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Point de vue
Publié le
Mercredi 12 Octobre 2016
« Dis-moi où tu habites, je te dirai pour qui tu votes » ; dans de nombreux pays, cette règle se vérifie de plus en plus. La carte des votes pour le « Leave » ou pour le « Remain » lors du référendum britannique sur l’appartenance à l’Union européenne l’indiquait clairement.
La géographie des élections

La même logique pouvait s’observer dans la répartition des votes à l’élection présidentielle aux États-Unis en 2012 ou, en France, dans le soutien au Front national de Marine Le Pen lors des élections régionales de 2015. Il est probable que la prochaine élection présidentielle américaine la confirme. Beaucoup de gens partagent les convictions de leurs voisins et votent comme eux.

Cette géographie électorale traduit une profonde fracture, économique, sociale et éducative. Les villes riches, où se concentrent les diplômés, ont tendance à voter pour des candidats favorables à l’ouverture internationale, souvent de centre-gauche, tandis que les circonscriptions des classes moyennes inférieures et de la classe ouvrière leur préfèrent des candidats opposés à la libéralisation des échanges, provenant souvent de la droite nationaliste. Il n’est guère étonnant que des maires de centre-gauche dirigent New York, Londres, Paris et Berlin, tandis que les petites villes en difficulté choisissent de moins en moins rarement pour édiles des politiciens de la droite dure.

Les particularités électorales régionales ou locales sont aussi vieilles que la démocratie. Ce qui est nouveau, c’est que des corrélations de plus en plus marquées entre polarisations spatiales, sociales et politiques rendent les citoyens étrangers les uns aux autres. Comme le souligne Enrico Moretti, de l’université Berkeley, dans son livre The New Geography of Jobs (« La Nouvelle Géographie de l’emploi »), cette nouvelle fracture est extraordinairement saillante : les diplômés représentent la moitié de la population totale des zones métropolitaines les plus riches aux États-Unis, mais ils sont quatre fois moins nombreux dans les zones plus pauvres.

Les chocs économiques tendent à exacerber cette fracture politique. Ceux qui se trouvent vivre et travailler dans les circonscriptions ouvrières traditionnelles qui ont été prises dans la tourmente de la mondialisation, sont perdants à plusieurs niveaux : leur travail, leur patrimoine immobilier, et les chances de leurs enfants et de leur famille sont étroitement corrélés.

Dans une récente et fascinante étude, David Autor, du MIT, et ses co-auteurs interrogent les conséquences politiques de cette situation. Ils montrent qu’aux États-Unis les territoires dont l’économie a été durement frappée par les exportations chinoises ont répondu au choc en remplaçant leurs élus modérés par des représentants politiques plus radicaux – qu’ils soient de gauche ou de droite. La mondialisation a donc abouti à une polarisation économique autant que politique.

Pendant trop longtemps les gouvernements ont négligé cette fracture. Certains ont cru que la prospérité des riches finirait par profiter aux pauvres. D’autres misent sur la politique monétaire pour ressusciter la croissance et l’emploi. D’autres encore attendent la réponse de la redistribution par l’impôt. Mais ces solutions n’ont pas apporté la réponse attendue.

Les preuves ne manquent pas pour infirmer l’espoir naïf d’une prospérité qui s’étendrait partout. Le développement économique moderne se nourrit d’interactions qui exigent une forte densité d’entreprises, de talents et d’innovateurs. La prime va à la concentration. C’est pourquoi les grandes villes prospèrent tandis que les petites sont en difficulté. Dès lors qu’un site perd des talents et des entreprises, il y a peu d’espoir que la tendance s’inverse naturellement. Être sans travail peut rapidement devenir la nouvelle norme.

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Auteurs

Jean Pisani-Ferry
Jean
Pisani-Ferry
Anciens auteurs de France Stratégie

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