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Publié le
Lundi 21 Mars 2016
Dans une lettre ouverte aux députés, les associations de lutte contre l’exclusion (la Fnars, le Coorace, le Secours catholique, le MNCP, l’Uniopss, Emmaüs, l’APF et le collectif Alerte) proposent plusieurs mesures pour faire du CPA un "levier pour une formation efficace des personnes peu qualifiées" et faire en sorte que la protection sociale soit "plus adaptée à des parcours professionnels plus heurtés qu’auparavant".
Débat CPA

CONTEXTE ET ENJEUX

Notre pays compte plus de 6 millions de personnes en recherche d’emploi, dont 3,5 millions de personnes n’exerçant pas la moindre activité. 2,4 millions d’entre elles sont dans cette situation depuis au moins un an. Et 8,5 millions d’entre nous sommes pauvres, les jeunes étant particulièrement touchés. Les causes de ce désastre, économique mais avant tout humain, sont multiples. L’inadaptation de nos mécanismes de formation professionnelle et de protection sociale à une économie en perpétuelle évolution en est une.

Depuis le début de la crise, des emplois ont en effet été créés, mais pas suffisamment. Et pas pour tout le monde. Les emplois peu qualifiés ont ainsi été détruits massivement. Entre 2008 et 2013, près de 2 millions d’emplois d’un niveau CAP/BEP ou moins ont ainsi disparu. Autant de personnes mises à la porte de leur entreprise et condamnées au chômage. En effet, leur métier a brutalement disparu du marché du travail et elles n’ont pas eu les moyens de se former à des nouveaux métiers, seuls 9% des crédits de la formation professionnelle allant aux demandeurs d’emploi.

Pour lutter contre le chômage de longue durée, il faut donner aux personnes les droits dont elles ont besoin pour se former et retrouver une place dans cette économie turbulente.

Pour lutter contre le chômage de longue durée, en évitant tout d’abord qu’il se produise, il faut également permettre aux personnes de conserver des conditions de vie digne. Car comment retrouver un emploi si l’on ne peut se déplacer faute de véhicule, faire garder ses enfants ou tout simplement, s’alimenter correctement, se soigner si besoin et conserver son toit ? Comment aborder sereinement le marché du travail si l’on est usé, physiquement et moralement, par une vie difficile et le sentiment de déclassement et d’exclusion que la précarité génère souvent ?

Le régime de protection sociale français fondé en 1945 permet encore de limiter les dégâts mais il est en réalité à bout de souffle. Inadapté aux trajectoires d’emploi chaotiques car fondé sur le modèle du CDI à temps plein et de l’ancienneté dans l’emploi, il est également frappé d’un taux de non recours important, supérieur à plus de 30% pour de nombreuses prestations sociales.

Les personnes confrontées à la précarité du marché du travail n’acquièrent pas assez de droits pour préserver ces conditions de vie dignes essentielles à leur retour à l’emploi et ignorent même parfois tout simplement qu’elles ont des droits. Cet accès trop faible aux droits est un véritable fléau car il nourrit en outre un sentiment de défiance envers l’Etat et les partenaires sociaux, accusés de ne rien faire voire de privilégier d’autres personnes en situation de précarité.

Donner plus vite des droits à chacun d’entre nous et les rendre visibles et clairement accessibles est alors un enjeu fort, de lutte contre la pauvreté et le chômage mais aussi de vision positive du système social et par là, de renforcement du sentiment d’appartenance à la collectivité.

LE CPA : LEVIER POUR UNE FORMATION EFFICACE DES PERSONNES PEU QUALIFIEES

Il ne faut pas former les demandeurs d’emploi peu qualifiés mais leur donner les moyens de se former pour réaliser leur projet professionnel. La nuance est en effet essentielle tant l’injonction de se former, sur un thème non choisi par la personne et avec une pédagogie très scolaire, se traduit souvent par un échec, la personne ne voyant pas de sens à suivre la formation. Le compte personnel d’activité, dans la continuité du compte personnel de formation, est alors un outil à privilégier, donc à abonder, car il donne la décision à la personne, lui permet de construire un parcours de formation dans lequel elle verra du sens et s’impliquera pleinement, car cela sera son parcours.

Pour actionner pleinement ce levier de la confiance donnée en l’individu, en son pouvoir d’agir et mobiliser suffisamment de moyens pour financer un parcours de formation ambitieux, il faut aussi permettre de transformer certains droits en droits à la formation. Les droits inclus dans le compte personnel d’activité doivent donc être assez larges et fongibles, au moins partiellement. Une personne doit par exemple pouvoir choisir de transformer des congés en heures de formation.

Pour que la personne puisse construire ce parcours, elle doit toutefois disposer d’informations et de conseils de qualité. Le support numérique peut alors être un formidable levier en rendant facilement accessible aux titulaires du compte des informations sur la localisation des formations, leur qualité à travers un système de notation en ligne ou encore leur correspondance avec les besoins en compétences des entreprises du territoire.

L’outil numérique ne suffisant pas, il faut également développer une offre d’accompagnement de qualité pour aider les personnes à mobiliser leur compte ; l’actuel conseil en évolution professionnel doit être renforcé et adapté à des personnes privées depuis longtemps d’emploi et nourrissant souvent une défiance forte à l’égard du service public de l’emploi.

  • Mesure 1 : Abonder le compte personnel d’activité pour permettre à tous les demandeurs d’emploi peu qualifiés de suivre une formation d’au moins 400 heures. Financer la mesure par des crédits autres que ceux de l’indemnisation chômage pour préserver les ressources des personnes privées d’emploi et éviter leur basculement dans la pauvreté.
  • Mesure 2 : Assouplir les conditions d’éligibilité des formations au financement du compte personnel de formation et, demain, du compte personnel d’activité pour mieux répondre au projet professionnel des personnes.
  • Mesure 3 : Dans le même objectif, rendre des droits fongibles en droits à la formation.
  • Mesure 4 : Développer un système d’information sur la qualité des formations et les besoins d’emploi du territoire ainsi qu’un conseil en évolution professionnel permettant aux personnes peu qualifiées de pouvoir construire un parcours de formation efficace.

LE CPA, POUR UNE PROTECTION SOCIALE ACCESSIBLE A TOUS

Le compte personnel d’activité peut répondre à ces deux défis de notre protection sociale : la rendre plus adaptée à des parcours professionnels plus heurtés qu’auparavant – n’oublions pas que la durée moyenne d’un CDD est de 15 jours et que les CDD représentent plus de 80% des contrats signés chaque année – et en faire un meilleur outil au service des projets de ses allocataires, car plus lisible et d’usage plus souple.

C’est en effet un outil personnel, qui sépare les droits du statut professionnel occupé à un instant T pour les attacher au parcours de la personne ; il résiste par-là aux transitions professionnelles vécues, souvent subies, par les personnes. C’est aussi un outil qui permet de donner plus de droits à ceux qui en acquièrent peu par l’emploi grâce au mécanisme d’abondement. C’est enfin un compte qui peut s’appuyer sur les potentialités du numérique pour apporter une information de qualité aux personnes, répondant à leurs besoins.

Fort de ces principes, le compte personnel d’activité doit être le pivot de notre protection sociale. Il doit intégrer un vaste nombre de droits sociaux et leur étendre sa logique, de portabilité et d’ouverture dès la première heure travaillée, pour les droits sociaux contributifs. Avec le compte, il faut donc donner de nouveaux droits aux personnes, les droits dont elles ont besoin pour faire face aux changements de situation professionnelle qui seront de plus en plus nombreux demain.

La protection est essentielle mais ne suffit pas ; pour réconcilier les Français avec leur société et leur redonner confiance en l’avenir, il faut leur donner la capacité de développer leurs projets. La logique de fongibilité des droits proposée pour la formation doit aussi favoriser la réalisation d’autres projets, professionnels, tels que la création d’entreprise, et personnels. Une personne s’engageant dans une association ou un syndicat ou se consacrant pendant un temps à l’éducation de ses enfants ou à des membres de sa famille en situation de dépendance doit pouvoir ouvrir des droits pendant cette période, pour pouvoir construire son futur retour à l’emploi et mieux concilier ses temps de vie.

Plus de droits et plus de liberté dans l’usage de ces droits n’a toutefois de sens que si les personnes connaissent ces droits et savent les mobiliser. L’enjeu de qualité d’information et d’accompagnement cité pour la formation professionnelle concerne l’ensemble des droits sociaux. Le compte personnel d’activité doit s’inscrire dans une dynamique forte d’accès aux droits et de lutte contre le non recours. La fracture numérique, physique comme cognitive, doit être particulièrement combattue dans ce cadre. A défaut, le compte personnel d’activité ne profitera qu’aux personnes les plus qualifiées, incarnant l’idée d’une société à deux vitesses destructrice pour notre cohésion sociale.

  • Mesure 5 : Intégrer dans le compte personnel d’activité un grand nombre de droits sociaux, contributifs ou non, à commencer par le compte épargne temps et l’épargne salariale. Les rendre fongibles pour davantage s’adapter aux projets des personnes.
  • Mesure 6 : Rendre les droits sociaux contributifs accessibles dès la première heure travaillée, sans exigence d’ancienneté dans l’emploi.
  • Mesure 7 : Construire une interface simple d’accès ; la coupler à une offre d’accompagnement gratuite, assurant une très bonne couverture territoriale et construite avec les associations d’accompagnement social et de défense des chômeurs pour que tout le monde, même les personnes peu qualifiées, puisse mobiliser son compte.
  • Mesure 8 : Faire du compte personnel d’activité le moyen pour tous de développer ses projets professionnels et personnels sans remettre en cause sa capacité d’insertion professionnelle durable, en permettant à des activités socialement utiles d’ouvrir des droits et en permettant à des droits acquis de financer des projets personnels et familiaux.

Notre société est traversée par des maux puissants, qui sont ceux du chômage de longue durée, de la pauvreté mais aussi de la défiance envers les institutions et la protection sociale, dont le fonctionnement apparaît opaque et rigide, voire injuste. Les principes fondateurs du compte personnel d’activité peuvent en faire un remède puissant. Il faut donc les mettre en oeuvre avec détermination et ambition, pour un projet de société redonnant une place et un avenir à tous ses membres.

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logos-alerte.png, par mmadeira

 

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