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Actualités
Publié le
Mercredi 14 Octobre 2015
Au cours des travaux menés sur le compte personnel d’activité, France Stratégie a sollicité ou reçu des contributions écrites d’experts d’horizons divers (partenaires sociaux, personnalités qualifiées, think tanks) visant à nourrir le débat.
Remise du rapport CPA

La contribution est une note brève centrée sur une conception globale possible du CPA et les objectifs économiques et sociaux qui pourraient lui être assignés.

Retour ou non du plein emploi permanent?

Il existe une ligne de fracture entre ceux qui tablent sur un retour du plein emploi permanent considérant le chômage de masse et la précarisation du salariat comme un long mauvais moment à passer et ceux qui considèrent que le sous-emploi permanent devient consubstantiel de nos sociétés développés.

Les premiers s'appuient sur un possible retour d'un sentier de croissance élevé du PIB ou sur la multiplication des besoins marchands liés à la transition écologique (isolation de l'habitat, etc) ou le développement des services à la personne (silver économie, etc). Le seconds tendent à justifier leur position sur la destruction des emplois industriels et de services sous l'effet de la numérisation des activités ou l'impossibilité de créer un volume d'emploi (et donc de production) tel que nécessaire sans mettre en péril la biodiversité et la stabilité climatique. Selon que l'on adopte l'une ou l'autre des positions, les attentes portée sur le CPA différent sensiblement. Dans un cas, on pense dans le cadre du plein emploi créer les conditions d'une plus grande fluidité et mobilité d'un marché du travail globalement en équilibre, dans un autre le CPA devrait devenir un outil pour amorcer une logique nouvelle dans une situation de sous-emploi permanent. Les différentes acceptions du CPA ( du simple guichet unique, aux droits de tirages sociaux universalisé, voir à une forme de continuité inconditionnelle de revenu) son ampleur, ses fonctions, ses objectifs assignés par  les analyses et institutions s'expliquent en partie par cette différence d'appréciation sur la possibilité d'un retour au plein emploi permanent.

Soit le CPA est un outil de transformation sociale créant les conditions d'une diminution volontaire de l'offre de travail et normalise l'alternance des parcours dans et hors le salariat auquel cas il peut prétendre à influer sur le chômage de masse et l'exclusion sociale ( normalisation du temps social hors du salariat partiellement ou totalement) soit il est conçu comme un outil d'une meilleure mobilisation des droits actuels (formation, épargne temps, etc) et auquel cas il ne peut prétendre agir substantiellement sur le sous-emploi permanent et l'exclusion sociale de masse. La facilitation des  « parcours professionnels » ou « transitions professionnelles » auquel le CPA renvoie au final dans sa version « guichet unique » ne sera dans les faits réservées pleinement qu'à une fraction minoritaires d’insiders particulièrement bien qualifiés et bénéficiera marginalement aux autres. Quant aux précaires et chômeurs un CPA de cette nature aurait que peu d'impact sur eux.

Un périmètre très large

Si l'on retient l'hypothèse d'un retour au plein emploi trop hypothétique pour être gardé comme norme de référence il convient alors de tendre vers une baisse de l'offre de travail et conjointement d'une normalisation des temps d'activité passés hors du cadre salarial. Et le CPA, parmi d'autres dispositifs devraient être un outil d'amorce de ce processus.

Pour donner à chaque individu selon sa situation une pleine visibilité de ses droits en rapport avec ses projets, il doit pouvoir les consulter et les mettre en rapport les uns avec les autres. C'est pourquoi le CPA, à terme devrait rassembler en un même lieu tous les dispositifs mobilisables liés à la formation (CIF, CPF, etc), à l'épargne temps, au compte pénibilité (C3P), à la politique familiale (congé parental, etc) mais aussi ceux relevant de l'assurance chômage (ARE) et de l'insertion économique en général (RSA, prime d'activité, etc).

Pour ne pas se limiter à juxtaposer des dispositifs mais à organiser leur congruence sous forme de temps rémunéré en fonction des projets individuels, il devrait être possible de convertir un droit en un autre   (fongibilité).

L'implémentation automatique des droits, leur consolidation à travers le temps exigera un immense et complexe travail d'interconnexion des systèmes d'informations des organismes impliqués condition nécessaire de l’opérationnalité d'un CPA à large périmètre.

A droit non constant

La formation d'un individu concourant aussi à l'élévation générale des connaissances de la société et à sa capacité à innover, devrait être un droit universalisé donc indépendant du parcours salarial de chacun et en partie soutenue par la solidarité nationale. La formation tout au long de la vie via le CPA devrait devenir au-delà des dispositifs, une véritable culture française et la mobilisation effective des droits une pratique généralisée et courante.

Il serait opportun de doter chaque individu initialement ( à l'entrée dans la vie active) d'un quota ( droit de tirage) d'heures de formation et l'acquisition automatique d'heures nouvelles au fil du temps que l'individu ait ou non occupé une activité salariée. Le volume de dotation pourra être modulé fonction de l'âge d'entrée dans la vie active de l'individu. La mobilisation de ses heures devrait être facilitée et le choix de la formation par l'individu laissée la plus libre possible.

Pour ce qui concerne les revenus dits de substitution, le RSA pourrait être à cette occasion automatisé mais surtout l'effort consenti pour allonger les périodes d'indemnisation chômage (ARE) devrait être poursuivi et l'imposition marginale implicite en cas de reprise d'activité (aujourd’hui de 70%) réduite. Cette extension des droits, à primes constantes, n'est pas praticable sans accroissement des ressources. Cet effort doit être mise en miroir des avantages (coûts sociaux de l'exclusion) que procurent pour l'individu et la société la maintien d'une forme d’intégration monétaire et sociale.

Le maintien provisoire d'une activité réduite à laquelle s'ajoute un revenu socialisé ne constitue pas un problème mais une opportunité individuelle et collective. Dans un contexte de chômage de masse, les éventuels effets désincitatifs à l'activité salariée (baisse de l'offre de travail) lorsque  l'individu maintien une forme d'activité choisie devrait être appréciée positivement. Plus globalement, la forte substitution du capital au travail (et la captation mécanique de la valeur par les propriétaires du capital) invite les sociétés dites développées, pour maintenir leur équilibre économique et sociale, à imaginer une juste distribution de la rente du capital par des revenus socialisés. L'allongement des droits à l'ARE, l'abaissement de la progressivité de la retenue sur allocation en cas de reprise d'activité se situent dans cette logique de l'Etat social actif tel qu'il se dessine pour le 21ème siècle. l s'agit en d'autres termes et progressivement de sortir d'une logique de compensation passive (par défaut d'emploi) vers une logique active de maintien et de développement des « capabilités » de l'individu y compris dans les périodes de temps ou ces facultés s'exercent partiellement ou totalement hors de l'emploi salarié. A terme l'instauration d'un revenu socialisé permanent de base notamment par regroupement partiel ou total des dispositifs actuels constitue un horizon probable.

La force d'une Nation réside dans le déploiement des « capabilités » individuelles et collectives de sa population. La normalisation des parcours d'activité diversifié caractérisé par une possible intermittence salariale est un enjeu majeur. Au-delà des droits acquis monétaires ou non, le CPA doit contribuer à maintenir et à garantir une forme d’intégration sociale de l'individu tout au long de sa vie active et dessiner de la sorte les contours d'un nouveau pilier de sécurité sociale. C'est défait de la peur de l'exclusion que l'individu est en mesure de donner la pleine mesure de ses « capabilités ». Le CPA participerait ainsi à créer en lieu et place du sous-emploi excluant, une société de pleine activité.

Auteurs

Julien Dourgnon (intermittent du salariat, ancien directeur des études chez UFC-Que choisir)
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