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Rapport
Publié le
Mardi 02 Juillet 2019
Les dispositifs de médiation entre citoyens et administrations sont « à la croisée des chemins ». La multiplication des objectifs qui leur sont assignés pose la question de la préservation de leur valeur ajoutée propre : « l’art du dialogue d’égal à égal » face au risque « d’industrialisation » de la médiation.
Médiation accomplie ?

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Médiation accomplie ? Discours et pratiques de la médiation entre citoyens et administrations

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Médiation accomplie ? Discours et pratiques de la médiation entre citoyens et administrations

C’est une des demandes ressorties du Grand débat : les Français veulent des services publics plus « humains ». Le chef de l’État a du reste annoncé en retour la création « dans chaque canton » d’un « endroit où l’on puisse trouver une solution aux problèmes », sorte de guichet unique baptisé « France services ». Et pour cause : la complexité croissante des procédures administratives, leur dématérialisation qui laisse l’usager seul face à son dossier et les délais d’attente engendrent des « difficultés d’accès parfois insurmontables », pour reprendre les termes du Défenseur des droits. Des difficultés aux problèmes, voire aux conflits avec l’administration, les conséquences in fine sont souvent lourdes. Une pension de retraite suspendue, une allocation qui n’est plus versée à une mère isolée. Et des usagers qui se perdent dans un système qui peut parfois sembler kafkaïen. Selon le Défenseur des droits, plus de 50 % des personnes ont expérimenté au moins une fois dans les cinq dernières années des difficultés pour résoudre un problème avec une administration. On comprend bien dans ce contexte la place grandissante prise par les dispositifs de médiation entre citoyens et administrations. On connaît peu pourtant leur écosystème. Ce rapport de Daniel Agacinski et Louise Cadin, réalisé à la demande de l’Assemblée nationale, comble la lacune.

Une médiation pas comme les autres

Le développement de dispositifs de médiation entre les citoyens et les administrations est relativement récent en France. On peut dater son début à 1973, avec la création du Médiateur de la République. Administrations (ou opérateurs de l’État), collectivités locales et organismes de sécurité sociale ont suivi le mouvement en se dotant de services de médiation plus ou moins inspirés du Médiateur de la République devenu en 2011 le Défenseur des droits avec des prérogatives élargies.

Tous ont en commun « une série de caractéristiques très spécifiques », notent les auteurs. D’abord la médiation citoyens-administration se joue entre deux « personnes » radicalement asymétriques : d’un côté, une personne physique, citoyen, usager de l’administration, allocataire, assuré social, qui cherche à comprendre ou à contester une décision qui lui a été notifiée, ou à faire valoir ses droits ; de l’autre, une administration qui prend des décisions « à la chaîne », en fonction des dossiers reçus et de la réglementation à respecter et faire respecter.

« Tout contribue ainsi à rendre, a priori, cette médiation impossible », soulignent Daniel Agacinski et Louise Cadin. L’autorité publique a affaire à des données de masse, son action est guidée par des règles de portée générale, elle adopte une position verticale vis-à-vis des administrés et elle est tenue par les principes d’égalité de traitement et de légalité. Tandis que la médiation se veut un art du dialogue d’égal à égal, de la prise en compte de la particularité des situations, de la recherche de solutions originales n’ayant pas vocation à faire jurisprudence. Et pourtant cette démarche de médiation citoyens-administration s’est considérablement développée en un demi-siècle.

Les objectifs de la médiation

Avec la création du Médiateur de la République en 1973, la médiation avait pour mission de rapprocher le citoyen de l’administration, de renforcer sa capacité à faire valoir ses droits et de lui permettre d’effectuer un recours non contentieux avec l’aide d’un tiers. Il s’agissait aussi d’avoir une « vigie » capable de repérer les cas de « maladministration ».

C’est également l’objectif d’une amélioration du service rendu à l’usager qui conduit le ministère de l’Éducation nationale, celui des Finances, ou encore certaines collectivités locales à installer des médiateurs. Du côté des organismes de sécurité sociale, l’introduction systématique de médiateurs répond, quant à elle, à l’ambition de reconnaître un « droit à l’erreur » aux assurés et aux cotisants plutôt que de procéder par sanction automatique. Enfin apparaît la tentation de confier à des médiateurs la tâche de désengorger les tribunaux administratifs ou encore de renouer le contact avec un public qui dispose moins souvent d’interlocuteurs directs, notamment du fait de la généralisation des téléprocédures.

Les rapporteurs estiment que cette diversité des objectifs au nom desquels est promue la médiation peut aboutir à « des tensions dans la façon dont est conçue et mise en œuvre la médiation en actes ».

Des dispositifs variés mais des défis communs

Il n’y a pas eu, en France, de grande « loi médiation » qui aurait cadré de façon globale l’ensemble des dispositifs mais des vagues successives qui ont donné naissance à différents types de médiateurs. Bilan : certains dispositifs de médiation reposent sur des bénévoles qui reçoivent les usagers, quand d’autres sont imbriqués dans des services administratifs de relations au public. Certains peuvent être saisis lors de permanences physiques, quand d’autres n’acceptent que des formulaires en ligne. Certains médiateurs sont nommés pour six ans avec des mandats non renouvelables alors que pour d’autres les règles sont moins précises. La saisine des médiateurs les plus récents interrompt les délais de recours contentieux quand ceux qui ont été créés il y a plus longtemps doivent parfois inviter les réclamants à faire appel simultanément au juge.

On le voit les différences selon les dispositifs sont nombreuses en termes de garanties d’indépendance, de prérogatives comme de moyens. Si ces différences ne sont pas un problème en soi, elles comportent un risque, celui d’un manque de lisibilité des dispositifs pour les usagers, lisibilité qui est pourtant une condition de l’accessibilité et de l’efficacité des dispositifs de médiation. L’usager doit savoir à quel tiers il se fie et ce qu’il peut en attendre.

S’ils sont hétérogènes dans leur forme, les dispositifs de médiation font face à des défis communs. Ils sont, estiment les auteurs du rapport, « à la croisée des chemins ». La montée en charge de leur activité pose une question centrale : les médiateurs peuvent-ils encore conserver leur valeur ajoutée propre, liée à la prise en compte de la particularité des cas qui leur sont soumis, si on leur demande de remplacer la fonction de guichet ou de suppléer le juge ? Autrement dit : le risque n’est-il pas celui d’une « industrialisation » de la médiation, qui pourrait aboutir à une automatisation du traitement des dossiers, transformant alors la médiation en une administration comme une autre ?

Pour préserver « l’esprit » de la médiation, il est impératif à ce stade, selon les auteurs, de trouver sa « juste place », et de ne pas lui demander notamment de prendre la place du contact de premier niveau avec l’usager ou de se substituer aux juridictions. Il est également nécessaire de rendre solides et lisibles les garanties d’indépendance des médiateurs.

Comment rendre la médiation plus lisible et plus efficace ?

Le rapport formule plusieurs préconisations, qui visent trois grands objectifs : harmoniser les conditions de la médiation, coordonner les médiateurs et discuter des enseignements de la médiation.

L’harmonisation des conditions de la médiation pourrait passer par l’inscription dans la loi d’un « socle commun » définissant un standard minimal en termes de conditions de nomination et d’incompatibilités, d’autonomie de fonctionnement, ou encore de publicité du rapport annuel. Elle appelle également la généralisation de l’interruption des délais de recours contentieux, pour renforcer l’attrait de la médiation sans faire courir aux requérants le risque de perdre leur droit à aller en justice. Enfin, elle pourrait passer par un renforcement de la complémentarité entre bénévoles et salariés : le bénévolat au service de la médiation pourrait être mieux reconnu et les salariés de la médiation devraient être dédiés à temps plein à cette mission.

Pour coordonner les différents dispositifs, les auteurs recommandent de faire du Défenseur des droits la « tête de réseau » des médiateurs publics, pour qu’il joue un rôle de vigie sur les conditions d’exercice des différents médiateurs, qu’il se fasse l’écho de leurs recommandations et veille au respect du « socle commun de garanties ». Autres propositions : mutualiser les opérations de promotion de l’accès aux droits, afin de leur donner plus de force et de visibilité, et promouvoir les études et la recherche sur la qualité, l’accessibilité et l’impact de la médiation.

Sur le troisième objectif : « discuter les enseignements de la médiation », les auteurs proposent que les rapports annuels des médiateurs soient rendus plus visibles et discutés dans des espaces de délibération publique, pour développer une culture de la redevabilité dans les administrations.

Enfin, les auteurs suggèrent que les grandes réformes – comme celles, en préparation, qui concernent le rapprochement des minima sociaux ou la fusion des régimes de retraite – prennent appui sur la médiation pour favoriser le suivi des difficultés liées à leur mise en œuvre et favoriser l’amélioration en continu des dispositifs.

Auteurs

Daniel Agacincki
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Libre
Daniel
Agacinski
Anciens auteurs de France Stratégie