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Rapport
Publié le
Vendredi 22 Février 2019
[COE] Le travail non déclaré représenterait en France entre 2 et 3 % de la masse salariale et pourrait concerner, selon les formes et temporalités prises en compte, autour de 5 % de l’ensemble de la population de 18 ans ou plus.
Le travail non déclaré

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Il s’agit donc d’un phénomène significatif, même si en la matière les différentes estimations doivent être, par définition, prises avec prudence. Qu’il soit probablement plus faible en France que dans la plupart des pays de l’Union européenne et qu’aucun signe ne permette a priori de témoigner d’une quelconque augmentation tendancielle ne peuvent en aucun cas conduire à relativiser ce phénomène et ses conséquences.

De fait, les enjeux inhérents au travail non déclaré [1] sont extrêmement importants.

Les premiers enjeux sont bien évidemment pour les personnes. En l’absence de déclaration, les travailleurs sont privés des droits attachés au statut de salarié (ou d’indépendant selon le cas) : les garanties en termes de salaire, de congés payés, d’horaires et de conditions de travail, de formation professionnelle, de mobilité, de représentation collective, mais aussi les droits à la protection sociale (indemnisation du chômage, droits à retraite, protection contre les accidents du travail et les maladies professionnelles…) ne sont plus assurés. Non déclarées, les personnes peuvent se retrouver en situation de forte précarité et de grande dépendance ce qui est susceptible, dans nombre de cas, de conduire à des situations de travail aux limites de la dignité humaine. Et ces conséquences sont d’autant plus lourdes que les travailleurs concernés sont souvent ceux qui sont déjà les plus en difficulté ou les plus fragiles.

Les enjeux concernent aussi les entreprises. Le travail non déclaré est de nature à fausser les conditions d’une concurrence loyale et à perturber le fonctionnement normal du marché du travail dans une économie où les diverses cotisations et contributions assisses sur le travail constituent une composante significative des coûts de production des entreprises. En employant des personnes non déclarées, les entreprises fraudeuses échappent à la réglementation et peuvent alors profiter abusivement d’un coût du travail moins élevé que les entreprises en règle. C’est tout l’équilibre de secteurs entiers qui peut alors être affecté.

Les enjeux se mesurent également en termes de manque à gagner pour les comptes publics et de sécurisation du financement de notre système de protection sociale. L’ACOSS estimait ainsi que le manque à gagner, pour le seul travail dissimulé, en matière de cotisations sociales atteignait probablement entre 4,4 et 5,7 milliards d’euros en 2016 pour les régimes de protection sociale [2].

Plus globalement, les enjeux concernent enfin la nature du lien social et sa solidité. Nos sociétés – et c’est aussi le cas de la société française – demeurent fragiles. Elles impliquent tout à la fois un engagement citoyen et une confiance dans l’État de droit. Avec le travail dissimulé, c’est cet équilibre qui est fragilisé : le principe d’égalité devant l’impôt est remis en cause et la « morale » citoyenne affaiblie.

L’importance des enjeux exige à l’évidence une réponse déterminée. C’est donc fort logiquement qu’a été mis en œuvre, depuis les années 2000, un renforcement continu et conséquent des politiques de lutte contre le travail illégal, et en premier chef contre le travail dissimulé, en agissant tant sur le volet répressif que sur le volet préventif.

Le Conseil a toutefois été frappé par le contraste existant entre d’un côté l’importance des enjeux et la priorité affichée à la lutte contre le travail illégal et, de l’autre, la méconnaissance finalement assez forte de l’ampleur du phénomène, des profils des personnes concernées, des diversités des pratiques et de leur importance respective et de la nature des déterminants à l’origine de la non déclaration dans un contexte de mutations de l’activité (avec par exemple l’essor des plateformes numériques) et de transformation du travail.

Certes des progrès significatifs ont été réalisés depuis quelques années dans la connaissance du phénomène : on peut ici penser aux travaux du Conseil national de l’information statistique (CNIS) sur la mesure du travail dissimulé ou à l’exploitation des données issues des contrôles. Mais ils demeurent insuffisants pour cerner le phénomène au plus près et dans toutes ses dimensions. Or l’efficacité des politiques publiques dépend en la matière de la précision du diagnostic.

C’est bien sûr le cas pour les politiques de lutte contre le travail illégal qui nécessitent de se fonder sur une analyse fine du phénomène pour produire tous leurs résultats : les leviers à mobiliser diffèrent selon la nature des fraudes, les personnes concernées et surtout les déterminants propres aux différents types de non déclaration.

Mais c’est aussi le cas, plus largement, pour les politiques – qu’elles relèvent de l’action publique ou de la négociation entre partenaires sociaux – visant à améliorer le fonctionnement du marché du travail ou à développer l’emploi : la conception et le paramétrage de ces politiques doivent à l’évidence intégrer le risque d’effets de bord et leurs conséquences éventuelles en termes de non-déclaration des acteurs économiques concernés.

C’est pourquoi le Conseil a cherché, dans le cadre du présent rapport, non pas à revenir sur la question du chiffrage de l’impact pour les finances publiques du travail non déclaré, mais à analyser son impact sur le fonctionnement du marché du travail. Pour cela, il s’est attaché à clarifier et préciser le diagnostic avec un triple objectif.

Le premier objectif est de mieux connaître la réalité du travail non déclaré tel qu’il s’exerce aujourd’hui en France. Le travail non déclaré est avant tout connu au travers des contrôles réalisés. En revanche, il n’existe que très peu d’enquêtes quantitatives ou d’études qualitatives. Le Conseil a donc cherché à tirer tous les enseignements des études disponibles.

Le deuxième objectif porte sur les ressorts du travail non déclaré. Le Conseil s’est attaché ici à examiner les déterminants du travail non déclaré en mobilisant les analyses théoriques, aussi bien économiques que sociologiques, et en s’appuyant sur les études empiriques. À ce titre, il a notamment souhaité s’appuyer sur une enquête qualitative inédite, réalisée pour le compte du Conseil par Kantar Public, auprès de personnes qui pratiquent une activité non déclarée afin de mieux comprendre quelles sont leurs motivations et comment le travail non déclaré s’inscrit dans des parcours de vie et des parcours professionnels.

Le troisième objectif est d’identifier les leviers de politiques pertinents pour prévenir et réduire le travail non déclaré. Pour cela, le Conseil a cherché à recenser en quoi, au vu de ce diagnostic des formes et des causes de la non-déclaration, les politiques publiques peuvent exercer une influence (positive ou négative) sur la déclaration. Il ne s’agira pas pour le Conseil de dresser un panorama exhaustif de l’ensemble des politiques publiques pouvant influer sur la déclaration (une grande partie des politiques publiques est ici potentiellement concernée), mais plutôt d’identifier, compte tenu des évaluations qui ont pu être réalisées, certaines « bonnes pratiques » qui ont produit des résultats : en l’espèce, le Conseil s’est principalement attaché à analyser les expériences étrangères (compte tenu notamment de la rareté des évaluations suffisamment solides en France sur le sujet).

C’est sur la base de ce diagnostic que le Conseil a formulé, en conclusion, une série de recommandations.


[1] Le Conseil retiendra dans le cadre du présent rapport la notion de travail non déclaré entendu comme « toute activité rémunérée de nature légale, mais non déclarée aux pouvoirs publics » : elle repose donc sur une approche économique et se distingue ainsi de l’approche plus juridique propre aux notions de travail illégal ou de travail dissimulé qui supposent notamment une intentionnalité de la fraude.
[2] Haut Conseil du financement de la protection sociale (2018), Rapport sur l’état des lieux et les enjeux des réformes pour le financement de la protection sociale, annexe rédigée par l’Acoss.