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Point de vue
Publié le
Mardi 08 Avril 2014
Poutine aurait-il osé envahir la Crimée s'il n'avait pas constaté la très faible solidarité en Europe face à la crise de la monnaie unique? De fait, l'erreur des pères de l'euro fut de croire que sa création allait forger une véritable communauté. Par Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et la prospective.
Vladimir Poutine va-t-il renforcer la zone euro ? par Jean-Pisani-Ferry

Jacek Rostowski, qui était jusqu’en novembre dernier ministre des Finances de la Pologne, a récemment avancé que Vladimir Poutine n’aurait jamais osé annexer la Crimée s’il n’avait pas été le témoin des tourments de l’Union européenne face à la crise de l’euro. A-t-il raison ?

A première vue, le raccourci semble exagéré. Le coup de force de Poutine s’est appuyé sur l’étalage de sa puissance militaire et la menace implicite d’un embargo sur le gaz, pas sur l’arme monétaire (dont il ne dispose pas). Tout au long du conflit sur la Crimée, on s’est centré sur les relations de l’Ukraine avec l’UE, pas avec la zone euro. Quant la monnaie ukrainienne, elle fait partie de la sphère du dollar, pas de celle de l’euro. Dans ces conditions, quelle relation peut-il y avoir entre la devise européenne et l’annexion de la Crimée par la Russie ?

Un manque de goût en Europe pour la solidarité

L’argument de Rostowski est que tout au long de la crise de l’euro, les pays européens ont montré qu’ils avaient fort peu de goût pour la solidarité avec leurs partenaires de l’union monétaire. Dans ces conditions, quel niveau de solidarité pouvait-on attendre à l’égard d’un pays extérieur à l’UE ? Selon Rostowski, Poutine a interprété la gestion hésitante de la crise par l’UE comme un feu vert pour agir à sa guise. Et il pourrait continuer sur sa lancée pour la même raison.

On peut de toute évidence analyser la série d’événements qui a suivi l’effondrement financier de 2008 comme témoignant d’une crise de la solidarité. Alors qu’il aurait fallu apporter une réponse commune à la débâcle bancaire en Europe, chaque pays a dû faire face tout seul aux problèmes de ses propres institutions financières. Quand la Grèce n’a plus eu accès aux marchés financiers, il a fallu plusieurs mois pour décider d’une réponse qui évitait soigneusement de faire appel aux fonds européens, et limitait l’engagement financier de chaque pays. Et quand finalement a été érigé un « pare-feu », on l’a choisi de taille réduite et toute responsabilité conjointe et solidaire a été exclue. Quant à l’idée d’euro-obligations, elle a été vite rejetée parce qu’elle supposait une mutualisation de la dette.

Auteurs

Jean Pisani-Ferry
Jean
Pisani-Ferry
Anciens auteurs de France Stratégie