Le chiffre permet de dire « ce qui compte ». Argument d’autorité qui viendrait clore plutôt qu’ouvrir le débat, on lui reproche souvent sa partialité quand il est unique, son manque de lisibilité quand il est pluriel, sa proximité au pouvoir quand il émane de la statistique publique, son manque de rigueur quand il ressort de « l’expertise citoyenne ». Et les choses se compliquent encore avec la prolifération de producteurs et d’utilisateurs sur Internet. De là l’intérêt de faire dialoguer producteurs, intermédiaires et usagers du chiffre autour des enjeux liés aux chiffres comme « expression la plus radicale de l’expertise ».
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Première question abordée lors de cette séance : celle de la (supposée) neutralité du chiffre. Une question qui, lorsqu’il s’agit de la statistique publique, rejoint celle de l’indépendance de l’institution qui le produit, vis-à-vis de l’exécutif, ou dit autrement du pouvoir. En témoigne la polémique autour du calcul de l’indice des prix à la consommation après le passage à l’euro. Certes l’Insee fonctionne dans « une très grande indépendance fonctionnelle » et les sondages montrent que les Français lui font confiance. Pour autant, quel que soit le producteur, les chiffres « sont susceptibles de porter la trace des valeurs et des priorités des institutions qui les produisent ». C’est une grille de lecture de la réalité, une manière de la simplifier qui, par définition, n’est pas neutre.
Si les institutions publiques n’ont jamais eu le monopole de la production de statistiques socio-économiques, la révolution numérique en multiplie les acteurs, parce qu’elle facilite l’accès au traitement et à la diffusion des données. Avec quel résultat ? C’est la deuxième grande question discutée par les intervenants. Côté positif : un gain en pluralité. Internet donne de la visibilité aux données et aux indicateurs négligés par la statistique officielle ou les grands medias, notamment ceux issus de l’expertise citoyenne. Côté négatif : une prolifération de chiffres pas toujours sourcés ou rigoureux, voir totalement faux ! D’où le développement simultané de médias dédiés au « fact-checking ».
Dernière problématique traitée : celle de l’attrait du chiffre synthétique. Facile d’accès, voire « indispensable à l’intelligibilité de la donnée chiffrée », il donne nécessairement une vision simplifiée, voire simpliste de la situation décrite. Le taux d’emploi par exemple (surtout lorsqu’il est comparé au niveau international) ne donne pas une idée juste du marché du travail si on n’observe pas aussi des indicateurs de qualité de l’emploi. « Le diable est dans la synthèse » dira un intervenant… et la solution vraisemblablement dans le développement de médias de qualité susceptibles d’offrir au grand public « un rapport pertinent aux chiffres, où la rigueur dans la construction des données s’articulerait à la pluralité des synthèses et des interprétations. »