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Publié le
Vendredi 18 Mars 2022
Quels métiers recruteront le plus d’ici 2030 ? Risque-t-on des pénuries de main d’œuvre dans certains secteurs, ou sur certains métiers déjà en tension ? Quid des emplois de la transition écologique ?
Cécile et Jean - Image principale

Les réponses de Cécile Jolly et Jean Flamand, co-auteurs des Métiers en 2030, rapport issu d’un exercice de prospective quantifiée et concertée, élaboré avec la Dares en 2022.

Le scénario de référence de Métiers en 2030 établit à 1 million le nombre d’emplois créés entre 2019 et 2030. Quels secteurs seront concernés ?

Cécile Jolly : Les créations d’emplois seront les plus nombreuses dans les secteurs des services aux entreprises et aux collectivités, ce qui traduit simplement la poursuite d’une tendance historique à la tertiarisation de notre économie. [Ndlr : l’orientation de la production et de la consommation vers des activités de services].

Certaines tendances, au-delà, sont affectées par la pandémie - que notre scénario de référence prend évidemment en compte. Les créations d’emplois dans le secteur de la santé par exemple seront encore plus fortes. Dans celui de la logistique aussi, avec le développement de l’e-commerce. À l’inverse, la généralisation du télétravail sera défavorable au secteur du transport de voyageurs. Et la crise a laissé des traces dans l’hôtellerie-restauration : il y aura des créations, mais la croissance y sera moins soutenue qu’avant la crise Covid. 

Y-a-t-il, pire, des secteurs qui risquent de « perdre » des emplois ?

C.J. : Oui, l’agriculture et les services généraux de l’administration. Et puis la pandémie a fait prendre conscience de la vulnérabilité qu’entraînait un allongement des chaînes d’approvisionnement, du côté de l’État qui met en place des politiques de revitalisation industrielle comme du côté des entreprises qui devraient miser davantage sur les secteurs « stratégiques ».

Et en termes de métiers, lesquels vont le plus bénéficier de ces dynamiques sectorielles ?

Jean Flamand : Deux catégories de métiers vont bénéficier des 1 million de créations d’emplois. Les métiers du soin d’abord, avec un total de 410 000 emplois, infirmiers, aides-soignants et aides à domicile en tête. Il faut savoir qu’un Français sur quatre aura au moins 65 ans en 2040 selon l’Insee. La Drees estime qu’il faudra entre 50 000 et 140 000 places supplémentaires en Ehpad pour prendre en charge les personnes âgées en perte d’autonomie d’ici à 2030… ceci explique cela. Deuxième catégorie : les ingénieurs et cadres du privé, notamment les ingénieurs de l’informatique. Le métier devrait créer 115 000 emplois d’ici 2030.

Plutôt des métiers qui exigent un niveau élevé de diplôme donc …

J.F. : Au global, oui. Les créations d’emplois seront favorables aux plus diplômés. Là aussi c’est une tendance lourde. On estime que 46 % de la population active sera diplômé du supérieur en 2030. C’est 41 % aujourd'hui. Mais pas seulement : beaucoup de métiers dynamiques dans nos projections - cuisiniers, manutentionnaires, aides à domicile… - ne nécessitent pas de dépasser le bac.

Vous donnez aussi le chiffre de 8 millions de « postes à pourvoir » sur la période. Qu’est-ce que représente concrètement ce chiffre par rapport aux créations nettes d’emplois ?

J.F. : Les 8 millions de « postes à pourvoir » - on dit aussi « besoins de recrutement » - représentent la somme des créations de postes dont on vient de parler et des départs en fin de carrière. Et ces départs seront massifs parce qu’ils concernent la génération la plus nombreuse, celle du baby-boom. Sur les 800 000 postes à pourvoir chaque année entre 2019 et 2030, près de neuf sur dix le seront du fait d’un départ en fin de carrière.

C.J. : Cet effet de masse explique que certains métiers qui créent peu d’emplois auront quand même beaucoup de postes à pourvoir. C’est le cas des enseignants par exemple qui sont 1 million aujourd'hui. Les postes à pourvoir chez les aides-soignants, les ingénieurs et cadres d’étude, les infirmiers ou les sages-femmes le seront presqu’autant par création d’emploi que par remplacement des fins de carrière. En fait un seul métier, en raison de sa « jeunesse », connaîtra plus de créations que de remplacements : les ingénieurs de l’informatique.

Est-ce que ces projections n’annoncent pas des risques de pénurie de main-d’œuvre ou a minima des difficultés de recrutement pour les métiers qui sont déjà en tension ?

J.F. : Bonne question, puisque l’originalité de ce rapport comparé aux précédents, c’est qu’il confronte justement les besoins de recrutement par métiers au vivier de jeunes qui sortent du système d’enseignement ; ce qui nous permet précisément d’évaluer des déséquilibres à horizon 2030… mais des déséquilibres « partiels et potentiels ».

« Partiels » parce que les jeunes débutants ne sont pas les seuls à pourvoir les postes. Il y aussi les chômeurs qui retournent en emploi, les inactifs qui regagnent le marché du travail, les personnes en emploi qui décident de changer de métier, et les immigrés, puisque la France a un solde migratoire positif.

Et « potentiels » parce que bien sûr nos projections reposent sur des hypothèses par nature incertaines. Nous espérons même que ces déséquilibres ne se produiront pas parce que les métiers qui recrutent ayant été anticipés, les jeunes s’orienteront vers eux. On appelle ça « un effet de rétroaction ».

C.J. : On estime par convention qu’il y aura des difficultés de recrutement si le déséquilibre potentiel est supérieur à 15 % de l’emploi et/ou que le métier est déjà en tension aujourd'hui. C’est le cas pour les aides à domicile, les infirmiers, les boulangers par exemple. Les agents d’entretien ou les ouvriers du textile ne sont pas des métiers en tension aujourd’hui mais les déséquilibres estimés à 2030 sont tels qu’on y anticipe aussi des difficultés de recrutement. À l’inverse, les métiers de l’hôtellerie-restauration, de la comptabilité, de la banque et de l’assurance sont actuellement en tension mais les déséquilibres anticipés sont faibles. La numérisation y est pour beaucoup.

Est-ce inévitable ? Vous parliez de déséquilibres « potentiels », qu’est-ce qui pourrait réduire leur potentialité ?

J.F. : Inévitable non, mais en gardant en tête que pour 47 des 83 métiers analysés, on estime que les tensions actuelles pourraient se maintenir ou s’accentuer d’ici 2030, si rien n’est fait pour augmenter leur attractivité. Pour changer la donne, il faudrait agir sur les conditions de travail et le niveau des rémunérations.

C.J. : Et sur la formation, pour les métiers qui exigent une formation spécifique, du boulanger à l’ingénieur informatique.

Avez-vous modélisé un scénario bas carbone qui tiendrait compte des créations d’emplois dits « verts » ?

J.F. : Oui, nous avons modélisé des scénarios alternatifs, et dans l’un d’entre eux la France atteint les objectifs climatiques de la Stratégie nationale bas carbone jusqu’en 2030. Dans ce scénario - qui fait l’hypothèse d’un investissement massif mais n’intègre pas la sobriété – 200 000 emplois supplémentaires sont créés par rapport au scénario de référence [Ndlr : qui, lui, n’intègre que les mesures climat déjà décidées et celles du Plan de relance]. Plus de la moitié de ces emplois seraient créés dans le secteur de la construction, pour répondre aux besoins en rénovation énergétique des bâtiments. Les métiers les plus sollicités sous ces hypothèses sont les ouvriers qualifiés du second œuvre, comme les plombiers et les électriciens, et les ouvriers qualifiés du gros œuvre, comme les maçons et les charpentiers.

Quel est le degré de fiabilité de vos prévisions ? Et comment les acteurs de l’emploi et de la formation peuvent-ils s’en servir ?

C.J. : Précisément, ce ne sont pas des prévisions mais de la prospective ! Notre modèle se fonde sur des grandes tendances ; la démographie est presque certaine ; les transitions énergétique et numériques aussi ; le reste en revanche… La guerre en Ukraine est, hélas, un bon exemple des incertitudes auxquelles tout exercice de prospective fait face. Nous pouvons les « borner » - par exemple avec notre scénario « Covid + » qui fait l’hypothèse de crises sanitaires récurrentes - mais nous ne les maîtrisons pas.

Mais le but n’est pas, de toute façon, que nos projections se réalisent ! Au contraire, c’est que les politiques publiques locales et nationales s’en emparent pour agir. Orienter plus de femmes vers les métiers de l’informatique, accroître l’attractivité des métiers du soin et du bâtiment…

J.F. : D’ailleurs ce rapport n’est qu’une première étape. Nous allons décliner nos projections au niveau régional parce que c’est justement à ce niveau que sont mises en œuvre les politique d’emploi et de formation. Un projet est aussi lancé avec le Réseau emplois compétences pour décliner les projections au niveau non plus des métiers mais des compétences, l’idée étant que les postes à pourvoir peuvent l’être par des personnes en reconversion professionnelle.

Quant à l’utilité de l’exercice prospectif, ce que je peux vous dire c’est que 40 % des acteurs qui ont pris connaissance de l’exercice précédent se sont servis de nos projections. Donc pourquoi pas la moitié pour celui-ci !

Propos recueillis par Céline Mareuge, journaliste web

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