importance des réflexions sur la prospective pour les acteurs du niveau régional et du niveau national, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (Centre d’analyse stratégique au démarrage du projet) a ouvert en 2011 un nouveau cycle de travail sur la prospective des métiers et qualifications. Ce cycle de travail a entre autre institué des groupes de travail d’appui à la prospective des métiers et qualifications à la fois au niveau sectoriel et au niveau régional. Les ambitions des deux groupes sont de deux ordres : aboutir à la production d’un livrable, « un document d’appui méthodologique » à destination des acteurs qui s’engagent dans la prospective et créer une dynamique de capitalisation des compétences afin de maintenir les échanges au-delà des réunions des groupes de travail. Le document qui vous est ici présenté est donc le premier « produit » de ce cycle de travail et des collaborations sur lequel il s’est appuyé.

Le groupe de travail « Appui à la prospective régionale des métiers et qualifications » a réuni autour du Commissariat général à lastratégie et à la prospective et du Céreq, un grand nombre d’acteurs en charge et/ou intéressés par ces questions. Ainsi, ont participé aux réunions du groupe, des représentants de Conseils régionaux et de Carif-Oref, des représentants de l’État en Région à l’instar des Service études, statistiques et évaluation (SESE) des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), des services des rectorats, des représentants de l’Insee, de la Dares, de la Datar, du CNFPTLV ou d’organismes locaux comme les Maisons de l’emploi.


(1) Avec la collaboration de Tristan Klein. Ce billet a d’autre part bénéficié de la contribution de Sandrine Aboubadra-Pauly.

 

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