L’Union européenne : « puissance de paix »
L’Europe célèbre le 60e anniversaire du traité de Rome. L’attribution du prix Nobel de la Paix à l’UE en 2012 fut une marque de reconnaissance du succès historique de la construction européenne et de la contribution de son action internationale à la paix dans le monde. Ainsi, au-delà du discours simpliste sur « l’impuissance européenne », la réalité de l’Union revêt les traits d’une puissance internationale fondée sur une politique exceptionnelle d’aide au développement (premier bailleur mondial, 55 % de l’aide publique) et d’aide humanitaire, sur sa puissance économique et commerciale, sur sa puissance juridique (diffusion de sa production normative et capacité de mesures coercitives à l’égard de tiers) et symbolique (système de valeurs et mode de vie de référence).
Si l’Europe de la défense reste un idéal inachevé ou un épouvantail à souverainistes, la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) est une réalité dont les objectifs sont définis par l’article 42 du traité sur l’Union européenne. Volet opérationnel de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), elle a vocation à intervenir hors du territoire pour assurer notamment le maintien de la paix et la prévention des conflits.
La stratégie européenne de prévention des conflits
La prévention des conflits est inscrite à l’agenda européen dans les années 1990 et conceptualisée pour la première fois en 2000.. La Commission reconnaît en 2001 l’importance de la prévention des conflits comme enjeu non seulement de politique extérieure mais aussi de commerce, développement, justice. La « Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne » (SGUE) remplace la Stratégie européenne de sécurité. Elle met l’accent sur une approche intégrée des conflits et sur la dimension globale de l’intervention (mise en œuvre de tous les moyens dont dispose l’Union).
Cette stratégie européenne repose sur un postulat : il y a un continuum entre « sécurité » et « développement » ; investir dans le développement revient à investir dans la sécurité. L’UE place la résilience au cœur de ses objectifs en matière d’aide humanitaire et de développement. Si l’on veut réduire les besoins humanitaires, il faut se concentrer, en priorité, sur les populations et leur permettre de réaliser leur plein potentiel. Il faut s’attaquer aux causes profondes de leur vulnérabilité et fragilité et des conflits.
La prévention des conflits est un concept qui va au-delà d’une simple prolongation de la diplomatie traditionnelle. L’UE met l’accent sur la lutte contre la « déliquescence des États » qui trouble la gouvernance mondiale et génère de l’instabilité : sa politique de prévention vise donc surtout à éviter les conflits internes et l’effondrement des autorités centrales. La stratégie de prévention des crises consiste ainsi en un maître mot : anticiper.
La diplomatie européenne a vocation à intégrer un volet économique : il faut considérer et valoriser les retombées économiques de la paix. Si l’effet empirique de l’interdépendance économique sur la prévention de la naissance des conflits n’est pas certain, il semblerait néanmoins que les liens commerciaux empêchent leur escalade. Les conflits naissent généralement dans des pays en situation économique fragile, dans lesquels la répartition des ressources est inégalitaire, voire arbitraire (critères ethniques, religieux). Les institutions judiciaires et politiques nationales sont souvent trop instables pour y remédier.
Les acteurs de la stratégie globale
Renforcer la résilience (ou « résistance ») des États « fragiles » nécessite une collaboration étroite de l’ensemble des acteurs de l’UE (humanitaire, développement, politique). En outre, la stratégie globale de l’UE n’a pas été définie in abstracto, en dehors de toute considération nationale ou prise en compte des positions des États tiers ou des États membres. Enfin, la stratégie globale ne saurait se réduire à une relation UE/États. Les sociétés civiles doivent être inclues dans les dispositifs de prévention/consolidation de la paix. Cette priorité suppose de veiller à associer et à informer au mieux les populations de l’action menée. C’est pourquoi il faut approfondir la réflexion sur les moyens d’articuler l’action des institutionnels et de la société civile, dans une logique de coalition d’acteurs.
Les défis stratégiques pour les Européens
Les peuples européens sont demandeurs de protection/sécurité : il s’agit d’une priorité exprimée par les citoyens à laquelle les responsables européens doivent apporter une réponse. Celle-ci ne saurait être pensée à partir d’une opposition entre les situations internes et externes : l’Europe appartient à un monde globalisé marqué par l’interdépendance et les phénomènes transfrontaliers. Les enjeux tels que le terrorisme et les migrations doivent être analysés à différents niveaux : local, national et régional. Une meilleure coopération avec les principaux acteurs de notre voisinage (États et société civile des rives sud et est de la Méditerranée) s’impose : leur stabilisation contribue à notre propre stabilité.
À court terme, au-delà des enjeux purement internes (montée de la défiance et des nationalismes, mise en cause de l’intégration européenne…), la question syrienne représente l’un des principaux défis de politique étrangère pour l’UE, ainsi que pour le prochain exécutif français. Les responsables européens sont ainsi confrontés à ce même questionnement : comment éviter une position de pur bailleur-payeur ? Comment user du levier économique et financier pour défendre la solution d’une transition politique ? La viabilité de la stratégie globale de l’UE et la crédibilité de l’Europe dépendent en partie des réponses qui seront apportées.