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Point de vue
Publié le
Jeudi 04 Février 2016
Par Etienne Espagne, Baptiste Perrissin Fabert - Comme prévu, la question du financement de la transition carbone a été au cœur des négociations de Paris et des ultimes désaccords entre États. Un mois après l’adoption du texte final, un bilan s’impose sur les aspects financiers de ces négociations climatiques.
COP21 : un support pour reconstruire un système financier compatible avec le bien commun climatique ?

Comment se structure le texte ? Et surtout quels effets peut-on en attendre sur les moyens de mobilisation de la finance pour la transition bas carbone ? Pour apprécier la portée du texte, il faut rappeler que la CNUCC [1] n’a pas de mandat sur les enjeux de gouvernance économique et financière mondiale. Mais l’ampleur des besoins de financement et les effets macroéconomiques potentiellement massifs des politiques climatiques introduisent inévitablement le sujet du financement dans les négociations climat. Cette extension des sujets couverts par les négociations climat participe d’une certaine « climatisation du monde » [2], à laquelle l’élan de mobilisation pour la COP21 a grandement contribué. Mais l’Accord lui-même ne peut délivrer de message précis sur les instruments économiques et financiers à mettre en œuvre [3].

Sur la forme, tout d’abord, le texte adopté à Paris le 12 décembre dernier comprend une Décision, dont les différents éléments s’appliquent avec effet immédiat, et en annexe se trouve l’Accord de Paris lui-même, qui est destiné à mettre en place un cadre juridique pour l’action climatique après 2020. Pouvant être modifiée par les prochaines COP, la Décision permet ainsi d’accroître les ambitions lors des discussions futures avant même la mise en œuvre effective de l’Accord.

Sur le fond ensuite, la Décision réaffirme encore une fois l’objectif des 100 milliards de dollars de transfert Nord-Sud par an d’ici 2020, cet objectif devenant un plancher. Deux avancées majeures méritent toutefois d’être relevées : (i) l’article 2 de l’Accord mentionnant l’alignement de tous les flux financiers avec un développement bas carbone envoie un signal fort en faveur de la redirection de l’épargne mondiale vers les investissements de la transition bas carbone ; (ii) le paragraphe 109 de la Décision, qui reconnaît que réduire les émissions de CO2 a une valeur, représente une brique politique essentielle qui permettra aux États, aux acteurs et aux institutions du secteur financier de construire des instruments innovants de financement.

L’objectif des 100 milliards de dollars de transfert Nord-Sud par an réaffirmé, mais comme niveau « plancher »

La réaffirmation de l’objectif des 100 milliards de dollars pour l’atténuation et l’adaptation est une condition de la crédibilité des engagements des pays du Nord. Le texte de Paris n’indique, en revanche, ni par quels moyens cet objectif sera atteint, ni comment mesurer les flux financiers Nord-Sud pour le climat. La séparation entre pays du Nord et pays du Sud, qui structurait l’ensemble du Protocole de Kyoto, ne subsiste dans l’Accord de Paris que pour ce qui concerne les transferts financiers liés au respect du principe de « responsabilité commune mais différenciée ». De plus, aucune mention de l’objectif des 100 milliards de dollars de transferts annuels d’ici à 2020 n’est faite dans l’Accord lui-même. L’engagement pris à la conférence de Copenhague de 2009, réitéré à Cancún l’année suivante, est inscrit au niveau de la Décision (paragraphe 54, qui renvoie au paragraphe 3 de l’article 9 de l’Accord), et devient dans le texte de Paris un seuil minimal à rehausser avant 2025. La stabilisation d’une méthode de comptabilisation des flux de financement – que ce soit pour l’atténuation ou l’adaptation – avait donné lieu à des controverses avant et pendant la COP [4]. Elle est repoussée à la COP24.

Pour atteindre l’objectif d’« un plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais » (inscrit à l’article 4 de l’Accord), la stratégie consistant à demander aux États d’annoncer leur contribution nationale de réduction des émissions de gaz à effet de serre est confirmée, à l’exception du régime spécial accordé aux pays les moins avancés – PMA -  et aux petits États insulaires. Une révision quinquennale de ces contributions à partir de 2020 doit permettre de régulièrement réviser les objectifs à la hausse. Des mécanismes financiers de flexibilité sont expressément prévus afin de permettre à une Partie de faire face à ses objectifs en finançant des réductions d’émissions dans d’autres pays.

Le texte de Paris ne donne enfin pas d’élément clé en main pour réorienter les « milliers de milliards » de dollars vers les investissements nécessaires à la transition bas carbone. Mais il pose des jalons politiques essentiels pour stimuler la création de nouveaux instruments financiers et justifier la prise en considération plus ou moins volontaire des enjeux climatiques par les acteurs du système financier. Ainsi l’article 2 fait de l’alignement des flux financiers avec « un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient au changement climatique » un des objectifs principaux de l’Accord au côté de l’objectif physique de contenir l’élévation moyenne de la température de la planète à 2°C, voire 1,5°C, et de celui d’un renforcement des capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques. La reconnaissance, dès l’article 2, d’un lien entre le système financier et adaptation au changement climatique est également un signal fort puisqu’il se fait ainsi au niveau juridique le plus élevé.

Une valeur sociale du carbone enfin reconnue

Ensuite, le paragraphe 109 de la Décision reconnaît la « valeur sociale, économique et environnementale des mesures d’atténuation volontaires et leurs retombées bénéfiques sur l’adaptation, la santé et le développement durable ». Il ouvre la voie à des formes de tarification « positive » du carbone par la valorisation des réductions d’émissions des nouveaux investissements. Il envoie un signal fort aux acteurs économiques et financiers sur la possibilité que des États introduisent une telle valeur dans la comptabilité de la richesse de leur nation.

En l’absence (temporaire) de prix du carbone à des niveaux adéquats, une telle valeur peut désormais compter dans les modèles économiques et être insérée dans des dispositifs de financement comme une valeur de référence du prix du carbone futur. En donnant à voir aussi la richesse créée par les politiques climatiques plutôt que la seule pénalisation des émissions de GES, il faut voir dans ce paragraphe une opportunité pour réintroduire un débat plus apaisé sur la tarification du carbone.

L’Alliance de Paris : l’avancée la plus marquante de la COP21

La COP21 a été conçue comme un processus élargi de discussions qui dépasse les acteurs traditionnels de la négociation onusienne. La Présidence française a parlé de l’Alliance de Paris pour qualifier cette mobilisation et inclusion des acteurs de la société civile, en particulier les citoyens, les collectivités locales, mais aussi les entreprises et les institutions financières. La section V de la Décision fait état de cette dynamique inclusive, en citant notamment au paragraphe 134 les institutions financières au titre des acteurs clés. Les engagements pris au sein de cette Alliance représentent sûrement le résultat le plus puissant de la COP21.
C’est ainsi que le climat est devenu, par exemple, un sujet de préoccupation légitime pour les plus hautes instances de la régulation financière mondiale. Les banques centrales et diverses institutions financières internationales, dans le cadre d’une mission confiée au Financial Stability Board, se sont engagées à étudier les méthodes d’évaluation du risque climatique inclus dans les titres financiers et à en proposer des utilisations sur une base volontaire par les acteurs financiers. Cet engagement est un produit exogène à la COP21. Il a été porté par la dynamique créée autour de la COP et trouve aujourd’hui une justification au sein du texte de Paris. Les mesures concrètes de mise en œuvre de cet alignement du système financier sur les objectifs bas carbone devront être surveillées de près en 2016.

Ce sont les acteurs de la société civile qui feront vivre l’accord de Paris et le transformeront en actions en s’appuyant sur le nouveau socle juridique hybride qu’il représente. Ils pourront également puiser des éléments du texte pour porter les enjeux climatiques au-delà du périmètre et du strict mandat de la CNUCC. C’est en cela que l’article 2 de l’Accord et le paragraphe 109 de la Décision constituent deux briques politiques et juridiques essentielles qui pourraient contribuer à reconstruire un système économique et financier compatible avec le bien commun climatique.

 

[1] Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CNUCC).
 
[2] S. Aykut & A. Dahan (2015). Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales. Presses de Sciences Po.
 
[3] Voir pour des développements plus précis le Policy Brief du CEPII sur « Climate finance at COP21 and after: Lessons from the CEPII-France Stratégie climate-finance platform », à paraître en janvier 2016.
 
[4] Le rapport OCDE-CPI publié juste avant la COP21 comptabilisait déjà 62 milliards de dollars en 2014 et suggérait ainsi que l’atteinte de l’objectif en 2020 était sur une bonne voie. Un document de travail du Ministère des Finances indien a fourni une réponse cinglante à ce rapport en ne retenant que 2 milliards de dollars, sur les 62, comme vraiment additionnels.
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