Note flash

Service national : construire un nouveau modèle français (et européen)

Face aux défis contemporains d’engagement citoyen, de cohésion nationale et de préparation à la défense, plusieurs pays en Europe ont ou vont faire évoluer leur service civil ou militaire.

Published on : 05/05/2025

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Dix pays de l’Union européenne ont aujourd’hui un service militaire obligatoire pour les hommes (Autriche, Chypre, Croatie, Estonie, Finlande, Grèce, Lettonie, Lituanie, Danemark et Suède — ces deux derniers pays appliquant également l’obligation aux femmes). Cette appellation recouvre cependant des dispositifs très différents, notamment pour la part de jeunes concernés, qui varie de près de 80 % des jeunes hommes en Grèce à moins de 8 % des hommes et des femmes en Suède.

Six pays (France, Allemagne, Belgique, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) proposent un service à caractère civil et volontaire, là aussi avec une participation très variable.

Les évolutions récentes du contexte géopolitique, notamment, ont conduit plusieurs États européens (Allemagne, Belgique, Pologne, Royaume-Uni) à rouvrir le débat sur la pertinence et les modalités d’une réintroduction du service militaire.

En France, depuis la suspension du service national en 1997, coexistent des dispositifs volontaires, civils (service national universel — SNU — et service civique, qui ont concerné respectivement 40 000 et 88 000 jeunes en 2023) et militaires (service militaire adapté en outre-mer et service militaire volontaire en métropole, choisis par 6 000 et 1 000 jeunes environ chaque année).

Cette note présente les dispositifs existant en Europe et les débats en cours, puis analyse plusieurs options d’évolutions possibles pour la France. Elle explore ainsi quatre scénarios suivant deux axes (service civil ou militaire, engagement volontaire ou obligatoire) : un SNU « vitaminé », un service civil universel, un service militaire volontaire et le retour du service militaire obligatoire. Elle présente également deux scénarios hybrides, articulant un socle commun à tous et un choix laissé à chacun.

Le premier scénario hybride reposerait sur un service civil obligatoire pour tous (un séjour de cohésion de douze jours comme dans l’actuel SNU, suivi de cinq mois de mission de type service civique) et un service militaire volontaire de trois mois. Dans l’hypothèse où 600 000 jeunes (soit 75 % d’une classe d’âge) effectueraient le service civil chaque année, et 60 000 le prolongeraient par un service militaire volontaire, son coût serait de 4,95 milliards d’euros par an (hors coût des infrastructures nouvelles).

Le second scénario hybride reposerait sur un service obligatoire pour tous, avec options civile et militaire : après un séjour de douze jours commun à tous les jeunes, une deuxième période obligatoire offrirait le choix entre un service civil de cinq mois et un service militaire de trois mois. Si 20 % des 600 000 jeunes optaient pour un service militaire et 80 % pour le service civil, le coût associé serait de l’ordre de 5,2 milliards d’euros (hors coût des infrastructures nouvelles).

Deux scénarios novateurs de service civilo-militaire universel

Scénario 1 | Civil obligatoire + Militaire volontaire :

Civil obligatoire : 12 jours de cohésion + 5 mois de service civil - 600 000 jeunes

Militaire volontaire : 3 mois de service militaire - 60 000 jeunes

Scénario 2 | Civil obligatoire + une période obligatoire au choix, civile ou militaire

Civil obligatoire : 12 jours de cohésion - 600 000 jeunes

et 5 mois de service civil (480 000 jeunes) ou 3 mois de service civil (120 000 jeunes)

La Note flash est publiée sous la responsabilité éditoriale du commissaire général de France Stratégie. Les opinions exprimées engagent leurs auteurs et n’ont pas vocation à refléter la position du gouvernement.

Les dispositifs de service national dans l’Union européenne

L’Union européenne comprend une diversité de services nationaux

En Europe, le degré d’engagement militaire varie considérablement en fonction de l’identité, de l’histoire nationale ou de la position géographique du pays.

Aujourd’hui, dix pays de l’Union européenne ont un service militaire obligatoire. Tandis que la plupart des pays d’Europe occidentale l’ont progressivement suspendu, celui-ci est en vigueur de longue date en Autriche, à Chypre, au Danemark, en Estonie, en Finlande, en Grèce et en Lettonie. Il a été réintroduit ces dernières années en Lituanie (2015), en Suède (2017) et en Croatie (2025). Tous proposent une alternative civile et sont ouverts à la participation des femmes (qui est obligatoire seulement au Danemark et en Suède). Compte tenu de la menace russe historique et géographique, la Finlande est un exemple emblématique de pays ayant toujours conservé un service militaire obligatoire (Encadré 1).

Le modèle finlandais repose sur une « approche globale » de la défense nationale, ancrée dans l’identité finlandaise et liée à l’expérience historique du pays. Cette approche est fondée sur une conscription établie de longue date, un nombre élevé de réservistes, leur formation continue et l’intégration des considérations de défense dans tous les domaines de la vie publique. Il s’agit d’un système intégré original reposant sur un continuum civilo-militaire, appuyé sur un fort consensus politique et social.

Englobant un système de conscription et de réserve, le service militaire est obligatoire pour les hommes aptes de 18 à 60 ans et se fait sur la base du volontariat pour les femmes de 18 à 30 ans. Pour les conscrits, le service initial peut durer six, neuf ou douze mois, en fonction de la spécialité et du grade obtenus à l’issue d’une formation de base. Environ 21 000 conscrits accomplissent leur service militaire tous les ans

Alors que les personnels d’active de l’armée finlandaise ne représentent qu’un peu plus de 12 000 soldats professionnels, les autorités peuvent mobiliser près de 285 000 réservistes entraînés, voire jusqu’à 900 000 si l’on prend en compte tous les citoyens ayant accompli leur service militaire, pour une population de près de 5,7 millions d’habitants. Le succès de la réserve finlandaise s’explique par le rôle clé des associations civiles qui participent à la formation continue des réservistes, comme le MPK (Association de formation à la défense nationale de Finlande, créée en 1993). Environ 50 000 citoyens participent tous les ans à ses nombreux programmes.

Chaque réserviste est mobilisé jusqu’à ses 60 ans pour un total de 40, 75 ou 100 jours (selon le grade), avec un maximum de 20 jours par an. La première mobilisation intervient entre deux et cinq ans après la fin du service militaire et peut être renouvelée ensuite tous les trois à sept ans.

L’appellation de service militaire « obligatoire » recouvre cependant des dispositifs très différents en Europe : la part des jeunes concernés par ce service obligatoire se situe généralement entre 35 % et 60 % d’une cohorte masculine, avec une grande diversité de modes de sélection. Par exemple, ce taux approche 80 % des jeunes hommes en Grèce, et ne concerne à l’inverse qu’une partie beaucoup plus limitée des jeunes au Danemark — sélectionnés par tirage au sort, comme en Lettonie et en Lituanie — et en Suède, où ils sont retenus à l’issue d’un processus très sélectif de questionnaire et de tests[1] (Encadré 2).

Le service militaire suédois s’appuie sur une conscription semi-obligatoire et très ciblée. L’objectif n’est pas de former l’ensemble d’une classe d’âge, mais de faciliter le recrutement en fonction des besoins opérationnels de l’armée.La sélection s’effectue en deux temps : d’abord, tous les citoyens âgés de 18 ans, hommes et femmes (soit environ 100 000 jeunes par an), répondent à un questionnaire visant à évaluer leur état de santé, leurs aptitudes physiques et leur motivation à intégrer les forces armées. Sur la base de ces réponses, 30 000 sont invités à passer des tests médicaux, d’aptitude physique, psychologique, de logique, ainsi qu’un test de connaissances et de personnalité. Ils doivent par ailleurs justifier d’une moyenne minimale de 12/20 sur les trois années de secondaire dans les trois matières obligatoires. À l’issue de ce processus, seuls 8 000 jeunes, soit environ 8 % d’une classe d’âge, sont enrôlés dans l’armée pour une durée de quatre à onze mois et les autres sont invités à passer par les autres voies de recrutement s’ils souhaitent intégrer l’armée.

Dans d’autres pays européens, le service militaire est accompli sur la base du volontariat. C’est le cas des Pays-Bas, où un service militaire volontaire (Dienjaar, année de service) a été réintroduit en 2023. En 2025, l’armée néerlandaise espère ainsi recruter 1 500 volontaires et souhaite augmenter ce chiffre rapidement à 3 500, puis à terme à 10 000 par an (une classe d’âge représente environ 200 000 jeunes).

Par ailleurs, six pays européens (l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas) proposent un dispositif de service à caractère civil et volontaire, à l’image du service civique français (Encadré 3). Ces programmes se distinguent par une participation très variable[2].

Les Pays-Bas ont développé un service civique volontaire (Maatschappelijke Diensttijd, MDT) à partir de 2018 à destination des jeunes hommes et femmes âgés de 12 à 30 ans, piloté par le ministère de l’Éducation, de la Culture et de la Jeunesse, d’une durée minimale de 80 heures en six mois. L’âge moyen des participants est de 20 ans. Entre 2018 et 2025, environ 200 000 jeunes ont participé au MDT et l’objectif est de porter le nombre de participants à 110 000 jeunes par an, ce qui représente la moitié de la cohorte nationale.

Le budget annuel du MDT est de 150 millions d’euros, versé sous forme de subventions aux organismes partenaires (écoles, municipalités, associations de la société civile, autres ministères ou entreprises). Ce dispositif doit permettre aux participants d’acquérir des compétences essentielles de la vie active et de répondre aux besoins de recrutement locaux.

En partenariat avec le ministère de la Défense, le programme propose également aux jeunes de se familiariser avec le monde militaire. D’autres dispositifs ont également été mis en place pour sensibiliser les jeunes à l’engagement militaire, comme le Defensity College, qui permet aux étudiants de concilier leurs études avec un emploi à temps partiel dans l’armée.

Les citoyens des États membres de l’UE peuvent également participer au Corps européen de solidarité (CES), qui a succédé au Service volontaire européen (SVE) en 2018, et dont l’objectif est d’offrir aux jeunes de 18 à 30 ans des opportunités d’engagement à l’étranger ou dans leur pays pour une durée de deux semaines à douze mois. Entre 2021 et 2023, le CES a permis à 66 000 jeunes de s’engager dans des projets de solidarité[3].

Tableau 1 — Les modèles européens de service national selon le type d’engagement

* Cette liste est indicative. Compte tenu de la diversité des formes d’engagement volontaire en Europe, il n’est pas possible de les réunir toutes sous l’appellation commune de « service militaire volontaire ». 

Source : France Stratégie

De nombreux débats en cours en Europe sur la réintroduction du service militaire

Les évolutions du contexte géopolitique conduisent plusieurs États européens à rouvrir le débat sur la pertinence et les modalités d’une réintroduction du service militaire.

Au Royaume-Uni, le Premier ministre Keir Starmer a lancé en septembre 2024 une réflexion sur un « service militaire de courte durée » pour les jeunes de 18 ans. Dans le cadre de ce programme, 15 % à 20 % des jeunes de 18 ans participeraient à un service militaire facultatif de douze mois, en échange d’une rémunération d’apprenti.

En Pologne, le Premier ministre Donald Tusk a annoncé le 7 mars 2025 vouloir rétablir une forme de service militaire, avec un objectif de participation de 100 000 personnes par an.

En Belgique, le ministre de la Défense Theo Francken souhaite relancer le service militaire sur la base du volontariat, en recrutant 500 réservistes supplémentaires par an à partir de 2026, puis 1 000 réservistes par an à partir de 2027.

L’accord de coalition conclu entre les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates le 9 avril 2025 prévoit l’introduction d’un nouveau service militaire qui reposerait dans un premier temps sur le volontariat. Il s’agit de réactiver dès cette année le recensement, tout en s’inspirant du modèle suédois. La conscription obligatoire avait été suspendue en 2011, mais l’existence d’un service militaire obligatoire reste ancrée dans la Constitution allemande (article 12a du Grundgesetz).

Cette décision reflète la position des sociaux-démocrates, qui avaient présenté en novembre 2024 un projet de loi sur l’introduction d’un nouveau service militaire volontaire, d’une durée de six à vingt-trois mois. Ce projet reposait sur deux piliers : la réactivation du recensement militaire ainsi que l’adaptation de la formation aux nouveaux enjeux stratégiques, dans un contexte où la Bundeswehr peine à recruter. Chaque cohorte d’hommes devrait répondre à un questionnaire visant à apprécier leur volonté et leur motivation de servir dans les forces armées. Les femmes le rempliraient quant à elles sur la base du volontariat, toute obligation pour celles-ci nécessitant de modifier la Constitution à la majorité des deux tiers. Certains jeunes seraient ensuite invités à passer des tests et seule une minorité effectuerait en pratique son service militaire. Le projet de loi proposait d’enrôler 5 000 personnes par an dans un premier temps.

Le service national en France : vers un service obligatoire, un service militaire ?

Du service militaire au service national universel

Institué en 1798, le service militaire obligatoire visait à réquisitionner les jeunes hommes pour les besoins de la défense nationale et à former un creuset de citoyens. Rebaptisé « service national » en 1959, il s’ouvre progressivement à des formes civiles.

Il est remplacé en 1997 par le service national universel, ouvert aux hommes et aux femmes, dont la seule obligation est d’être recensés et de participer à une Journée d’appel de préparation à la défense (JAPD). L’appel sous les drapeaux est suspendu et laisse place à des formes d’engagement volontaire, civiles ou militaires (par exemple le service militaire adapté, SMA, en outre-mer et le service militaire volontaire, SMV, en métropole). La loi du 10 mars 2010 remplace la JAPD par la Journée défense et citoyenneté (JDC), et instaure le service civique parmi les formes de volontariat civil prévues pour accomplir le service national universel.

Le service national universel (SNU) est relancé en 2019, avec notamment la possibilité pour les mineurs de 15 à 17 ans de participer à un séjour de cohésion. Il est organisé aujourd’hui en trois phases. La première est un séjour de cohésion de douze jours dans un internat ou centre collectif en dehors du département de résidence, qui combine discipline collective (uniforme, levée des couleurs) et activités variées : sport, culture, citoyenneté, écologie, découverte des institutions, mémoire nationale, etc. Les participants s’engagent à prendre part dans l’année qui suit à la deuxième phase : une mission d’intérêt général de douze jours (ou 84 heures perlées) auprès d’associations ou de services publics dans les domaines de la sécurité, de la solidarité ou de l’environnement. La troisième phase, facultative, propose un engagement plus long, d’une durée minimale de trois mois, notamment en s’engageant dans une mission de service civique.

Le service civique reste aussi accessible directement aux jeunes qui ne participent pas au SNU.

Les dispositifs d’engagement des jeunes en France aujourd’hui

Le SNU repose aujourd’hui sur le volontariat. En 2023, 56 063 volontaires s’étaient initialement inscrits, et 40 135 jeunes ont effectivement participé à un séjour de cohésion. 69 % des jeunes ayant effectué un séjour en 2021 ont commencé ou effectué une mission d’intérêt général dans l’année suivante (ou fait reconnaître un engagement antérieur). Les moyens budgétaires directement consacrés au SNU en 2023 ont été de 96,3 millions d’euros, pour les seuls crédits du ministère chargé de l’Éducation et de la Jeunesse, et pour la seule première phase. Les crédits consacrés au service civique ont représenté quant à eux 524 millions d’euros, pour 88 000 nouveaux jeunes engagés. Le SMA (en outre-mer) et le SMV (en métropole), pensés comme des dispositifs d’insertion dans l’emploi, concernent des effectifs beaucoup plus réduits mais des dépenses par jeune significativement plus élevées (Tableau 2).

Tableau 2 - Les dispositifs d’engagement pour les jeunes en France

(1) Ce coût est celui retenu par la Cour des comptes, supérieur au rapport entre crédits du MENJ et nombre de jeunes concernés (soit 2 400 euros) en raison de l’inclusion de coûts administratifs non comptabilisés par le MENJ et de ceux liés à la mobilisation d’autres ministères (Armées, Intérieur, etc.).

Sources : France Stratégie, d’après les rapports publics thématiques de la Cour des comptes de septembre 2024 et février 2019, le rapport d’activité 2023 de l’Agence du service civique et les rapports d’information du Sénat de juin 2022 et mars 2023

Quatre scénarios d’évolution pour la France

Les débats actuels en France sur l’évolution des dispositifs d’engagement des jeunes, voire, avec le retour de la guerre sur le continent européen, sur le rétablissement du service militaire, mêlent deux enjeux liés mais qu’il faut distinguer : un enjeu de cohésion et de solidarité (retrouver un lieu et un moment de creuset national dans des sociétés fragmentées et polarisées) et un enjeu de sécurité et de défense (mieux préparer nos sociétés aux diverses menaces, y compris militaires, dans une optique de prise de conscience et de résilience collective).

En fonction des objectifs fixés par le politique et du poids respectif que l’on entend donner à ces deux enjeux, quatre scénarios d’évolution des dispositifs actuels peuvent être explorés, suivant deux axes : service civil ou militaire, engagement volontaire ou obligatoire (Tableau 3).

Tableau 3 — Quatre scénarios d’évolution du service national

Source : France Stratégie

Scénario 1 — Un SNU « vitaminé »

Le premier scénario est celui d’une montée en puissance de l’actuel SNU, soit un service civil à caractère volontaire, dans lequel l’engagement s’opère dans des domaines variés tels que la sécurité civile, la solidarité, la culture, la santé, le sport ou encore l’environnement. Si l’engagement citoyen et la cohésion sociale en sont les principaux objectifs, les effectifs réduits en limitent la portée « universelle ».

Pour évaluer le montant total de ce SNU élargi, l’hypothèse retenue ici est celle d’un coût par jeune correspondant au coût actuel de la première phase du SNU (2 900 euros[4]) et d’un effectif de 200 000 jeunes par an (soit cinq fois le flux actuel dans le cadre du SNU, et près de 25 % d’une classe d’âge de 820 000 jeunes). Le coût de ce scénario serait un peu inférieur à 600 millions d’euros par an, hors coût des infrastructures d’accueil supplémentaires[5] (qui pourraient devenir un enjeu, voire une contrainte forte) pour des jeunes plus nombreux en séjour de cohésion, et des deux autres phases du SNU.

Scénario 2 — Le service civil universel

Le deuxième scénario est celui d’un service civil qui deviendrait obligatoire et serait donc élargi à une grande majorité d’une classe d’âge (le panorama européen et historique montre qu’un service « obligatoire » ou « universel » ne concerne en pratique jamais l’intégralité d’une génération). Il pourrait prendre la forme d’un séjour de cohésion (de douze jours) ou d’une mission de service civique (de six à douze mois).

Si l’on retient l’hypothèse de 75 % d’une classe d’âge[6] participant à ce service civil chaque année (soit près de 600 000 jeunes sur 820 000), le coût total de ce scénario serait compris entre 1,7 milliard d’euros par an (si l’on retient le coût par jeune de la première phase de l’actuel SNU, soit 2 900 euros) et 3,5 milliards d’euros (si l’on retient le coût par jeune de l’actuel service civique, soit 5 900 euros[7]), hors coût des structures nouvelles d’accueil et d’hébergement en cas d’accueil de 600 000 jeunes en séjour de cohésion.

La généralisation, voire l’obligation, constituerait un levier puissant pour renforcer la cohésion nationale et l’engagement civique, mais soulèverait des questions juridiques et organisationnelles importantes.

Scénario 3 – Un service militaire volontaire

Le troisième scénario est celui du développement d’un service militaire volontaire. Si l’on retient une hypothèse de 70 000 volontaires par an (soit un peu plus de 10 % d’une classe d’âge et une multiplication ambitieuse par dix des effectifs actuels totaux du SMA et du SMV), ainsi qu’un coût par jeune de l’ordre de 24 000 euros pour un engagement de six mois (soit la moitié du coût moyen d’un an de SMA), le coût du dispositif serait d’environ 1,7 milliard d’euros par an, hors coût des structures nouvelles d’accueil et d’hébergement.

Il présente l’avantage de renforcer la culture de défense, de susciter des vocations pour intégrer l’armée de métier, voire d’être une source pour alimenter la Garde nationale (réservistes opérationnels des ministères des Armées et de l’Intérieur). Il peut offrir aussi des opportunités d’insertion professionnelle, à l’instar du SMA et du SMV, ce qui pourrait le rendre éligible à des financements européens et permettrait d’en réduire le coût pour le budget national.

L’expérience du SMA et du SMV montre cependant que l’élargissement des effectifs serait rendu difficile par les contraintes importantes qu’il ferait peser sur nos armées en matière d’encadrement et d’infrastructures.

Scénario 4 – Le retour du service militaire obligatoire

Ce quatrième scénario serait celui du rétablissement d’un service militaire obligatoire (avec alternative civile), dont la durée serait toutefois plus courte que les dix mois du service national avant sa suspension, avec un engagement de six mois. La culture de défense, la constitution d’un vivier pour la réserve et une plus grande mixité sociale seraient au cœur de ses objectifs.

Si l’on retient toujours l’hypothèse d’un taux de participation de 75 % d’une classe d’âge (en raison d’une durée plus courte que celle du service en vigueur jusqu’en 1997), 300 000 jeunes seraient concernés chaque année si le service était obligatoire pour les seuls hommes et 600 000 s’il était également obligatoire pour les femmes. Pour un coût par jeune de l’ordre de 24 000 euros sur la période, la dépense totale serait d’environ 7,2 milliards d’euros par an pour un service limité aux hommes et de 14,5 milliards d’euros par an si hommes et femmes étaient également mobilisés.

Compte tenu de l’importance des effectifs concernés, les défis logistiques et organisationnels — infrastructures d’accueil, encadrement humain — d’un tel scénario seraient majeurs et il semble impossible d’y parvenir en moins de cinq ans. Un tel dispositif ne correspondrait en outre pas au choix français d’une armée de métier, et pourrait même l’affaiblir en raison de la mobilisation des personnels et de l’effort d’encadrement requis.

De nouveaux dispositifs d’engagement hybrides, civil et militaire, pour construire un nouveau modèle français (et européen)

Les quatre scénarios présentés ci-dessus offrent des réponses très différentes aux enjeux de cohésion sociale, d’engagement civique et de défense nationale. Le volontariat permet souplesse et valorisation individuelle, mais souffre d’un manque d’universalité et de mixité. À l’inverse, les options obligatoires promettent une mobilisation large, au prix d’un coût élevé et de lourds défis juridiques, organisationnels, voire d’efficacité pour nos armées.

Des scénarios hybrides, pondérant différemment les composantes civile et militaire du service et le caractère volontaire ou obligatoire de l’engagement, permettraient de concilier les objectifs et les contraintes des différents scénarios.

L’évolution du service national vers un service civilo-militaire universel pourrait dessiner un nouveau modèle français, voire européen — compte tenu des réflexions analogues en cours, notamment en Allemagne —, fondé sur l’engagement de toute une génération, avec une dimension obligatoire, un moment de cohésion et la diffusion d’une culture militaire. Son coût devrait être maîtrisé, dans le contexte de notre effort de défense global, et sa capacité opérationnelle réaliste pour les armées.

Une première option reposerait sur un service civil obligatoire d’un semestre pour tous, suivi d’un service militaire de trois mois sur la base du volontariat (environ 4,95 milliards d’euros par an) :

  • une période de service civil obligatoire pour l’ensemble d’une classe d’âge comprenant douze jours de séjour de cohésion comme dans l’actuel SNU, suivis de cinq mois d’une mission d’intérêt général de type service civique. Si l’on retient à nouveau l’hypothèse de 600 000 participants, le coût de ce service civil obligatoire serait d’environ 4,25 milliards d’euros par an (1,7 milliard pour le séjour de cohésion de douze jours, pour un coût de 2 900 euros par jeune ; et 2,5 milliards pour cinq mois de service civique, pour un coût de 4 215 euros par jeune, soit 5/7e du coût actuel du service civique) ;
  • une seconde période de trois mois de service militaire, sur la base du volontariat. Si l’on retient l’hypothèse de 60 000 jeunes engagés chaque année, soit 10 % des jeunes ayant effectué la période de service civil obligatoire, le coût de cette période serait proche de 700 millions d’euros par an.

Une deuxième option reposerait sur un service obligatoire pour tous, avec option civile ou militaire au choix (environ 5,2 milliards d’euros par an) :

  • une première période, commune à tous les jeunes, prendrait la forme de douze jours de séjour de cohésion comme dans l’actuel SNU (soit un coût de 1,7 milliard d’euros, avec la même hypothèse de 600 000 jeunes et d’un coût de 2 900 euros par jeune) ;
  • une seconde période, qui serait aussi obligatoire, offrirait aux jeunes le choix entre deux modalités : une option civile, de type service civique de cinq mois, ou une option militaire de trois mois. Si 20 % de ces jeunes optaient pour un service militaire (pour un coût par jeune de 12 000 euros, soit le quart du coût moyen du SMA) et 80 % pour le service civique (pour un coût par jeune de 4 215 euros, soit 5/7e du coût actuel du service civique), le coût associé serait de l’ordre de 3,5 milliards d’euros par an.

Au total, après une montée en charge, le coût de ces scénarios hybrides serait donc de l’ordre de 4,95 à 5,2 milliards d’euros par an, hors coût (important mais en large partie non récurrent) des infrastructures nouvelles pour l’accueil et l’hébergement lors du séjour de cohésion et pour l’accueil des volontaires en service militaire.

Conclusion

Quel que soit le scénario retenu, atteindre des objectifs ambitieux de nombre d’engagés, dans un service obligatoire et à plus forte raison volontaire, tout en s’assurant de l’adhésion des jeunes, nécessiterait une mobilisation et des incitations fortes. La participation à ce nouveau service national à la française pourrait être valorisée dans les parcours scolaires et universitaires (priorité, à niveau scolaire égal, dans les procédures d’orientation ou de choix de filière, validation de crédits ou d’options dans les diplômes du secondaire et du supérieur). La reconnaissance des périodes d’engagement dans la validation des acquis de l’expérience devrait aussi être systématique. La période d’engagement pourrait être prise en compte notamment pour le calcul de la retraite, et pour les fonctionnaires elle serait par exemple valorisée dans les progressions de carrière et dans les critères de priorité pour la mobilité géographique. La dimension européenne de ces dispositifs (missions à l’étranger ; coordination des dispositifs, avec l’Allemagne notamment ; financement partiel sur le budget européen) devrait aussi constituer une priorité des choix à venir.

[1] Voir le tableau A1 de l’annexe, disponible sur le site de France Stratégie, qui compare les services militaires obligatoires dans l’Union européenne et en Suisse.

[2] Voir le tableau A2 de l’annexe, qui compare les services civils dans l’Union européenne et au Royaume-Uni (qui dispose également d’un « service citoyen national »). 

[3] Son budget pluriannuel pour la période 2021-2027 s’élève à 1,009 milliard d’euros. Voir Union européenne (s.d.),  « Programme “Corps européen de solidarité” 2021-2027 » , page Web.

[4] Estimation pour l’année 2022 par la Cour des comptes (2024), Le service national universel. Un premier bilan, cinq années après son lancement, rapport public d’information, septembre. Voir le tableau A3 de l’annexe, qui présente les estimations des coûts des scénarios et options d’un nouveau modèle de service national en France. 

[5] En ce qui concerne les centres pour l’hébergement, la Cour des comptes (2024) a considéré différentes options (construction, location ou modèle hybride avec des centres loués et des centres construits). Selon l’hypothèse « haute », la construction à terme de 241 centres pour accueillir 252 jeunes par centre sur 14 sessions dans l’année correspondrait à un investissement de plus de 6 milliards d’euros (hors coûts d’acquisition).

[6] Soit un taux d’exemption inférieur au taux d’environ 30 % constaté juste avant la fin du service militaire obligatoire. 

[7] Voir le tableau A3 de l’annexe, qui présente les estimations des coûts des scénarios et options d’un nouveau modèle de service national en France.

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