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Point de vue
Publié le
Jeudi 11 Juin 2015
Une tribune de Jean Pisani-Ferry publiée le 11/06 dans Le Monde
Jean Pisani-Ferry

Le débat sur la croissance revient. Il est bienvenu. Ni la zone euro ni la France ne peuvent, en effet, se satisfaire du petit rebond que leur promettent les prévisionnistes. Si l’on en croit la Commission européenne, c’est pour l’une comme pour l’autre en 2016 seulement que le produit intérieur brut (PIB) par tête rejoindra son niveau de 2007. Une décennie ou presque sans croissance du revenu par tête, cela ne s’est pas vu depuis 1945.

Trois lectures en sont faites. Les premiers, à l’instar d’Arnaud Montebourg et Matthieu Pigasse [actionnaire à titre personnel du Groupe Le Monde], dans une tribune parue dans Le Journal du dimanche le 7 juin, incriminent l’austérité budgétaire imposée par Bruxelles.

C’est oublier que, si la zone euro a eu tort de s’engager trop tôt dans une consolidation budgétaire trop brutale, et tort encore de répondre à la tension sur les marchés de dette en redoublant d’efforts d’assainissement, l’austérité européenne a pris fin en 2013. Les évaluations concordent : depuis 2014, l’orientation budgétaire en zone euro est sensiblement neutre. Il ne sert à rien de lever sa lance contre des moulins qui ont cessé de tourner.

Anticipations rabougries

Les tenants de la deuxième lecture voient l’avenir à l’image de notre passé récent : plat. Certes, chacun voit bien que chute du prix du pétrole, baisse de l’euro et baisse des taux d’intérêt nous ont donné un bol d’air. Mais nos anticipations se sont tellement rabougries que l’annonce d’une croissance un peu supérieure à 1 % fait figure de nouvelle norme ! C’est oublier que la France et la zone euro, qui ne sont ni à la frontière technologique, ni au plein-emploi, disposent de ce fait d’un important potentiel d’expansion.

D’autres enfin jugent la croissance suspecte : celle-ci ne ferait que dégrader l’environnement et accroître les inégalités. C’est oublier que répondre aux défis du climat demande non de figer l’économie dans son état actuel, mais d’investir dans un nouveau modèle de développement. Et c’est négliger que si la croissance peut créer des inégalités, la stagnation en aiguise d’autres, entre ceux qui ont un emploi stable et les nouveaux entrants sur le marché du travail. La qualité de la croissance ne doit pas être opposée à sa quantité.

Dès lors, quels peuvent être les moteurs du redressement ? La demande n’est pas le problème principal de l’heure. Elle peut le redevenir si les pays émergents ralentissent encore ou si la Réserve fédérale américaine durcit trop brusquement sa politique, mais, aujourd’hui, ce n’est plus d’elle que viennent les freins.

Ceux-ci proviennent bien plutôt d’une inflation trop basse, d’un insuffisant appétit pour l’investissement risqué, et de la faiblesse du potentiel de croissance. C’est sur ces trois fronts que doivent porter les efforts.

Insuffisante compétitivité

Une inflation trop faible est un poison tenace parce qu’elle renchérit le coût de l’emprunt et empêche de se libérer du fardeau des dettes passées. Mario Draghi s’en est convaincu, et c’est pour cela qu’il a bravé l’orthodoxie en engageant une action non conventionnelle de grande envergure.

En France, depuis le début 2008, si le PIB a crû de 2 % et la consommation de 4 %, l’investissement des ménages (en logement) a baissé de 24 %, et celui des entreprises de 4 %. La construction est sinistrée, en dépit d’avantages fiscaux qui ne suffisent pas à compenser les obstacles fonciers et réglementaires.

L’investissement des entreprises demeure trop atone. Sans ce retard d’investissement, la croissance aurait été deux fois plus forte. Enfin les exportations ont crû de 10 % et les importations de 15 % : notre insuffisante compétitivité nous a globalement coûté de la croissance et de l’emploi.

Pour remédier à ces faiblesses, le gouvernement a d’abord utilisé l’arme fiscale, avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et le pacte de responsabilité. Ceux-ci ont quelque peu redressé la capacité d’investir, mais une entreprise ne prend le risque de procéder à des embauches et de se doter de nouveaux équipements qu’à trois conditions : si ces choix sont rentables ; si elle a confiance en l’avenir ; et si elle sait qu’elle pourra revenir en arrière sans trop de frais au cas où ses anticipations sont démenties.

« Les esprits animaux »

C’est ce que l’économiste anglais John Maynard Keynes appelait « les esprits animaux » des capitalistes, et ce sont eux qu’il faut aujourd’hui mobiliser pour saisir la vague de la reprise et déboucher sur un cercle vertueux associant création d’emplois et investissement. C’est là que le bât blesse encore. C’est à enclencher cette dynamique que s’essayent l’Union européenne avec le plan Juncker et le gouvernement français avec les mesures pour les PME.

Reste le troisième volet : le redressement du potentiel de croissance. La France, comme d’autres, souffre d’une insuffisante mobilisation de ses ressources et d’une trop lente progression de la productivité, dont découle la faiblesse des gains de pouvoir d’achat. Il faut rompre avec cette logique de l’atonie. Les projets qui bourgeonnent sur tout le territoire témoignent de ce que nous en avons la capacité.

Reste à faire toute sa place à une économie du mouvement qui favorise la diffusion des innovations et des changements organisationnels, finance les projets porteurs de transformation, permette aux meilleures de nos entreprises de se développer rapidement, même s’il faut pour cela que d’autres s’étiolent. On ne mobilisera pas le potentiel de développement du pays sans bousculer les positions acquises.

La tribune est également disponible sur LeMonde.fr

Auteurs

Jean Pisani-Ferry
Jean
Pisani-Ferry
Anciens auteurs de France Stratégie