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Publié le
Mercredi 16 Novembre 2016
Le monde en comptera 80 milliards en 2020. Les objets connectés font désormais partie de notre quotidien et comptent bien le révolutionner ! À quoi s’attendre et comment s’y préparer ?
Lionel Janin, France Stratégie

Dans un livre blanc publié le 8 novembre, l’Arcep – l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes – invite la puissance publique à « préparer la révolution de l'internet des objets ». Produit d'une démarche partenariale associant notamment France Stratégie, ce livre blanc marque un point d’étape dans une réflexion ouverte sur les enjeux de développement et de régulation attachés à la diffusion des objets connectés. Décryptage avec Lionel Janin, directeur adjoint du département développement durable et numérique de France Stratégie.

Entre ceux que l’on fantasme et ceux qui, à l’inverse, se sont fondus dans notre quotidien, est-on bien au clair sur ce que sont vraiment les objets connectés ?

Je ne sais pas si tout le monde est au clair, mais il existe en tout cas une définition simple : ce sont des objets capables de recevoir et de transmettre des donnée via internet. Après, on peut aussi en faire des typologies. Si on réfléchit par exemple en termes de degré de sophistication, je dirais que l’objet connecté commence au niveau le plus simple avec un objet comme Linky*, le capteur intelligent d’EDF, qui se contente entre guillemets de renvoyer des données de consommation à un serveur. Le niveau au-dessus serait par exemple, en santé, le tensiomètre connecté qui va non seulement prendre la tension d’un patient mais également permettre de faire de la prévention des risques parce qu’il est couplé à un système de suivi médical. Et puis au sommet, il y a l’archétype de l’objet connecté que, pour le coup, tout le monde connaît, le smartphone ! C’est l’objet connecté par excellence. Celui qui contient le plus d’intelligence locale. Sorte de hub [ndlr : point d’entrée] vers des services numériques de plus en plus nombreux.

L’Arcep parle de « l’internet des objets » et non des objets connectés. Pourquoi ? C’est une subtilité de langage ?

Non, c’est plus que ça ! L’internet des objets, ce sont les objets connectés certes, mais c’est aussi le Big Data, c'est-à-dire l’énorme volume de données captées par les objets connectés et hébergées dans le cloud [ndlr : les différents serveurs connectés au réseau], plus tout ce qui relève des capacités de traitement de ces données avec le déploiement de l’intelligence artificielle. C’est du reste là que se situent les vrais enjeux économiques, au niveau des services que l’on peut créer à partir de l’objet connecté. Par exemple, les smart grids [ndlr : réseaux électriques intelligents], c’est la création de services d’optimisation de la production et de la consommation d’énergie à partir de capteurs. Waze [ndlr : application GPS], c’est un service d’information et de régulation du trafic créé à partir des données recueillies par les smartphones des utilisateurs. Et ce n’est qu’un début, si l’on en croit nos experts [ndlr : chercheurs et spécialistes du domaine invités du cycle de débats « Mutations technologiques, mutations sociales » organisé par France Stratégie avec l’EHESS et Inria].

En quoi toutes ces innovations constituent « une révolution » ?

Ce n’est pas tant l’innovation en tant que telle qui est « révolutionnaire », mais son déploiement. Et ce, d’autant plus qu’il était très attendu. Un chiffre pour le dire autrement : il y aura quatre-vingts milliards d’objets connectés en 2020. Autant dire qu’ils seront partout ! Du reste, ils le sont déjà si on réfléchit en termes d’espaces conquis. Dans le monde professionnel, ils accompagnent le développement du e-commerce avec la gestion logistique et celle de la traçabilité par exemple. Dans l’industrie, c’est « l’usine du futur » – les Allemands disent « l’industrie 4.0 » – équipée de capteurs pour optimiser la production. C’est aussi la robotisation et l’automatisation des tâches. Nos villes aussi sont connectées. On parle de smart cities [ndlr : villes intelligentes] parce qu’elles utilisent l’internet des objets pour gérer la sécurité, le trafic routier, la distribution d’énergie, etc. Et puis dans l’espace privé, on trouve les smartphones bien sûr mais aussi de l’assistance aux tâches domestiques… Encore une fois, la révolution, ce n’est pas tant l’objet connecté en lui-même que l’écosystème qui se développe autour, c’est-à-dire les complémentarités qu’il suscite. L’innovation Vélib’ sans l’innovation smartphone [ndlr : sans l’application qui permet de géolocaliser un vélo disponible ou une place libre], ça ne marche pas !

Et pourquoi faut-il se préparer à cette révolution ? Qu’est-ce qu’il faut réguler ?

Parce que c’est un tropisme français ! Typiquement, les Anglo-Saxons se demanderaient plutôt comment développer l’activité. Plus sérieusement, la régulation et le développement ne sont pas antinomiques. D’où la préconisation de l’Arcep qui propose d’inventer une « régulation pro-innovation ». Et cette régulation a deux finalités : protéger et favoriser le développement. La protection, c’est d’abord celle des données personnelles, celles qui seront recueillies presque à notre insu par ces innombrables objets dissimulés dans notre environnement. Elle est centrale parce que si l’usager n’a pas confiance, il n’utilisera pas le service. Les outils de contrôle dans cette optique sont donc des outils favorables au développement ; ils le garantissent ou, pour le moins, le conditionnent. La protection c’est aussi la question de la cybersécurité. Le 21 octobre, des milliers d’objets connectés piratés ont été utilisés pour attaquer simultanément l’un des serveurs racine de l’internet, DynDNS, ce qui a paralysé des grands sites de l’internet comme Amazon ou Twitter, principalement aux États-Unis. Les objets connectés doivent être sécurisés. Sur le volet développement permis par la régulation, il s’agit de fournir un cadre approprié. À commencer par les réseaux de communication. Pour la téléphonie mobile, c’est plus facile car il y a peu d’acteurs qui doivent obtenir des autorisations. Pour les réseaux libres de type Wifi, mais à plus grande portée, qui se développent, il y a des règles à inventer. Là, l’Arcep est vraiment dans son rôle. Ensuite il y a un enjeu de standardisation et de normalisation. Pour que les complémentarités entre services jouent à plein, il faut de l’interopérabilité, donc de la norme. Là, l’État peut accompagner en veillant notamment aux conditions de la concurrence pour ne pas être dépendant d’un seul acteur, mais il ne peut pas imposer parce que la norme sera un « standard de fait » correspondant aux usages qui se développeront.

Propos recueillis par Céline Mareuge

 

*Linky est le nom du compteur communicant déployé par Enedis (anciennement ErDF), gestionnaire du réseau de distribution d’électricité.