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Événements
Publié le
Mardi 06 Février 2018
Mardi 06 Février 2018
14h00 à 18h00
En réunissant les experts et en partageant les travaux récents, l’objectif de ce séminaire a été d’explorer le paradoxe d’un fort taux d’investissement des sociétés non financières (SNF) en comparaison internationale alors que leur compétitivité ne s’améliore pas.

Il s’agissait notamment de :

  • Présenter et confronter les résultats des études sur l’investissement des sociétés non financières (SNF) en France en comparaison internationale suivant différentes métriques ;
  • Confronter les analyses sur les facteurs possibles
  • Identifier les axes de recherche complémentaires

En partenariat avec :

Compte rendu

Ce séminaire avait pour objet d’éclairer un paradoxe. Alors que les entreprises françaises présentent un taux relativement élevé d’investissement rapporté à leur valeur ajoutée, il n’en découle aucune amélioration de la compétitivité notamment hors prix, qui continue de se dégrader. La première session visait à établir un diagnostic approfondi, appuyé sur différentes sources statistiques. La deuxième session s’est efforcée de cerner les facteurs d’explication de ce paradoxe. Enfin, la troisième session a cherché à identifier les pistes de recherche les plus prometteuses.

Quel diagnostic ?

Les analyses statistiques confirment un bon niveau d’investissement des entreprises françaises. Selon Eurostat, le taux d’investissement des sociétés non financières (SNF) est élevé en comparaison européenne : en 2015, il atteint 23 % contre 20 % environ en Allemagne et en Italie. Depuis 1995, il est par ailleurs en légère hausse et s’établit à un niveau supérieur à sa moyenne de long terme. Dans le secteur manufacturier, le taux d’investissement est également un des plus hauts des pays européens, à 26 % environ en 2015. Les données individuelles d’entreprises montrent quant à elles une très forte concentration des dépenses d’investissement corporel et incorporel. En 2015, 1 % des entreprises françaises réalisaient 71 % du chiffre d’affaires et concentraient 87 % de l’investissement corporel, 95 % de l’investissement incorporel et 92 % des investissements en machines et équipements. Le taux d’investissement croît très fortement avec la taille de l’entreprise : il est de 15 % pour les PME contre 22 % pour les ETI et 29 % pour les grandes entreprises, selon les données FARE-Ficus de 2013.

L’investissement en machines et équipements est à l’inverse relativement faible en France dans l’ensemble de l’économie (6 % environ de la valeur ajoutée en 2015) et dans le secteur manufacturier (7 %). Sur la période allant de 1995 à 2015, ces taux sont en légère baisse,  comme dans la plupart des pays européens,. En revanche, la France affiche un haut niveau d’investissement immatériel. Ainsi dans le secteur manufacturier, en 2015, le taux d’investissement en logiciels et bases de données atteint environ 6 % contre 1 % en Allemagne et environ 3 % aux Pays-Bas. Même constat pour l’investissement en R & D dans le secteur manufacturier où le taux d’investissement français, proche de 11 %, est l’un des plus élevés en Europe.

Quelles pistes d’explication ?

Le recul de la compétitivité de la France s’est traduit par la diminution de la part de ses exportations de biens et services en valeur dans le total de la zone euro, de 17 % à 13 % environ sur la période allant de 2000 à 2017. L’enquête COE-Rexecode pointe un rapport qualité/prix insuffisant des produits français (biens intermédiaires, biens d’équipement mécaniques et biens d’équipement électriques et électroniques), avec pour points faibles le design et l’innovation, et pour points forts les délais de livraison, la notoriété et les services associés. À cet égard et selon l’indicateur synthétique de la Commission européenne, la France ne fait pas partie des pays champions dans le domaine de l’innovation. Elle est également en retard en matière de diffusion des technologies numériques dans les entreprises ainsi que dans le domaine des transferts des résultats de la recherche publique vers les entreprises. Par ailleurs, la faiblesse relative de son investissement en machines et équipements, notamment dans le secteur manufacturier, ne semble pas d’une ampleur suffisante pour expliquer à elle seule son défaut de compétitivité. Toutefois, la contraction de la base industrielle en France, plus forte que dans les autres pays européens, reste peu expliquée, tout comme ses conséquences sur l’investissement et sa structure d’une part ou encore sur la compétitivité d’autre part.

L’amélioration des conditions de financement, avec une baisse de 5 points environ des taux d’intérêt depuis 2008, a pu contribuer à soutenir l’investissement. Elle s’est également traduite par une forte hausse de l’endettement des SNF (+15 points de PIB depuis la crise). Selon certains experts, elle serait aussi cause du maintien en vie d’entreprises peu performantes et donc conduirait à tirer vers le bas la qualité des produits et l’innovation. Le taux de marge des SNF (EBE/VA) s’établit en 2016 à 32 %, deux points en deçà du point haut d’avant crise.

Les résultats préliminaires d’une étude économétrique de l’OFCE indiquent une variabilité des déterminants de l’investissement par produit. Ainsi, l’investissement en biens manufacturés serait très sensible au taux de profit, l’investissement en TIC dépendrait en particulier du coût du capital, alors que la demande jouerait sur l’investissement en biens manufacturés et dans une moindre mesure sur l’investissement en TIC. Une autre étude basée sur la théorie du Q de Tobin indique quant à elle une plus grande sensibilité de l’investissement au coût du capital pour les PME que pour les grandes entreprises et conclut à un moindre impact du coût du capital depuis la crise. La réglementation du marché du travail aurait un impact positif sur l’intensité capitalistique (machines et équipements) et un impact négatif sur l’investissement en TIC et en R & D des entreprises, ce qui contribuerait à renforcer le paradoxe français. Une hausse des prix de l’immobilier favoriserait l’investissement des entreprises plus âgées et moins productives en augmentant la valeur de leurs actifs immobiliers, ce qui pourrait fournir une autre explication au paradoxe : l’investissement est élevé mais pas dans les entreprises au meilleur potentiel.  

Quelles pistes de recherche ?

On peut s’interroger sur les écarts de mesure entre pays européens qui pourraient expliquer le paradoxe, en particulier en ce qui concerne les investissements intangibles. Se pose également la question de la vitesse de déclassement du capital comptabilisé par les instituts statistiques. La prise en compte de la qualité des investissements peut aussi varier d’un pays à l’autre. La structure de l’investissement (plus de logiciels et moins de machines) est-elle de nature à expliquer un taux de renouvellement apparent du capital plus fort en France qu’en Allemagne ? Par ailleurs, si l’investissement en logiciels est important, l’insuffisante qualification de la main-d’œuvre pourrait expliquer la faible capacité à en tirer parti, ce qui pourrait être une des sources de la faiblesse des gains de productivité. Par ailleurs, la France manquerait de capacités de financement en fonds propres, ce qu’illustrerait le succès auprès des entreprises du Plan Juncker qui offre des conditions peu restrictives d’utilisation des financements (sans collatéral) afin d’accroître les investissements en R & D. L’évolution des gains de productivité des entreprises suit une « courbe à deux bosses » : les gains de productivité des entreprises les plus performantes ne se diffusent pas aux moins performantes. Est-ce la même logique qui prévaut pour l’investissement ? Par ailleurs, une moindre qualité du management pourrait-elle expliquer un rendement plus faible de l’investissement ? Une dernière explication serait que les grandes entreprises françaises très internationalisées réaliseraient davantage d’investissements intangibles liés aux activités de siège. L’existence d’un plus fort tissu d’entreprises intermédiaires en Allemagne, moins implantées à l’étranger, pourrait expliquer un plus fort investissement en machines et équipements dans leur pays.

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