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Point de vue
Publié le
Lundi 22 Février 2021
Depuis le début des années 1990 la répartition spatiale des logements sociaux s’est homogénéisée. C’est ce qui ressort de l’observation des 55 unités urbaines de plus de 100 000 habitants [1] , qui accueillent ensemble près de la moitié des résidents de France métropolitaine. La part des logements sociaux qu’il faudrait « déplacer » d’un quartier à l’autre pour que leur part parmi les logements soit la même dans tous les quartiers de l’unité urbaine, ce que l’on nomme leur indice de ségrégation, est ainsi passée en moyenne de 61 % à 50 % entre 1990 et 2015 [2].
La meilleure répartition des logements sociaux a-t-elle fait progresser la mixité sociale ?

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a-t-elle fait progresser la mixité sociale ?

Voir en replay l'événement de présentation :
Mixité sociale et ségrégation résidentielle : comment la France évolue-t-elle ?

Cette baisse est observée dans toutes les unités urbaines étudiées, même si son intensité peut varier d’une unité urbaine à l’autre. À titre de comparaison, sur la même période, l’indice de ségrégation des cadres de 25-54 ans est resté stable, à 31 % en moyenne, et celui des immigrés d’origine extra-européenne de la même tranche d’âge est passé de 36 % à 33 %. Autrement dit, le parc social reste plus inégalement réparti que les effectifs de cadres ou d’immigrés d’origine extra-européenne, mais sa répartition est sensiblement moins inégale aujourd’hui qu’au début des années 1990.

Cette meilleure répartition des logements sociaux a-t-elle contribué à faire baisser le niveau de ségrégation des ménages modestes ? Pour tenter de répondre à cette question nous mobilisons à la fois des données du recensement, portant sur la période 1990-2017, et des données issues de sources fiscales, portant sur une période plus courte (2012-2019), mais qui permettent de croiser des informations sur le revenu, la localisation et le type de logement.

Après avoir rappelé la façon dont la répartition et le peuplement du logement social ont évolué au cours des années 2010, on analysera l’évolution de la répartition spatiale des ménages modestes. On proposera enfin des pistes permettant d’expliquer pourquoi la meilleure répartition des logements sociaux n’entraîne pas forcément une moindre ségrégation des ménages modestes.

1. Une tendance à la meilleure répartition du logement social, à laquelle la loi SRU a probablement contribué

La loi Solidarité et renouvellement urbain dite SRU [3] a créé, par son article 55, l’obligation pour certaines communes d’avoir au moins 20 % de logements locatifs sociaux parmi leurs résidences principales, ce taux ayant été porté à 25 % en 2013 [4]. Les communes soumises à cette obligation sont les communes de plus de 3 500 habitants (1 500 habitants en Île-de-France) situées dans une unité urbaine de plus de 50 000 habitants et comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants.

Cette nouvelle obligation visait à la fois le développement général du parc social mais aussi sa meilleure répartition entre les communes des grandes agglomérations. L’objectif a-t-il été atteint ? Les données disponibles montrent un effet de la loi sur le développement du parc social dans les communes où il était peu présent. Il est donc probable que la loi ait contribué à la meilleure répartition du parc social. Cette tendance était néanmoins observable dès la décennie 1990, soit avant le vote de la loi, et se constate aussi à l’échelle infra-communale, qui n’est pourtant pas visée par la loi.

1.1 La loi SRU a accéléré la construction de logements sociaux dans les communes où il était rare

Pour identifier un éventuel effet de la loi SRU, on peut observer l’évolution du taux de logements sociaux [5] dans les communes en fonction de leur situation vis-à-vis des obligations créées par cette loi. Pour ce faire, on a classé les communes situées dans les 55 unités urbaines étudiées en quatre catégories [6] :

  • Les communes trop petites en 1999 pour être dans le périmètre SRU (745 communes) ;
  • Les communes dans le périmètre SRU et « déficitaires » en 2004, c’est-à-dire avec un taux de logements sociaux inférieur à 20 % (623 communes). Cette catégorie a été divisée en deux, en distinguant :
    • Communes où le parc social représente de 15 % à 20 % des résidences principales (126 communes) ;
    • Communes où le parc social représente moins de 15 % (497 communes) ;
  • Les communes ayant la taille suffisante pour être dans le périmètre SRU en 1999 mais « non déficitaires » en 2004, c'est-à-dire avec un taux de logements sociaux supérieur à 20 % (497 communes également).

L’évolution du taux de logements sociaux dans ces quatre catégories de communes est représentée dans le graphique 1.

Graphique 1
Évolution du taux de logements sociaux selon la situation des communes vis-à-vis des objectifs SRU en 2004
(base 100 en 1999)

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Champ : communes des 55 unités urbaines de plus de 100 000 habitants de France métropolitaine.
Lecture : dans les communes « non déficitaires », c'est-à-dire dans le périmètre de la loi SRU mais avec un taux de logements sociaux supérieur à 20 % en 2004, le taux de logements sociaux était de près de 30 % en 2017 en moyenne. 
Source : calculs France Stratégie à partir des recensements et des données DHUP)

À la lecture de ce seul graphique, il est difficile de se prononcer sur l’impact de la loi. Le taux moyen de logements sociaux augmente en effet dans les quatre catégories de communes entre 1990 et 2000, c’est-à-dire avant le vote de la loi. Entre 2000 et 2010, il est stable dans les communes déficitaires et les communes hors périmètre SRU alors qu’il diminue dans les communes non déficitaires : on se serait plutôt attendu à ce qu’il augmente sensiblement dans les communes déficitaires. Enfin, entre 2010 et 2017, il augmente plus vite dans les communes déficitaires les plus éloignées de l’objectif fixé par la loi que dans celles qui en sont proches, alors qu’il reste stable dans les communes non déficitaires. C’est donc dans la période 2010-2017 que les évolutions sont les plus conformes aux effets attendus de la loi, puisqu’elles aboutissent à une forme de convergence des taux de logements sociaux dans les différents types de communes. Notons qu’au sein des communes non déficitaires, celles dans lesquelles se trouvent des quartiers ayant bénéficié de programmes de rénovation urbaine gérés par l’ANRU ne se distinguent pas vraiment en termes d’évolution du taux de logements sociaux.

Néanmoins, ce type d’analyse reste très limité, car beaucoup d’autre phénomènes peuvent expliquer les différences d’évolution des taux de logements sociaux d’une catégorie de commune à l’autre. On choisit donc de concentrer notre attention sur les communes qui sont proches du seuil de population choisi par le législateur pour les faire rentrer ou non dans le périmètre de la loi SRU (1 500 habitants en Île-de-France, 3 500 habitants hors Île-de-France). On peut supposer en effet que ces communes sont assez semblables du point de vue de leurs caractéristiques sociodémographiques.

On va ainsi distinguer deux groupes de communes, toujours au sein des 55 unités urbaines étudiées :

  • Les 712 « petites » communes (moins de 1 500 habitants en Île-de-France et moins de 3 500 habitants hors Île-de-France), qui ne sont donc pas concernées par les obligations SRU, et qui avaient un taux de logements sociaux inférieur à 15 % en 1999 (données recensement) ;
  • Les 136 communes « juste assez grandes » pour entrer dans le périmètre SRU, dont la taille est comprise entre 1 500 et 3 000 habitants en Île-de-France et entre 3 500 et 5 000 habitants hors Île-de-France, et qui avaient un taux de logements sociaux inférieur à 15 % en 2004 (données ministère du Logement).

Alors qu’entre 1990 et 1999, l’évolution du taux de logements sociaux suit une évolution parallèle dans les deux types de communes (graphique 2), ce n’est plus le cas au cours des années 2000 et 2010. Ainsi, le taux de logements sociaux, dans les communes « juste assez grandes » pour entrer dans le périmètre de la loi SRU, augmente de 20 % entre 1999 et 2010, et même de 67 % sur la période 1999-2017. Par contraste, dans les petites communes qui sont donc hors périmètre SRU, ce taux diminue de 3 % entre 1999 et 2010, et n’augmente que de 16 % sur l’intervalle 1999-2017.

Cette discontinuité observable au début des années 2000 semble bien indiquer que la loi a eu un effet causal sur la croissance du parc social dans les communes où ce parc était de taille limitée.

Graphique 2
Évolution du taux de logements sociaux dans les communes juste assez grandes versus trop petites
pour être dans le périmètre SRU (base 100 en 1999

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Champ : communes des 55 unités urbaines de plus de 100 000 habitants de France métropolitaine.
Lecture : en moyenne, au sein des unités urbaines étudiées, dans les communes trop petites pour être dans le périmètre de la loi SRU, le taux de logements sociaux a augmenté de 17 % entre 1999 et 2017. 
Source : calculs France Stratégie à partir des recensements et des données DHUP

1.2 Une loi qui a accompagné une tendance préexistante à la meilleure répartition du parc social

Le caractère homogène ou non de la répartition spatiale des logements sociaux peut se mesurer par un indice de ségrégation [7]. Cet indice, qui varie entre 0 % et 100 %, peut s’interpréter comme la proportion de logements sociaux que l’on devrait « déplacer » d’un quartier à l’autre pour obtenir le même taux dans tous les quartiers d’une unité urbaine. Ici, ce que l’on nomme « quartier » est une unité géographique définie par l’INSEE, l’IRIS [8], qui regroupe environ 2 500 habitants [9].

Entre 2010 et 2017, l’indice de ségrégation du parc social a baissé en moyenne de 4 points dans les unités urbaines de plus de 100 000 habitants (voir graphique 3). Les données Fideli [10] sur la période 2017-2019 confirment cette tendance, avec une baisse de 1 point en deux ans. La baisse de l’indice de ségrégation du logement social s’observe pour toutes les tailles d’unité urbaine, même si le niveau de ségrégation a tendance à être plus élevé dans les unités urbaines de plus de 500 000 habitants que dans les unités urbaines plus petites.

Graphique 3
Indice de ségrégation du parc social entre quartiers des unités urbaines

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Champ : communes des 55 unités urbaines de plus de 100 000 habitants de France métropolitaine.
Lecture : en 1990, dans l’unité urbaine de Paris, il aurait fallu « déplacer » 63 % des logements sociaux d’un quartier à l’autre pour obtenir le même taux de logements sociaux dans tous les quartiers de l’unité urbaine.
Source : base historique des recensements (SAPHIR) 2010-2017, Fideli 2017-2019

Mais on notera que la baisse de l’indice de ségrégation du parc social s’observe dès la décennie 1990, où elle est particulièrement forte, alors même que la loi SRU n’a pas encore été votée. Il est donc difficile d’attribuer la meilleure répartition du parc social à la seule loi SRU. C’est d’autant plus vrai que le parc social est également mieux réparti à l’intérieur même des communes, entre les différents quartiers (graphique 4). Or cette évolution ne peut être directement imputable à la loi SRU qui vise une meilleure répartition du parc social entre les communes mais ne prescrit pas d’objectif de répartition à l’échelle infra-communale. Et cette déségrégation du parc social entre quartiers d’une même commune s’observe, là encore, dès la décennie 1990.

Graphique 4
Indice moyen de ségrégation du parc social entre quartiers d’une même commune

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Champ : communes des 55 unités urbaines de plus de 100 000 habitants de France métropolitaine. Les 18 communes étant soumises à SRU et ayant également bénéficié d’un programme PNRU sont exclues de l’échantillon. Les communes comprenant moins de 5 IRIS sont également exclues de l’analyse.
Lecture : en moyenne en 2017, dans les communes de l’unité urbaine de Paris, il faudrait « déplacer » 50 % des logements sociaux d’un quartier à l’autre, au sein d’une même commune, pour obtenir le même taux de logements sociaux dans tous les quartiers de la commune.
Source : calculs France Stratégie à partir des données SAPHIR, DHUP et ANRU

La déségrégation du parc social est donc un phénomène tangible, auquel a vraisemblablement contribué la loi SRU. Mais cette meilleure répartition du parc social s’est-elle accompagnée d’une meilleure répartition des ménages modestes ?

2. Une stabilité globale de la ségrégation des plus modestes entre 2012 et 2018

Pour étudier le niveau de ségrégation des ménages modestes, on mobilise les bases de données Filosofi [11], disponible pour la période 2012-2017 et Fideli, disponible pour la période 2014-2018. Ces sources permettent en effet de croiser données socio-fiscales, localisation des ménages et type de logement. Il est donc possible d’étudier l’évolution de la répartition des ménages en fonction de leur niveau de vie. Ici, on s’intéresse aux 20 % des ménages les plus pauvres de l’unité urbaine, et l’on cherche à savoir si leur répartition au sein des différents quartiers de chaque unité urbaine est devenue plus homogène. Le graphique 5 indique cette évolution en regroupant les unités urbaines selon leur taille.

De 2012 à 2018, l’indice de ségrégation des 20 % des ménages les moins aisés, tous types de logement confondus, est stable au sein des 55 unités urbaines étudiées. Cet indice se situe autour de 31 %, c'est-à-dire qu’il faudrait que 31 % de ces ménages modestes changent de quartier au sein de l’unité urbaine où ils vivent pour qu’ils représentent la même part des ménages au sein de chacun des quartiers [12]. Cet indice varie assez faiblement en fonction de la taille de l’unité urbaine, oscillant entre un peu moins de 33 % dans l’unité urbaine de Paris et un peu moins de 29 % en moyenne dans les unités urbaines de moins de 500 000 habitants.

Graphique 5
Indice de ségrégation des 20 % des ménages les plus modestes, selon la taille de l’unité urbaine

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Champ : communes des 55 unités urbaines de plus de 100 000 habitants de France métropolitaine.
Lecture : en 2019, l’indice de ségrégation des 20 % des ménages au niveau de vie le plus faible de l’unité urbaine considéré était en moyenne de 29 % dans les unités urbaines de 100 000 à 200 000 habitants.
Sources : Filosofi (2012-2017) et Fideli (2014-2018)

Une autre façon d’étudier la répartition spatiale des ménages les plus modestes est de mesurer la proportion d’entre eux qui vivent dans des quartiers où ils sont surreprésentés [13]. En 2018 comme en 2012, environ 8 % des ménages du premier quintile (les 20 % les plus modestes) vivent dans des quartiers où ils représentent plus de 40 % des ménages du quartier [14]. De même, parmi les ménages qui vivent dans des quartiers de la politique de la ville [15], la part des ménages du premier quintile est stable sur la période récente, et se situe autour de 48 %, en 2018 comme en 2012 [16].

On note enfin que la part des ménages modestes au sein des communes déficitaires du périmètre SRU est stable, aux alentours de 15,5 % en 2012 et en 2018.

Globalement, la baisse rapide de l’indice de ségrégation des logements sociaux, c’est-à-dire leur meilleure répartition, ne semble donc pas s’être traduite par une meilleure répartition des ménages les plus modestes.

Sur le graphique 6, on a représenté les 55 unités urbaines en fonction de l’évolution entre 2010 et 2017 de l’indice de ségrégation du parc social (axe horizontal) et de l’évolution entre 2012 et 2018 de l’indice de ségrégation des ménages du premier quintile (20 % les plus modestes). Le graphique confirme bien que la baisse de l’indice de ségrégation du parc social est observée dans presque toutes les unités urbaines. Mais le nuage des points est assez dispersé, et donc la corrélation entre l’évolution des deux indices de ségrégation, celui du parc social et celui des ménages modestes, est assez faible. Globalement, à l’échelle des 55 unités urbaines étudiées, une baisse de 10 points de l’indice de ségrégation du parc social entre 2010 et 2017 est associée à une baisse de 1 point seulement de l’indice de ségrégation des ménages du premier quintile.

Graphique 6
Évolution de l’indice de ségrégation des individus en logement social (axe horizontal)
et des individus à bas revenus (axe vertical) en points de pourcentage

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Champ : communes des 55 unités urbaines de plus de 100 000 habitants de France métropolitaine.
Lecture : chaque point représente une unité urbaine. L’axe horizontal indique l’évolution entre 2010 et 2017, en points de pourcentage, de l’indice de ségrégation du parc social. L’axe vertical indique l’évolution entre 2012 et 2018, toujours en points de pourcentage, de l’indice de ségrégation des ménages du premier quintile, c'est-à-dire des 20 % les plus modestes.
Sources : SAPHIR (2010, 2017), Filosofi (2012) et Fideli (2019)

3. Pourquoi la meilleure répartition spatiale du logement social n’entraîne pas forcément celle des ménages les plus modestes ?

Durant la décennie 2010, le mouvement de diffusion du parc social s’est donc poursuivi. Mais il ne s’est pas accompagné d’une meilleure répartition des ménages modestes, dont l’indice de ségrégation n’a pas sensiblement varié. Cela peut sembler paradoxal à première vue, dans la mesure où le parc social accueille majoritairement des ménages à bas revenus. À défaut de pouvoir fournir une explication d’ensemble à ce paradoxe, les données permettent de tester plusieurs pistes d’explication. Gardons néanmoins en tête que notre fenêtre d’observation, s’agissant de la ségrégation des ménages modestes, reste étroite (2012-2018). Notons également que l’indice de ségrégation de ces ménages, qui se situe autour de 30 % en fin de période, se situe à un niveau relativement modéré, bien plus faible en tout cas que celui des logements sociaux (autour de 50 %).

Une première piste d’explication pourrait provenir de l’évolution de la ségrégation des ménages modestes qui résident dans le parc privé de logement. 60 % des ménages du premier quintile sont en effet locataires du secteur privé ou bien propriétaires. La hausse des prix de l’immobilier aurait pu aboutir à une augmentation de la ségrégation de ces ménages, dont l’ampleur aurait été compensée par la déségrégation de ceux qui habitent dans le parc social. Il n’est pas possible d’observer la répartition des ménages modestes au sein du parc privé. Néanmoins, le graphique 5 montre que la ségrégation des ménages modestes n’a pas évolué différemment d’une taille d’unité urbaine à l’autre, voire a légèrement diminué dans l’unité urbaine de Paris, où pourtant les prix ont davantage augmenté que dans le reste de la France. Cette observation ne permet donc pas de valider cette première piste d’explication.

Une autre explication du phénomène pourrait tenir à la paupérisation des quartiers à forte présence de logements sociaux, qui viendrait annuler les effets liés à la diffusion du parc social. Au sein de notre échantillon, quatre unités urbaines (Troyes, Perpignan, La Rochelle et Rennes), illustrent ce phénomène : l’indice de ségrégation du parc social a baissé très fortement en 7 ans, -10 points, celui des ménages du premier quintile étant quasiment inchangé. Dans ces unités urbaines, on constate aussi que dans les quartiers à forte proportion de logements sociaux (taux supérieur à 80 % en 2010 et 2017) la part des ménages du premier quintile a augmenté de 2 points sur la même période.

Une troisième explication pourrait tenir au fait qu’une partie des nouveaux logements sociaux est construite dans des quartiers qui certes en comportent peu, mais qui sont néanmoins peuplés de ménages modestes. Si les nouveaux logements sociaux sont habités par des ménages modestes, on aura ainsi contribué à la cohabitation des ménages de différents parcs (public et privé), mais pas à la cohabitation des ménages modestes avec des ménages plus aisés. Si les logements sociaux nouveaux sont issus de logements privés réhabilités, on peut avoir, à l’échelle d’un quartier, un simple effet de substitution : les ménages restent pauvres, mais passent du parc privé au parc public. De fait, en moyenne, une part relativement limitée des logements sociaux est créée dans des quartiers où les ménages modestes sont peu nombreux. Sur l’ensemble des communes étudiées, 15 % de la hausse nette du nombre de locataires sociaux observée entre 2010 et 2017 est concentrée dans des quartiers comportant moins de 10 % de ménages du premier quintile de l’unité urbaine. Mais inversement, 13 % seulement de cette hausse nette est concentrée dans des quartiers comportant plus de 30 % de ménages du premier quintile. La hausse du parc de logements sociaux s’observe donc pour l’essentiel dans des quartiers « ni très riches, ni très pauvres ».

Une quatrième explication, proche de la précédente, serait que le profil des ménages qui accèdent aux nouveaux logements sociaux varie en fonction du type de quartiers où ces logements sociaux sont créés. Dit autrement, lorsqu’on crée des logements sociaux, les ménages qui y accèdent sont plus aisés lorsque les nouveaux logements sont situés dans des quartiers relativement aisés que lorsqu’ils sont situés dans des quartiers relativement pauvres. C’est bien ce que suggère le graphique 7.

Graphique 7
Part en 2018 des ménages du premier quintile (Q1) des niveaux de vie dans les logements sociaux créés à partir de 2010
en fonction de la part des ménages du premier quintile (Q1) de niveaux de vie présents dans le parc privé

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Champ : communes des 55 unités urbaines de plus de 100 000 habitants de France métropolitaine.
Lecture : en 2018, pour l’ensemble des communes étudiées, dans les quartiers où la part des ménages modestes est supérieure à 40 % dans le parc privé, la part de ces ménages modestes dans le parc social créé depuis 2010 est de 51 %. Les ménages « modestes » sont les 20 % des ménages qui ont les niveaux de vie les plus faibles de l’unité urbaine étudiée.
Source : Fideli 2019

Le fait que les logements sociaux des quartiers riches accueillent relativement moins de ménages modestes a été documenté par plusieurs travaux en sociologie. Deux types d’explication sont avancées. Selon la première [17], les nouveaux logements seraient qualitativement différents dans les quartiers riches. Les plafonds de revenus pour accéder à ces logements y seraient plus élevés du fait d’une part plus importante de logements sociaux intermédiaires. Les loyers y seraient également plus élevés. Les données du répertoire des logements locatifs des bailleurs sociaux (RPLS) montrent néanmoins que, pour les logements construits depuis 2010, la part des logements sociaux intermédiaires n’est pas significativement plus élevée dans les quartiers aisés. Et à l’intérieur des unités urbaines, on n’observe pas d’écarts significatifs de loyers moyens des logements sociaux récents selon qu’ils se situent dans des quartiers « riches » (part du premier quintile dans le parc privé inférieure à 10 %) ou dans des quartiers « pauvres » (part du premier quintile dans le parc privé comprise entre 30 % et 40 %) [18].

Une autre explication avancée du moindre accès des ménages modestes au logement social dans les quartiers aisés tient au processus d’attribution des logements sociaux. Les logements sociaux seraient attribués en priorité aux ménages résidant à proximité. Fabien Desage parle même de préférence communale dans l’attribution des logements sociaux [19]. Les données Fideli semblent plutôt valider cette piste d’explication. Parmi les individus ayant emménagé dans un logement social d’une unité urbaine de plus de 100 000 habitants en 2019, environ 50 % habitaient la même commune l’année précédente et 64 % habitaient à moins de cinq kilomètres, contre respectivement 35 % et 50 % dans le parc privé. Il est délicat à ce stade de savoir si ce phénomène est imputable aux décisions des maires ou simplement aux vœux des demandeurs, qui souhaitent trouver un logement social dans la commune où ils résident déjà.

Conclusion

Depuis les années 1990, la répartition des logements sociaux entre quartiers des communes, comme entre communes des unités urbaines, est devenue plus homogène. Les obligations qui découlent de l’article 55 de la loi SRU ont vraisemblablement accompagné ce phénomène en incitant les communes où les logements sociaux étaient peu nombreux à en construire davantage. L’effet de la loi sur la construction de logements sociaux dans les communes où ces derniers étaient rares est probable pour les communes de taille juste suffisante pour être dans son périmètre, et vraisemblable pour les communes de taille plus importante. Néanmoins, sur une fenêtre d’observation assez étroite (2012-2018), l’effet de la meilleure répartition des logements sociaux sur celle des ménages modestes reste globalement modéré. Ce phénomène, qui devra être confirmé sur une période plus longue, pourrait tenir aux caractéristiques des logements sociaux créés dans les différents types de quartiers, aux mécanismes d’attribution des logements, mais aussi aux dynamiques observables dans le parc privé.


Remerciements : les auteurs remercient chaleureusement la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), le Service de la donnée et des études statistiques (SDES) du ministère de la Transition écologique et solidaire et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) pour les données qu’ils ont bien voulu leur transmettre. Ils remercient également l’ANRU pour les commentaires qu’elle a bien voulu leur faire sur une version préliminaire de ce texte, qui n’engage néanmoins que ses auteurs. Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche au titre du programme « Investissements d’avenir » portant la référence ANR-10-EQPX-17 (Centre d’accès sécurisé aux données –CASD).

[1] Une unité urbaine regroupe une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu. L’unité urbaine de Paris, de loin la plus importante, regroupe ainsi plus de 400 communes dans lesquelles vivent plus de 10 millions d’habitants. 

[2] Voir Botton H., Cusset P.-Y., Dherbécourt C. et George A. (2020), « Quelle évolution de la ségrégation résidentielle en France ? », La Note d’analyse, n° 92, France Stratégie, juin.

[3] Loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain.

[4] Sauf pour les communes qui appartiennent à un périmètre SRU dont la situation et le fonctionnement du marché de l’habitat ne justifient pas un renforcement des obligations de production.

[5] On s’intéresse en fait aux ménages locataires du parc social. Mais l’INSEE définit un ménage comme l’ensemble des occupants d’une même résidence principale, donc à chaque ménage locataire du parc social correspond un logement social. Le taux de logements sociaux est le rapport entre le nombre de logements sociaux et le nombre de résidences principales. Les logements occasionnels, les résidences secondaires et les logements vacants sont hors champ.

[6] Une autre catégorie regroupe 131 communes qui ne sont pas sur la liste des communes déficitaires en 2004, mais qui réunissent pourtant en 1999 les caractéristiques pour être à la fois dans le périmètre SRU et avec un taux de logements sociaux inférieur à 20 %. Parmi ces communes, certaines ont pu être exemptées d’obligations.

[7] Appelé le plus souvent indice de dissimilarité, ou indice de Duncan dans la littérature académique.

[8] Îlots regroupés pour l’information statistique.

[9] Les communes trop petites pour être divisées en IRIS constituent chacune un IRIS, et donc, ici, un quartier.

[10] Fichiers démographiques sur les logements et les individus.

[11] Fichier localisé social et fiscal.

[12] Par définition, au sein de chaque unité urbaine, ils représentent 20 % des ménages.

[13] Le champ est toujours celui des 55 unités urbaines de plus de 100 000 habitants de France métropolitaine.

[14] Sources : Filosofi 2012 et Fideli 2019.

[15] Quartiers à forte concentration de pauvreté, définis par la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de 2014.

[16] 48,6 % en 2012 (Filosofi) et 48,3 % en 2018 (Fideli).

[17] Gobillon L. et Vignolles B. (2016), « Évaluation de l’effet d’une politique spatialisée d’accès au logement », Revue économique, vol. 67, n° 3, p. 615-637.

[18] Cet écart est de l’ordre de 50 centimes lorsque le niveau moyen des loyers du parc social se situe autour de 6 euros du mètre carré.

Auteurs

Clément Dherbecourt
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Clément
Dherbécourt
Anciens auteurs de France Stratégie
Pierre-Yves Cusset - DSPS - Equipe
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Pierre-Yves
Cusset
Société et politiques sociales
Alban George
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Libre
Alban
George
Anciens auteurs de France Stratégie
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