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Publications
Etude
Publié le
Lundi 13 Octobre 2014
Afin de renouveler la réflexion sur les politiques d’accès du plus grand nombre à la culture, l’Observatoire des politiques culturelles a réalisé une étude à partir d’expériences françaises et étrangères.
Heidelberg Project

Dans un contexte général marqué par de fortes mutations socio-économiques, les questions d’accès et de participation à la vie culturelle sont au cœur de nombreuses réflexions prospectives articulées à des enjeux de citoyenneté et de vivre-ensemble, de développement durable, de diversité et de droits culturels, ou encore de construction d’une Europe créative reposant sur « une croissance intelligente, durable et inclusive ».

Une grande complexité demeure néanmoins dans l’analyse des rapports que les individus et les groupes sociaux entretiennent avec les arts et la culture. En effet, si l’offre et les pratiques artistiques et culturelles se sont développées et diversifiées au cours des dernières décennies, on ne peut pour autant en déduire qu’il existe un plus grand partage des biens et valeurs culturelles aujourd’hui, et ce malgré l’investissement renouvelé des acteurs culturels et des pouvoirs publics en faveur de l’accès à la culture.

Deux exemples étrangers

  • Le Heidelberg Project (Detroit, États-Unis) ou l'art du rebut au cœur d'un quartier défavorisé

Le Heidelberg Project, à Detroit, se définit comme un Art Environment. Ce véritable musée à ciel ouvert a vu le jour en 1986, à l’initiative du plasticien Tyree Guyton, « frappé du délabrement qui touche la rue et le quartier de son enfance […], qui était auparavant un quartier animé, celui d’une communauté modeste d’ouvriers afro-américains de l’industrie automobile ». La ville de Detroit a été lourdement frappée par la crise de l’industrie automobile dans les années 1980 – et plus tard en 2008 –, des dizaines de milliers de maisons ont été abandonnées, et des pans entiers de la ville réduits à l’état de friches. Tyree Guyton « commença à nettoyer son quartier en ramassant des objets trouvés dans la rue et à les utiliser pour construire des œuvres d’art, s’apparentant à des installations ou à des sculptures conçues à partir des maisons abandonnées de la Heidelberg Street », sur une superficie équivalant à deux blocks (pâtés de maisons). « Aujourd’hui entouré d’une équipe permanente de neuf membres salariés », il travaille avec plusieurs entreprises partenaires, ainsi que des fondations philanthropiques. « Les maisons constituent le point d’ancrage fixe du projet, mais leurs ornements ainsi que les installations périphériques évoluent constamment. Des références aux événements politiques contemporains (la guerre en Irak, la faillite de la municipalité de Detroit, etc.) témoignent de l’actualisation des œuvres ». L’espace est occupé illégalement, mais la mairie de Detroit l’a tacitement accepté. Certes « l’accessibilité ainsi que le caractère public et gratuit de l’espace, intrinsèques au projet » ont occasionné des détériorations. Mais « il s’agit d’un projet emblématique d’une créativité artistique qui prend source dans le déclin et qui en utilise le potentiel matériel (les objets et maisons délaissés) et symbolique (le déclin peut susciter la création). » Le projet est donc social et politique : il s’agit d’« attirer l’attention sur un quartier délaissé », afin de créer des liens avec les habitants et les communautés locales. Des voyageurs venus du monde entier l’ont visité : la ville de Detroit, délaissée, redevient attractive. Très connu aux États-Unis, le Heidelberg Project a été sélectionné pour faire partie des seize projets artistiques représentant le pays à la Biennale de l’architecture de Venise en 2008. Inséparablement, c’est un « projet participatif » : le public est encouragé à y prendre part sur un mode éducatif (ateliers et projets artistiques menés avec des enfants) et informel avec les riverains (entretien du site, recherche d’objets, etc.). Le projet semble avoir contribué à la baisse de la criminalité dans le quartier. Enfin, il s’agit « de combler le vide artistique éducatif dans les écoles de la ville créé par les coupes budgétaires municipales ». Les enfants sont incités à voir dans l’art un autre mode de vie possible que la violence et le dénuement.

  • La bibliothèque à l'âge de l'industrie des loisirs. L'exemple des Idea Stores (Londres, Grande-Bretagne)

ideastore.jpgFace au constat de l’obsolescence du modèle traditionnel des bibliothèques de quartier, qui devenaient inadaptées aux besoins et aux modes de vie des usagers, le borough londonien de Tower Hamlets, qui regroupe 250 000 habitants, a, en 1999, « imaginé un nouveau mode d’accès au savoir à la fois plus inclusif, participatif et ouvert sur son environnement ». Un « nouveau type d’établissement culturel réunissant les services d’une bibliothèque et d’un centre éducatif » – formation tout au long de la vie, concept de « street corner university » (littéralement « l’université du coin de la rue », autrement dit l’université populaire) – a donc vu le jour. Bien que le livre reste central dans l’offre, le nom « bibliothèque » a été abandonné pour celui d’« idea Store » (« magasin d’idées »). Sept ont été constitués entre 2002 et 2013. Dans Tower Hamlets se trouvent à la fois un quartier d’affaires et des quartiers très populaires à forte proportion d’immigrés vivant en communautés, qui manquent d’équipements publics, ont un fort taux de chômage et souffrent d’un accès problématique à la culture. L’enjeu territorial et de cohésion sociale s’inscrit dans ce lieu qui rassemble divers services éducatifs, qualifiants et récréatifs, habituellement présents « dans des sites éloignés, distants sur les plans physique et institutionnel ». Outre les ateliers de jeu ou d’aide aux devoirs et les livres pour enfants, sont mis en place, pour les adultes, des espaces de travail, des ateliers, des cours, des points d’information sur l’emploi et l’orientation professionnelle, des postes Internet et des dispositifs d’autoformation ou de formation à distance. Des systèmes de garde d’enfants, de cafés-débats ou de points-santé existent aussi. L’architecture elle-même est repensée car elle est « vouée à la rencontre ainsi qu’à la communication », grâce à des « espaces conviviaux et appropriables aisément ». Le succès est au rendez-vous puisque, « dès l’ouverture du premier idea store, la fréquentation est multipliée par trois et l’augmentation des prêts bondit de 35 % ». Ce sont toutefois surtout les activités récréatives qui ont du succès.