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Rapport
Publié le
Mardi 26 Février 2019
Le rapport du groupe de travail présidé par Émile Quinet a pour objectif d’accompagner et de guider les porteurs d’un projet d’investissement d’enseignement supérieur ou de recherche dans la manière d’évaluer l’intérêt collectif du projet. Ils disposent ainsi d’une méthodologie partagée et cohérente. Au-delà de la problématique des moyens, ils peuvent donc expliciter les finalités des projets et évaluer l’intérêt socioéconomique de l’investissement pour l’ensemble de la société.
L’évaluation socioéconomique des projets immobiliers de l'enseignement supérieur et de la recherche

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de l'enseignement supérieur et de la recherche

Pourquoi ce rapport ?

Les dépenses publiques d’investissement façonnent sur le long terme, parfois pour plusieurs siècles, l’aspect de notre pays, la qualité de son environnement et sa capacité à affronter les défis futurs. C’est dire combien les décisions en la matière doivent être prises de la façon la plus éclairée possible, en évaluant au mieux les avantages qu’ils vont procurer et les coûts qu’ils vont engendrer, d’autant que leur financement repose en large partie sur l’épargne publique nationale, ressource rare en général et encore plus dans la période actuelle.

Il est donc normal que se soit développé, au fil du temps, un ensemble d’actions pour établir et diffuser les méthodes d’évaluation correspondantes. Ce mouvement s’est trouvé amplifié par la loi du 31 décembre 2012 et son article 17, qui rend l’évaluation socioéconomique (ESE) obligatoire pour tous les investissements impliquant des financements de l’État et de ses établissements publics. Pour accompagner cette démarche, France Stratégie a élaboré à travers plusieurs guides [1] des recommandations générales visant à améliorer la qualité des études socioéconomiques préalables aux investissements et a entrepris, avec les responsables des secteurs concernés, de décliner ces recommandations générales dans des guides de référence relatifs à chacun des secteurs en cause.

C’est dans cette perspective que France Stratégie, à la demande du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et en accord avec le Secrétariat général pour l’investissement, a constitué un groupe de travail afin de développer une méthode d’évaluation socioéconomique des projets immobiliers au service des activités de formation supérieure et de recherche, et de répondre à ce double souci de mieux apprécier l’intérêt collectif des investissements dont ce ministère a la responsabilité d’une part, et de satisfaire l’obligation réglementaire qui leur est imposée d’autre part.

L’étude dont le présent texte fournit la synthèse est le résultat des travaux de ce groupe. Elle marque la spécificité de l’ESE par rapport aux outils d’analyse des projets traditionnels, qui est de mettre l’accent sur les bénéfices du projet et d’évaluer ces bénéfices pour l’ensemble de la collectivité nationale.

Spécificité de l’évaluation socioéconomique par rapport aux outils d’analyse existants

Contrairement aux outils d’analyse mobilisés pour évaluer les investissements dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), qui sont essentiellement centrés sur les conséquences pour l’université ou l’organisme porteur de projet, tant en matière de coûts que de bénéfices ou revenus, l’ESE introduit un regard nouveau : elle se place, non pas du point de vue de l’organisme porteur de projet, mais de celui de l’ensemble de la collectivité nationale, en intégrant dans l’analyse tous les agents impactés par le projet. Cette nouvelle perspective implique d’évaluer les conséquences de l’investissement, non seulement pour le personnel des établissements et en particulier ceux qui dispensent l’enseignement ou effectuent les recherches, mais aussi pour ceux qui bénéficient de l’enseignement dispensé ou des recherches effectuées.

Cette perspective nécessite la mise en œuvre de concepts nouveaux tels que les effets d’externalités de l’enseignement, les bénéfices socioéconomiques de la diplomation, les bénéfices que retire la collectivité des résultats de la recherche, et qui s’introduisent là où les outils d’analyse actuels, fondés sur la comptabilité publique ou privée, ne voient que des coûts. Elle conduit également à s’interroger sur ce que les économistes appelleraient la demande et qui représente d’un point de vue géographique l’aire d’influence de l’investissement immobilier en cause en termes d’attraction des étudiants et des chercheurs, et plus largement de l’ensemble des acteurs économiques, attraction qui implique notamment les caractéristiques de qualité (qualité de l’accueil, insertion dans la vie locale, modalités d’introduction dans la vie active, qualité pédagogique, etc.) conditionnant l’attrait de l’université pour les étudiants.

La méthodologie proposée

La méthodologie proposée s’inscrit dans ces grandes orientations et aborde de front les difficultés mentionnées. Elle comporte plusieurs étapes développées dans le rapport, en accord avec les textes fondamentaux qui régissent les méthodes de l’ESE. À chaque étape, les recommandations sont illustrées sur quelques exemples construits à partir de cas réels anonymisés.

  • La définition du projet et de son environnement stratégique, notamment la présentation du projet et de ses variantes et sa cohérence avec les orientations stratégiques auxquelles le porteur de projet doit se référer. Cette présentation du projet doit être faite au regard de ce qui adviendrait sans le projet (option de référence).
  • L’estimation quantifiée du nombre d’agents socioéconomiques qui bénéficieront du projet, au premier rang desquels figurent les étudiants, ce que les économistes appellent la connaissance de la demande. Dans le cas de l’enseignement supérieur, ce chapitre s’intéresse donc en particulier aux étudiants concernés en nombre et en niveau (origines, débouchés, etc.), ainsi qu’aux enseignantschercheurs et, à travers des médiations complexes, au reste de la collectivité, en particulier aux acteurs économiques.
  • La question des coûts, des recettes et de l’analyse financière du projet. L’analyse financière intervient à deux titres : d’abord pour s’assurer de la viabilité financière du projet, c’est-à-dire de la capacité du porteur de projet à le financer et à trouver des partenaires publics et privés pour consolider ce financement tout au long de sa durée de vie ; ensuite dans le cadre de l’ESE, pour recenser les coûts et bénéfices monétaires que le projet occasionnera.
  • La détermination et la valorisation des bénéfices attendus du projet. Ce chapitre, qui constitue l’un des apports essentiels à la démarche de l’ESE, s’attache en particulier à l’évaluation des bénéfices collectifs de la recherche [2] et de la diplomation, qui passe par la notion de bénéfice socioéconomique d’un diplôme (BSED) [3].
  • La cohérence du projet dans son environnement local, un facteur essentiel du succès d’un projet : synergie avec les stratégies de développement de l’agglomération et de la région, qualité de l’insertion des étudiants et des enseignants, notamment.
  • L’analyse du risque, pour les risques nombreux entourant un investissement. Ces risques peuvent être liés à la méthode d’évaluation elle-même, au projet en tant que tel ou à l’environnement extérieur au projet. Cette analyse est un gage de qualité d’une évaluation prospective.

Enfin, le rapport explicite comment combiner les briques précédentes pour construire la synthèse de l’ESE et les indicateurs d’ensemble : la Valeur actuelle nette socioéconomique (VAN-SE) notamment, mais aussi les études de sensibilité et analyses de risques. Il fournit un tableur qui permet de calculer les principaux indicateurs de rentabilité, tant pour l’analyse financière que pour l’ESE. Des exemples suivis au long du rapport, on voit se dégager quelques tendances qui devraient être confirmées : en général la rentabilité socioéconomique est plus souvent atteinte que la rentabilité financière pour le porteur de projet ; en outre, il arrive souvent que les variantes d’un même projet soient classées différemment selon qu’on considère l’analyse financière ou l’analyse socioéconomique. On indique aussi comment prendre en compte qualitativement les effets qu’il n’est pas actuellement possible d’introduire sous forme monétaire : le rayonnement international (pris en compte par des indications sur le nombre et les zones d’origine des étudiants étrangers et par les accords conclus avec des organismes étrangers), l’insertion dans l’économie locale (origine des étudiants, qualité de l’insertion, nature des débouchés), les effets sur le développement durable (réduction de l’artificialisation des sols) [4].

Où en est-on ?

Les recommandations contenues dans ce texte ont pour objectif d’accompagner et de guider le porteur d’un projet d’investissement d’enseignement supérieur ou de recherche dans la manière de soulever et d’aborder, dans un esprit de proportionnalité, les bonnes questions et les points essentiels permettant de cerner l’intérêt collectif du projet. Leur nouveauté et le peu de retours d’expérience que nous en avons interdisent de donner à ces recommandations un caractère trop prescriptif. Elles ont au contraire vocation à s’inscrire dans une démarche de dialogue, de concertation et de responsabilisation des porteurs de projet.

Il faut surtout éviter que ces recommandations soient ressenties comme une obligation administrative nouvelle venant s’ajouter aux exigences actuelles. Dans un contexte où les universités sont confrontées à de multiples processus interministériels de validation des opérations immobilières [5], l’approche portée par l’étude peut au contraire être mise à profit pour une réflexion d’ensemble sur l’unification et la simplification de ces procédures dans le cadre d’un dialogue de gestion rénové et séquencé. La circulaire de 2015 relative à l’expertise des opérations immobilières du ministère en charge de l’Enseignement supérieur et de la Recherche [6], qui constitue aujourd’hui une première démarche de cadrage des évaluations préalables des investissements immobiliers, est en cours de réécriture et pourra intégrer ces directives pratiques.

La méthodologie proposée peut être un outil d’optimisation des projets, par exemple en permettant de dégager les synergies possibles avec les collectivités territoriales, ou en faisant apparaître comment améliorer l’attractivité de l’université et le développement du territoire dans lequel elle s’insère, en magnifiant ainsi sa participation à l’augmentation du bien-être collectif. Elle constitue aussi un vecteur pour développer un savoir économique et pour, à terme, introduire davantage de considérations économiques dans les décisions du ministère, des établissements et des cofinanceurs (par exemple collectivités territoriales).

Comme toujours en ce qui concerne l’évaluation socioéconomique des investissements, les méthodes mises au point, si elles conviennent bien pour mesurer l’intérêt d’un projet isolé de taille limitée par rapport à l’ensemble du programme, ne sont pas adaptées à la définition d’une politique d’ensemble, et ce pour différentes raisons qui seront analysées plus bas : l’analyse socioéconomique ne constitue qu’une des dimensions des activités d’enseignement supérieur et de recherche, les BSED proposés par la suite sont valables pour les volumes actuels de diplômés et changeraient si ces volumes se modifiaient fortement, etc.

Et comment poursuivre ?

Notons à cet égard l’intérêt que la participation au groupe de travail a fait naître chez les porteurs de projet. Ainsi, à plusieurs reprises, l’association des responsables immobiliers de l’enseignement supérieur, et d’autres participants au groupe, ont fait savoir qu’ils trouvaient l’occasion de toucher du doigt les « vraies questions » en dépassant la problématique des moyens pour aborder celle des finalités, et notamment de l’intérêt de l’investissement pour l’ensemble de la société. La dynamique d’intérêt qui s’est manifestée semble être le gage d’une mobilisation possible des énergies en faveur du développement de l’ESE. Ce dynamisme doit être encouragé, car la réflexion et les bases sur lesquelles a été construit ce rapport méritent un approfondissement et des prolongements.

Il convient d’augmenter le stock de connaissances sur lesquelles s’appuyer. Il serait nécessaire de mieux connaître les effets des investissements immobiliers sur la réussite des étudiants, notamment l’effet des regroupements (traités très forfaitairement actuellement) ; l’intérêt, du point de vue économique et social, de constituer des ensembles de visibilité internationale (logique du plan Campus) ou de maintenir des antennes coûteuses mais qui apportent la connaissance dans les territoires (logique du Contrat de plan État-région), en intégrant dans cette comparaison l’utilisation croissante du numérique et le développement du très haut débit. De même, les grands campus ne sont-ils pas un moyen de pousser à la décohabitation, qui favorise l’immersion et, partant, la réussite, mais qui favorise également les mobilités et par conséquent les parcours professionnels ? On pourrait mentionner de nombreux autres sujets dont l’approfondissement passe par des retours d’expérience, le perfectionnement des outils statistiques existants et des programmes de recherche suivis sur le long terme.

Malgré le souci pédagogique qui anime le rapport, il est certain que l’appropriation de ces méthodes nouvelles par l’ensemble des parties prenantes concernées constituera une tâche difficile. La mise en oeuvre des recommandations présentées, en dépit des précautions prises et des tests effectués, confrontera les porteurs de projet lorsqu’ils entreprendront leur ESE à des questions dont ils ne trouveront pas la réponse dans ce rapport. Les recommandations du rapport devront être complétées sous forme plus directement opérationnelle par des directives détaillant davantage le modus operandi des procédures proposées, prenant plus précisément en compte l’ensemble de l’environnement institutionnel et des supports d’information existants. Il faudra aussi former et informer les directeurs généraux des services, les directeurs immobiliers et financiers et les élus universitaires ou les enseignants qui portent les projets de transformation des campus. Ces formations doivent se concevoir dans la durée, comme des processus dynamiques qui se nourriront des retours d’expérience.

Pour répondre à ces besoins, il paraît nécessaire d’envisager une instance permanente qui pourrait prendre la forme d’une cellule d’animation. Cette cellule aurait pour tâche d’assurer la bonne diffusion et la bonne utilisation de ces méthodes, à travers une mobilisation de l’intervention et la capacité d’analyse des porteurs de projet et des établissements, qui sont les mieux à même de déceler les évolutions et les orientations souhaitables [7].

Cette cellule légère, coordonnée par la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle, munie de moyens pour réaliser des études et de la recherche, et associant, par exemple dans un comité de pilotage, les acteurs de terrain et les économistes, permettrait de faire entrer cette démarche dans une logique d’amélioration continue. C’est la condition pour que les ESE de l’enseignement supérieur et de la recherche gagnent en crédibilité et puissent contribuer à de meilleures décisions en un domaine essentiel pour l’avenir de notre pays.


[1] Notamment le rapport L’Évaluation socioéconomique des investissements publics en 2013 et le Guide de l’évaluation socioéconomique des investissements publics en 2017, publié en liaison avec la Direction générale du Trésor.

[2] Mesurée selon une méthode inspirée des procédures mises en place au niveau de la Commission européenne et de la Banque européenne d’investissement, qui fournit une estimation de la valeur d’une publication et d’un brevet.

[3] Le bénéfice socioéconomique d’un diplôme (BSED) est approché par le supplément de revenus dont bénéficie le diplômé, augmenté des retombées de son savoir sur le reste de la collectivité; il s’entend par étudiant diplômé, et dépend bien sûr du diplôme.

[4] Rappelons que les conséquences de la limitation des émissions de gaz à effet de serre sont déjà monétarisées, à travers la valeur tutélaire du coût du carbone.

[5] Direction de l’Immobilier de l’État et son processus de labellisation, Mission d’appui au financement des infrastructures FIN INFRA et son processus d’étude préalable des modes de réalisation, Direction du Budget et ses études de soutenabilité budgétaire, ministère de l’Enseignement supérieur, de la
Recherche et de l’Innovation (MESRI) et son processus d’expertise des opérations immobilières, etc.

[6] « Procédure d’expertise des opérations immobilières », circulaire n° 2015-146 du 19 août 2015 MENESR-DGESIP.

[7] Cette phase pourrait confirmer l’impression qui se dégage des premières évaluations, à savoir que les investissements immobiliers sont d’une rentabilité collective élevée. Ce point était déjà bien documenté au niveau macroéconomique avec toutes les analyses concernant les effets de croissance endogène de l’éducation et de la recherche ; il semble se trouver ici confirmé par les analyses plus microéconomiques relatives aux investissements eux-mêmes.

Auteurs

Jincheng Ni
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Développement durable et numérique
Émile Quinet