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Événements
Publié le
Mardi 14 Novembre 2023
Mardi 19 Décembre 2023
11h00 à 12h30
France Stratégie organise une série de webconférences dédiées aux rapports thématiques et groupes de travail ayant alimenté le rapport de synthèse sur Les incidences économiques de l'action pour le climat de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz. Cette série continue avec le rapport dédié aux impacts de la transition écologique sur le marché du travail.

La transition écologique aura des impacts majeurs sur le marché du travail, notamment en termes de réallocations d'emplois et de compétences requises. Bien que les emplois directement touchés par cette transition devraient représenter une part relativement limité de l'emploi total, les effets indirects pourraient être plus conséquents, affectant de manière très différenciée les secteurs, les territoires et in fine les travailleurs. L'anticipation et l'accompagnement de ces changements seront donc cruciaux pour réussir une transition juste.

Comment anticiper et préparer les travailleurs et les employeurs aux changements induits par la transition écologique ? Comment soutenir les secteurs les plus impactés par cette transition ? Comment les politiques publiques peuvent-elles garantir que la transition écologique aille de pair avec développement de l'emploi (de qualité) ?

Pour éclairer ces enjeux, France Stratégie vous a convié à une table-ronde autour de :

  • Michaël ORAND, chef de la Mission d'analyse économique à la Dares et coordinateur du rapport thématique « Marché du travail » de la mission Pisani-Mahfouz
  • Anne-Juliette LECOURT, secrétaire confédérale CFDT en charge de la transition écologique juste
  • Yannick SALEMAN, chef de projet Emploi et Politiques industrielles au Shift Project.

La table-ronde était animée par Cécile JOLLY, cheffe de projet à France Stratégie et contributrice au rapport thématique « Marché du travail ».

Compte rendu

Webconférence | Comment la transition écologique impacte-t-elle le marché du travail ?, par France Stratégie


 

Cette cinquième conférence issue du rapport de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz est consacrée à l’impact de la transition climatique sur le marché du travail : quels sont les métiers qui vont perdre des emplois et ceux qui vont en gagner ? En quoi le verdissement des activités modifiera-t-il les tâches de nombreux métiers ? La main-d’œuvre requise pour répondre au défi de la transition climatique sera-t-elle au rendez-vous ? Comment anticiper, préparer et accompagner les travailleurs et les entreprises à ces changements ? Quel rôle peut et doit jouer l’État ? Ce mardi 19 décembre 2023, Cécile Jolly, cheffe de projet à France Stratégie, réunit Michaël Orand de la Dares, Anne-Juliette Lecourt de la CFDT, et Yannick Saleman du Shift Project pour en parler. Morceaux choisis.

Cécile Jolly : comment mesurer l’impact de la transition écologique sur l’emploi dans un contexte d’incertitudes multiples ?

La plupart des modélisations sur lesquelles se sont appuyés les auteurs du rapport Marché du travail reposent sur des modèles macroéconomiques et sectoriels qui partent d’hypothèses différentes et aboutissent à des résultats qui ne concordent pas toujours. Pour autant, la synthèse de ces travaux montre, selon Michaël Orand, que « les effets de la transition écologique sur le volume d’emplois créés et détruits devraient être modérés, même si ce résultat masque d’importants écarts selon les secteurs : un million d’emplois disparaîtront dans certains, un million d’emplois apparaîtront dans d’autres ». Quatre secteurs seront particulièrement touchés : la construction (avec la rénovation énergétique), l’énergie (en raison des émissions de GES), le transport (à la fois sur la répartition des modes de transport et la fabrication des matériels) et l’agriculture.

Au Shift Project, le chiffrage emploi de la transition ne repose pas, contrairement aux autres modélisations, sur des euros mais sur des unités de mesure physiques : des tonnes, des kilowattheures ou des distances à parcourir. Yannick Saleman prend ainsi « l’exemple de la filière cyclologistique et du fameux "dernier kilomètre" : pour anticiper les besoins en emploi de cette filière qui pourrait remplacer une partie de la livraison motorisée et décarboner le transport de marchandises, on calcule les tonnes transportées et les heures de pédalage nécessaires pour les acheminer. On en infère également le nombre de vélos à fabriquer pour ce type de transport et les emplois induits. Et nous considérons que nous devrons faire des arbitrages car il n’y aura pas suffisamment d’énergie décarbonée pour tous les usages ».  

Anne-Juliette Lecourt salue ces visions de long terme qui sont déterminantes pour permettre « d’imaginer un monde neutre en carbone et anticiper les activités impactées, ce qui contraste avec les visions des branches qui sont souvent à court terme ».

CJ : Quels sont les métiers de la transition écologique ? Quels sont ceux qui vont verdir et ceux qui bénéficieront d’un surcroît d’emplois ou subiront des pertes?

Pour Anne-Juliette Lecourt, il n’est pas tant question de métiers « verts » ou de nouveaux métiers que de métiers accélérateurs, notamment dans les secteurs de la rénovation thermique ou de la mobilité. Elle évoque également « tous les métiers qui sont en lien avec l’amont ou avec l’aval et auxquels on ne pense pas forcément, comme le poste de responsable des achats d’une flotte de véhicules pour l’entreprise. Il ne s’agira pas seulement de remplacer les véhicules thermiques par des véhicules électriques mais aussi de repenser toute la mobilité de l’entreprise pour limiter les émissions du transport des travailleurs et des marchandises ».

Michaël Orand souligne également que ce ne sont pas les métiers identifiés spécifiquement comme « verts » qui vont massivement bénéficier de la transition mais des métiers très classiques du bâtiment ou de l’agriculture, des personnels d’études et de recherche comme des professionnels du droit par exemple. De ce point de vue, « c’est toute la chaîne de qualification qui est concernée par la transition, les métiers qualifiés comme les métiers peu qualifiés ». L’envers du décor, ce sont les secteurs « bruns », particulièrement émetteurs en GES, qui vont perdre en emplois. En fonction de la répartition régionale des activités et des besoins en rénovation, les territoires seront plus ou moins impactés ; des villes comme Roissy par exemple seront a priori fragilisées…

Un constat de disparité régionale que partage également Yannick Saleman, qui rappelle que, « dans le secteur automobile, l’impact sera différent selon que le bassin d’emploi concentre les sous-traitants ou les donneurs d’ordres ». Pour réfléchir au processus de décarbonation à partir de spécificités locales et régionales (fret, logement, tourisme, politique culturelle, mobilité, etc.), le Shift Project vient d’ailleurs de lancer un projet de région test en Bretagne dont les résultats sont attendus courant 2024.

CJ : Quels sont les métiers indispensables à la transition et qui connaîtront le plus de difficultés de recrutement ? Ne risque-t-on pas de manquer de bras ?

Pour Michaël Orand, « les métiers nécessaires en plus grand nombre dans la transition écologique sont aussi ceux dont les difficultés de recrutement sont déjà très fortes (agriculture, bâtiment ou métallurgie), et ce pour des raisons structurelles : conditions de travail contraignantes, contrats peu durables et rémunérations peu attractives ». Anne-Juliette Lecourt abonde dans ce sens : « On voit bien combien la question des conditions de travail, des parcours de rémunération (qui ne se limitent pas à une revalorisation du SMIC), et la lutte contre la pénibilité sont des enjeux essentiels pour pouvoir disposer des travailleurs dont on a besoin.  Sans agenda social impliquant adaptation des formations, parcours de reconversion sécurisés financièrement dans les métiers dont on a besoin, on freine la transition faute de vivier de recrutement. Notre fédération construction de bois a estimé qu’en l’état il faudrait près de trois cents ans pour atteindre nos objectifs de rénovation thermique. Ça donne une indication de l’ampleur des accélérations qu’il va falloir engager. Et si on ne règle pas les enjeux de pénibilité, de carrière et de salaire, on formera des gens qui quitteront de toute façon ce secteur par usure ou par insatisfaction. »

Pour Yannick Saleman, « les pénuries sont l’occasion de réfléchir à un changement de modèle : plutôt que de s’acharner à combler les pénuries de conducteurs routiers, accélérons le report modal vers le ferroviaire et mutualisons les transports. De toute façon, ce sera inévitable du fait des contraintes énergétiques et climatiques à venir ». Il suggère de mettre en place des passerelles à l’intérieur même des filières, et que des formations soient proposées aux salariés afin qu’ils se reconvertissent dans des métiers connexes (par exemple la reconversion, dans le bâtiment, du neuf vers la rénovation). Il insiste sur le fait que ces solutions prennent du temps et qu’il est impératif d’anticiper leur mise en place.

CJ : Quel est le rôle du dialogue social dans la transition ? Et celui des pouvoirs publics et du secteur privé pour accompagner ces changements ?

Anne-Juliette Lecourt insiste sur le rôle clé du dialogue social dans la transition écologique : « La loi Climat et Résilience a donné une légitimité sur la compétence environnementale aux représentants des salariés dans les entreprises. Les obligations réglementaires sont un moyen de mettre tout le monde autour de la table, et on observe déjà quelques expériences réussies comme l’accord interprofessionnel de la pharmacie qui a permis d’embarquer les enjeux sociaux mais aussi une transformation du modèle, avec une réduction des émissions à échéance 2030. Des actions de formation et de sensibilisation des salariés sont ainsi prévues, de même qu’une politique d’achat responsable mais aussi l’accompagnement spécifique des TPE/PME qui n’ont pas nécessairement les compétences pour opérer la transition ».

Michaël Orand identifie plusieurs leviers que l’État peut activer : anticipation des besoins en compétences et offre de formations adaptées, amélioration des conditions de travail (incluant une revalorisation des salaires), ou le fait de faire venir de l’étranger la main-d’œuvre dont on aura besoin pour les métiers qui sont en tension. L’accompagnement des territoires et des personnes concernées par la disparition de leur emploi sera également décisif : « Le choc de la transition écologique risque d’être du même ordre de grandeur que le choc de l’ouverture du commerce international à la Chine qui a provoqué des délocalisations massives. Or les cicatrices des territoires affectés ne se sont toujours pas refermées. On doit pouvoir être capable de préparer le service public de l’emploi à accompagner ces gens en vue de faire en sorte que la transition se fasse de la meilleure des façons possible. »

CJ : Comment adapter le travail et son organisation au changement climatique en cours ? Comment limiter l’impact de la transition climatique sur la santé des travailleurs quand on a vu, cet automne, des morts dans la viticulture ?

Pour Anne-Juliette Lecourt, « de nombreux métiers vont devoir s’adapter d’une façon ou d’une autre aux fortes chaleurs, aux inondations, aux mégafeux… » Elle évoque les différents dispositifs existants sur le plan réglementaire ainsi que les accords interprofessionnels susceptibles d’y répondre. Par exemple « chez Eram, on a négocié un accord de prévention de la gestion des canicules. Comme la loi ne prévoit pas de température maximale à partir de laquelle il serait dangereux de travailler, les clauses de l’accord se déclenchent à chaque alerte canicule de Météo France. Sont alors mises en place un certain nombre de mesures dans les ateliers logistiques et les usines, où il fait particulièrement chaud : accès à l’eau plus important, allongement des pauses, installation de ventilateurs. »

Michaël Orand note que le télétravail peut assurer la continuité de l’activité pendant les épisodes climatiques extrêmes ou réduire les déplacements pendulaires pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Mais ce n’est pas une solution miracle : « Certains métiers ne sont tout simplement pas télétravaillables : or, ce sont précisément ces métiers dont on aura besoin pour la transition et qui sont en tension. »

Pour Yannick Saleman, ce sont avant tout les modèles économiques qu’il va falloir adapter à la transition, ce qui pose des incertitudes fortes, notamment dans « le monde agricole qui craint une baisse de ses rendements (moins d’engrais, de surcroît décarbonés) et s’inquiète fortement de ne pas être protégé par les assurances en cas de dommages importants provoqués par le dérèglement climatique ».

Galerie média

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