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Événements
Publié le
Lundi 15 Mai 2017
Jeudi 01 Juin 2017
13h00 à 14h30
France Stratégie organise avec l’EHESS et Inria un cycle de débats mensuels « Mutations sociales, mutations technologiques » qui rassemble des personnalités de la décision publique, de la recherche, du monde associatif ou économique, pour débattre des avancées technologiques et des transformations sociales motrices ou résultantes de ces innovations.

Apprend-on au XXIe siècle comme au XXe ?

Alors que les méthodes d’enseignement traditionnelles font l’objet d’interrogations, voire de critiques, les avancées du numérique, au potentiel encore incertain, obligent les acteurs à repenser leurs pratiques. Qu’est-ce que l’innovation pédagogique ? Quelles sont les nouvelles manières d’apprendre, d’enseigner, de faire de la recherche ? Quelles sont les perspectives offertes par le numérique ?

Intervenants

Roberto Casati, directeur d'études de l'EHESS, directeur de recherche au CNRS

François Taddei, directeur du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI)

Compte rendu

La transformation du rapport au savoir dans l’ère numérique impose un changement de paradigme pédagogique. Expérimentation, innovation, « culture du oui », comment transformer l’école en système agile pour préparer la société apprenante de demain ?

Le podcast de la séance :

Unanimité. 95 % des jeunes estiment que le système éducatif doit changer – selon un rapport remis au ministre de l’Éducation en mars 2017. Un souhait auquel les scores PISA de la France comme le taux de décrocheurs confèrent un caractère d’obligation. Mais comment changer la donne ? En passant à « une pédagogie active » fondée sur la preuve de ce qui marche vraiment, ont plaidé les intervenants de ce dernier débat. Bonnes nouvelles : ces preuves existent et le numérique pourrait bien faire office d’accélérateur de changement vers un « système apprenant ». Explications.

Un système « inertiel »

Urgence. « Dans un monde en évolution, si on ne change pas aussi vite que son environnement, on devient obsolète », avertit François Taddei, directeur du Centre de recherches interdisciplinaires, et co-auteur du rapport « Vers une société apprenante ». Or si le numérique bouleverse le rapport au savoir et le rôle (attendu) de l’enseignant, le système éducatif français, lui, ne change (presque) pas. Il n’apprend visiblement ni de la recherche en sciences cognitives, ni des expériences étrangères qui fonctionnent.

Deux exemples pour en témoigner. Un contrepoint étranger d’abord. À Singapour, champion toutes catégories des scores PISA, deux tiers des établissements scolaires sont dotés de groupes de recherche en interne. Objectif de ces groupes : passer à la loupe les pédagogies existantes, chez eux comme à l’étranger, pour améliorer constamment leurs méthodes d’apprentissage. Une innovation locale qui fonctionne, essaime. Un échec servira de terrain d’étude. Quand un élève décroche, c’est tout le collectif pédagogique qui recherche ensemble une solution. « En France, quand un élève décroche, on applique le programme, point », déplore François Taddei, pour qui la faute revient au cloisonnement, à la verticalité ou, dit autrement, au manque « d’agilité » du système éducatif français que Roberto Casati, directeur d'études de l'EHESS, n’hésite pas à qualifier « d’inertiel ».

Deuxième (contre)exemple, français cette fois. La recherche en éducation a montré de longue date que la pratique régulière de la lecture est un facteur déterminant de la réussite scolaire. Quelques chiffres pour s’en convaincre : la variable la plus fortement corrélée au score PISA des lycéens, c’est le nombre de livres lus à 15 ans. Or, selon une étude de l’OCDE, il y a dès le primaire un écart de réussite scolaire significatif entre les élèves dont les parents déclarent leur lire souvent une histoire le soir et les autres. En moyenne, pour les quatorze pays dont les données sont disponibles, l’écart de performance s’établit à 25 points, sur une échelle allant de 0 à 70, soit l’équivalent d’au moins une demi-année d’études ! Pourquoi, déplore donc Roberto Casati, l’école continue-t-elle de reléguer la lecture « à la maison », au risque (avéré) de creuser les inégalités, là où elle pourrait en faire une activité par excellence dans sa propre enceinte ?

Réformer par la preuve

Les exemples pourraient être multipliés. Tous convergent. Avec un constat d’évidence : il faut refonder la pédagogie, en s’appuyant sur la preuve et le codesign des réformes – un terme désormais consacré pour décrire la manière dont une politique publique peut (devrait) être élaborée de manière collaborative en impliquant acteurs et usagers – plutôt qu’en mode vertical et cloisonnant.

Et le numérique dans tout ça ? Il oblige et pourrait faciliter. Il oblige d’abord parce « qu’à l’heure où le savoir devient accessible en quelques clics », rappelle François Taddei, « la compétence n’est plus la détention de ce savoir mais l’esprit critique, la capacité à penser l’existant puis innover ». L’enseignant ne peut donc plus se concevoir comme détenteur unique et transmetteur de connaissances mais comme décodeur. C’est celui qui apprendra à apprendre, à filtrer l’information, saisir sa pertinence et créer. C’est celui qui saura établir dans sa classe une (micro)société apprenante, une dynamique du partage des connaissances entre pairs.

Le numérique pourrait ensuite faciliter. Faciliter déjà le partage à grande échelle des résultats de la recherche en sciences cognitives et des expérimentations pédagogiques qui fonctionnent. Faciliter ensuite l’adaptation de la pédagogie, notamment en sciences, à l’appétence des jeunes pour l’expérience et le nomade. « Avec un smartphone, on peut transformer le monde en laboratoire », s’amuse François Taddei. De l’application gyroscope à la collecte de statistiques de terrain, avec un bon guide pour professeur, les élèves pourraient très simplement devenir des chercheurs en herbe heureux d’apprendre. Une révolution en somme !

Deux obstacles sur le chemin de ce scénario numérique idéal. Le premier, c’est « le travail mimétique », prévient Roberto Casati, c'est-à-dire la tendance (actuelle) à se servir du numérique non pas pour ses vertus propres – l’interaction, l’apprentissage du codage, la création de contenus ou le partage de données – mais pour reproduire l’existant – numériser des manuels scolaires ! Le second, c’est de tout en attendre. Le numérique ne changera pas la donne sans changement de paradigme pédagogique. Roberto Casati en veut pour exemple « le plan 1 million de tablettes [pour les 6e et 5e] » mis en œuvre sans étude préalable quant à ses effets sur la performance scolaire. Sans preuve donc. Mais avec un coût. Là où, en revanche, certaines réformes aux résultats étayés pourraient se faire à budget (quasi) constant. À commencer par revoir la formation des enseignants, dont Laure de la Bretèche, secrétaire générale pour la modernisation de l’action publique, souligne qu’elle est un facteur bien plus déterminant de la performance scolaire que la taille des classes.

Quelques pistes de réformes allant dans ce sens et fondées sur la preuve : des professeurs d’anglais dont c’est la langue véhiculaire. Des enseignants qui se déplacent dans leur classe – une « manœuvre oratoire » qui accroît de 30 % l’attention des élèves. Une politique de développement des crèches dans les quartiers défavorisés avec une montée en qualification des assistantes maternelles. Un changement radical de la distribution des temps d’apprentissage – « trois mois d’anglais non-stop pour « immerger » les élèves… une semaine dédiée à la trigonométrie et le problème est réglé pour toujours », propose Roberto Casati ! Former les enseignants autrement, « abandonner le mode ex cathedra, passer d’une logique de contrôle à une logique de confiance, de la hiérarchie au mentorat, de l’inspection à l’introspection », conclut François Taddei.

Autant de transformations dont les intervenants sont convaincus qu’elles sont possibles, et surtout nécessaires. La « société apprenante » de demain se prépare aujourd'hui… à l’école.

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