L’histoire de l’expertise permet de poser la question du lien entre les formes d’exercice du pouvoir politique et les modalités de mobilisation de la connaissance par les gouvernants. Au-delà de la figure classique du « conseiller du prince », le rapport entre savoir et pouvoir se cristallise sans doute avec l’avènement de l’État moderne. Mais peut-on faire de ce qu’on a appelé, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, la « montée de l’expertise », l’une des clés de lecture des mutations politiques de cette période ?
La sociologie s’intéresse également à ce phénomène, notamment à partir des années 1960-1970 : le recours croissant à l’expertise par les pouvoirs publics serait à la fois l’expression d’une technicisation des modes d’action publique, du mythe positiviste de la science omnisciente et d’une « crise démocratique ». Préférant à la catégorie d’experts une attention portée aux « situations concrètes d’expertise », les travaux sociologiques aident également à mieux comprendre l’émergence dans les années 1990 de formes d’expertise dite « profanes », « d’usages » ou encore « citoyennes » – par opposition à l’expertise des « sachants ». En mettant en lumière les risques de dérive « technocratique », la sociologie critique invite les pouvoirs publics à prendre au sérieux cette pluralité d’expertises et à s’interroger sur les modes de concertation accompagnant les processus de décision.
Si, ces dernières années, les frontières entre expertises « savantes » et expertises « profanes » semblent s’estomper, est-il nécessaire de reconstruire ou d’actualiser certaines catégories d’analyse de ces pratiques sociales ? Du point de vue de la pratique du recours à l’expertise, quels aspects ont véritablement évolué ? Assiste-t-on par exemple à une « démocratisation » de la prise de décision ? Et quels sont, en 2017, les principaux défis pour les pouvoirs publics ?
Ces questions seront au cœur de la séance qui s’articule en deux temps : 1) enseignements des sciences sociales sur la pratique de l’expertise ; 2) discussion générale sur les spécificités du moment présent.
Quels enseignements tirer des situations d’expertise observées par les chercheurs en sciences sociales ?
Avec Jérôme Lamy, historien et sociologue des sciences (chercheur associé au Laboratoire PRINTEMPS – Université de Versailles Saint-Quentin) – « Histoire critique de l’expertise d’État » ; Corinne Delmas, professeure des Universités, membre du Centre nantais de sociologie (CENS) – « La sociologie de l’expertise : regards croisés sur un phénomène pluriel » ; Jean-Michel Fourniau, chercheur au Groupe de sociologie pragmatique et réflexive (EHESS) – « Quels outils pour appréhender l’expertise ? » ; Jean-Yves Trépos, professeur émérite de sociologie à l’Université de Lorraine – « Quelle place pour l’expert entre État et société civile ? ».
Quelles singularités du débat sur l’expertise aujourd’hui ?
Quel est l’intérêt de débattre de ces questions aujourd’hui ? La « défiance » vis-à-vis de la parole experte est-elle si singulière en 2017 ? Quelles difficultés tiennent à la prise en compte de la pluralité des expertises ? Quelles perspectives d’évolution des pratiques ?