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Point de vue
Publié le
Lundi 14 Décembre 2020
Les défaillances d’entreprises sont, paradoxalement, en forte diminution (– 29 % pour les PME) à la mi-novembre 2020 par rapport à 2019. Dans ce Point de vue, nous analysons les facteurs qui, dans la crise du Covid, expliquent quelles entreprises entrent en défaillance et tentons de dessiner des scénarios pour 2021 avec un focus sur le secteur du commerce.
Les défaillances d’entreprises dans la crise Covid-19

Télécharger le point de vue - Les défaillances d’entreprises dans la crise Covid-19 :
zombification ou mise en hibernation ? *

La chute des défaillances en 2020 s’est d’abord expliquée par des mesures administratives, mais sa persistance cet automne est surtout due aux mesures massives de soutien aux entreprises qui ont, en partie, gelé le processus normal de sortie des entreprises. Notre analyse empirique montre cependant que les mêmes facteurs (la dette et la productivité du travail au premier rang) qui prédisaient en 2019 quelles entreprises entraient en défaillance demeurent à l’œuvre en 2020. Cela suggère que la réduction des faillites d’entreprises n’altère pas le processus de création – destruction qui est un élément de la croissance de la productivité. Il n’y a pas à ce stade de « zombification » de l’économie, plutôt une mise en hibernation. Nous montrons aussi que les entreprises des secteurs du commerce les plus touchés ont un risque plus élevé de défaillance mais que l’impact différencié du Covid joue peu par rapport aux facteurs propres à l’entreprise. Cela suggère que la protection de l’État pour absorber le choc Covid-19 a été ciblée, quasi complète et de ce point de vue efficace. Cela s’est cependant fait, dans les secteurs les plus touchés, au prix de l’augmentation de la dette des entreprises les plus affectées par une baisse durable d’activité. Dans ces secteurs, l’accumulation de dette et la baisse d’activité pourraient aboutir à une forte augmentation (+ 26 % environ) du risque de défaillance à partir de 2021. À cela s’ajouterait le rattrapage « normal » des défaillances qui n’ont pas eu lieu en 2020 et qui ne devra pas être interprété comme un échec de la politique de soutien aux entreprises. Ainsi, dans le secteur du commerce et des services aux particuliers, le taux de défaillance en 2021 pourrait, dans les secteurs les plus touchés, passer de 1,1% en 2019 à 1,8 % mais avec une marge d’incertitude très forte. L’enjeu pour 2021 sera de réduire au maximum les défaillances d’entreprises performantes et viables dans une situation hors Covid et la sauvegarde d’entreprises non viables, car dans les deux cas c’est la productivité agrégée qui serait réduite. À court terme, le premier type de risque nous paraît plus grave que le second. C’est pourquoi nous considérons que l’excès de dette des entreprises devra être traité ce qui passera par une restructuration de certaines dettes contractées pendant la crise à la fois auprès de l’Etat et des créditeurs privés. 


Le nombre cumulé des liquidations et redressements d’entreprises est et reste à la mi novembre anormalement bas par rapport à 2019 qui était déjà une année avec des chiffres faibles (cf. graphique 1). La chute par rapport à 2019 est très significative : – 35,9 % pour l’ensemble des entreprises et – 29 % pour les PME (10-249 salariés). On ne constate pas de grosses différences selon les secteurs : le secteur hébergement et restauration voit une baisse aussi forte que le secteur manufacturier (cf. graphique 2). Par ailleurs, la proportion de liquidations dans les ouvertures de procédures a marginalement augmenté en 2020 par rapport à 2019, mais environ 2/3 des ouvertures de procédure sont toujours des liquidations pour les plus petites entreprises et seulement 1/3 pour les PME.

Graphique 1
Somme cumulée du nombre d’ouverture de procédure collective
(redressement et liquidation judiciaire, hors conversion de RJ à LJ)

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Source : Publications BODACC jusqu’au 08 décembre 2020, traitement auteurs, stabilisées jusqu’à la fin de la 45ème semaine et enrichie avec les données issues des publications hebdomadaires de la Banque de France jusqu’à la fin de la 48ème semaine.

Lecture : Sur les 48 premières semaines de 2020, environ 25 000 procédures collectives avaient été ouvertes par des entreprises auprès de tribunaux de commerce et des TGI. En 2019, sur la même période près de 40 000 procédures avaient été ouvertes.  Les barres en pointillé indiquent le début et la fin des deux confinements.

1. Le paradoxe de la chute des défaillances d’entreprises depuis le début de la pandémie

Il n’y a pas d’accélération ou de rattrapage depuis septembre alors qu’on aurait pu attendre une telle accélération à la rentrée. En effet, à partir du 24 août prenait fin la mesure permettant à une entreprise de ne pas être considérée, sur le plan légal, en état de cessation de paiements si elle ne l’était pas le 12 mars. Celles-ci disposaient alors de 45 jours pour se déclarer, soit jusqu’à début octobre. L’absence de rattrapage de septembre à novembre suggère que les facteurs techniques n’expliquent pas aujourd’hui cette dynamique paradoxale. Ce sont davantage les interventions publiques (PGE, chômage partiel…), les mesures prises par les banques (moratoires) et l’arrêt des assignations en procédure de l’URSSAF qui permettent aux entreprises en difficulté de se maintenir.

Graphique 2
Variation du nombre d’ouverture de procédures collectives à la 45e semaine en 2020 par rapport à 2019

graphique-2-billet-cae-decembre.png
Type d'image: 
Libre

Source : Publications BODACC jusqu’au 08 décembre 2020 et données FARE 2018, traitement auteurs, stabilisées jusqu’à la fin de la 45ème semaine.

Lecture : Sur les 45 premières semaines de 2020, dans les secteurs du transport et de l’entreposage, il y a eu 55% d’ouvertures de redressements judiciaires en moins que sur la même période en 2019.

Même si les comparaisons internationales sont difficiles en matière de procédures de faillites d’entreprises, il apparaît que des situations similaires se retrouvent au Royaume-Uni [1] et en Allemagne. Les chiffres publiés au Royaume-Uni() montrent un nombre de faillites au troisième trimestre de 2020 inférieur de 39 % par rapport au même trimestre de 2019, et en chute de 9 % par rapport au second trimestre de 2020. En Allemagne, où l’obligation de déclarer une situation d’insolvabilité a été suspendue à partir du 1er mars, le nombre d’entreprises se déclarant en situation d’insolvabilité a diminué de 10 % environ au premier semestre de 2020 par rapport au premier semestre de 2019 [2]. En Allemagne non plus, il ne semble pas y avoir de rattrapage avec – 16,7 % de cas ouverts en juillet 2020 par rapport au même mois de 2019. Aux États-Unis, une étude publiée fin septembre [3] montre une situation différente dans laquelle une chute importante des liquidations directes coexiste avec une augmentation substantielle des « Chapter 11 », notamment pour les plus grandes entreprises ; ce que les auteurs de l’étude interprètent comme le signe de difficultés d’accès des petites entreprises aux tribunaux.

2. En 2020 comme en 2019, ce sont les entreprises les plus faibles qui ont un fort risque de défaillance

La baisse des défaillances d’entreprises a-t-elle pour corollaire l’apparition d’entreprises « zombies » c’est-à-dire des entreprises peu productives, peu performantes et incapables à terme de générer des profits mais qui survivent sur le marché grâce à l’octroi de prêts avec des taux d’intérêt faibles ? Si c’était le cas, cela pourrait avoir pour conséquence un impact négatif sur le mécanisme de réallocation schumpétérien de destruction créatrice et donc, à terme, sur la productivité de l’économie française. Les sorties d’entreprises sont une composante non négligeable de la croissance de la productivité du travail : sur la période 2011-2017, environ 40 % selon une étude du ministère de l’Économie [4]. La raison est que les entreprises en liquidation ou redressement sont moins productives (mesurée ici par leur valeur ajoutée par travailleur) que celles qui survivent. Si on restait sur une diminution de 30 % des sorties (ce qui est très improbable), les gains de productivité du travail qui étaient de l’ordre de 0,3 % par an en moyenne entre 2011 et 2017 pour les entreprises du secteur marchand analysées par l’étude du ministère de l’Économie, passeraient à environ 0,25 % par an. La baisse du nombre de faillites, surtout si comme nous l’anticipons est temporaire, ne devrait pas avoir d’impact majeur sur la productivité à terme de l’économie française.

Une autre crainte qu’il est légitime d’analyser est que le « triage » des entreprises dans le processus de défaillances soit moins efficace à la fois du fait de la situation de crise et des aides apportées : que des entreprises peu productives ne soient sorties et surtout que des entreprises productives le soient.

Nous [5] avons empiriquement analysé cette question en estimant les paramètres qui prédisent le mieux la probabilité de défaillance des entreprises en France cette année relativement à l’année précédente. Nous avons donc analysé ces paramètres sur la période du 1er mars au 1er octobre 2020 en comparaison de la même période en 2019. Nous avons d’abord mené cette analyse sur les entreprises d’au moins 1 salarié ou plus pour lesquelles les informations financières sont disponibles. Notre échantillon est large (1,1 million d’entreprises). Nous montrons que :

  • pour ces entreprises, la probabilité de défaillance via une procédure judiciaire sur 8 mois allant de mars à octobre était de 0,71 % en 2019 et de 0,43 % en 2020. C’est le paradoxe de la réduction des défaillances évoqué plus haut ;
  • même dans la situation actuelle de crise et alors que les défaillances sont en nombre réduit, les facteurs qui prédisaient le mieux la probabilité qu’une entreprise se retrouve en procédure judiciaire sont quasi identiques à ceux prévalant en 2019. Dans un secteur donné, plus une entreprise est productive (mesurée par la valeur ajoutée par travailleurs deux ans auparavant) plus la probabilité de défaillance diminue. L’accumulation de dette (mesurée par rapport à l’actif total) et notamment de dette bancaire en revanche augmente cette probabilité. L’âge de l’entreprise la réduit ainsi que sa taille (nombre de salariés) ;
  • notre conclusion est donc que les mesures mises en place par le gouvernement ont, jusqu’ici, permis d’éviter que des entreprises productives (avec une valeur ajoutée par travailleur élevée) ne soient mises en défaillance. Les entreprises en défaillance en 2020 restent des entreprises qui étaient moins productives et plus fragiles financièrement comme en 2019.

Nous avons aussi mené une analyse centrée sur le secteur des commerces au sens large (par exemple, les concessionnaires automobiles, les restaurants ou les coiffeurs qui ne sont pas inclus dans le secteur commerce de l’Insee le sont dans notre analyse, de même que les salons de beauté ou les services funéraires). Dans ce secteur commerce au sens large, le taux de défaillance de mars à octobre a été de 0,44 % en 2020, alors qu’il était de 0,65 % sur les mêmes mois de 2019, soit une baisse de près de 33 % des faillites d’entreprises. Ce focus sur les commerces nous permet de mieux comprendre comment le cumul du choc Covid-19 (baisse du chiffre d’affaires) et des aides publiques a joué sur le risque de défaillance. En effet, le choc Covid-19 a été très hétérogène en fonction des commerces : certains ont été très touchés (les restaurants par exemple) et d’autres beaucoup moins (les épiceries par exemple). Nous mesurons le choc Covid-19 par la variation de dépenses de cartes bancaires entre 2020 et 2019 au niveau agrégé des différents secteurs du commerce [6]. Si l’État n’était pas venu en aide aux commerces les plus affectés par le choc on s’attendrait à ce que l’ampleur de la baisse des dépenses de cartes bancaires (de – 61 % pour les agences de voyages, de + 23 % pour les bureaux de tabac et de + 18 % pour les boulangeries) [7] soit le facteur le plus important pour prédire le risque de défaillance et en tout cas beaucoup plus important que les facteurs spécifiques à l’entreprise (sa productivité ou sa dette). À l’autre extrême, si l’État avait totalement absorbé les différences du choc Covid-19 entre secteurs en 2020, les entreprises des secteurs les plus touchés (à productivité et dette données) n’auraient pas une probabilité plus forte de défaillance.

L’analyse économétrique que nous avons menée sur le secteur du commerce montre que la réalité, jusqu’ici, se situe entre les deux extrêmes mais plus proche d’une situation où les aides publiques ont très fortement absorbé l’impact du choc Covid-19 sur le risque de défaillance. En effet, même si un commerce dans un secteur plus fortement touché par le choc Covid-19 a plus de risque de défaillance, il reste que ce sont ses faiblesses individuelles (faible productivité et dette élevée) qui prédisent le mieux (comme en 2019) son risque de défaillance. Cela suggère que le ciblage des aides aux commerces a jusqu’ici été efficace. La contribution respective des différents facteurs – ceux spécifiques à la performance individuelle de l’entreprise comme sa productivité et sa dette et celui, le choc Covid-19, qui n’est pas de sa responsabilité – est donnée dans le graphique 3.

Graphique 3
Contribution des différents facteurs au risque de défaillance en 2019 et 2020

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Lecture : En 2019, inclure le ratio de dettes bancaires par rapport l’actif des entreprises parmi les variables explicatives de la défaillance permet d’accroître de 25 % la performance explicative du modèle économétrique par rapport à un modèle où toutes les autres variables listées ici sont présentes, ainsi que des effets sectoriels.

Source : Modèle créé à partir des données de procédures collectives issues des publications BODACC, traitement auteurs et des données et caractéristiques individuelles issues de FARE 2017 et 2018, entreprises de 1 à 249 salariés.

Cette analyse suggère que les interventions publiques pour aider les entreprises ont permis de sauver, au moins temporairement, un très grand nombre d’entreprises dont certaines n’auraient pas survécu même en année normale. Les aides ont permis d’éviter que des entreprises performantes entrent en défaillances.

3. Les scénarios d’augmentation des défaillances d’entreprises en 2021

Une forte augmentation des ouvertures de procédure dans les tribunaux de commerce est anticipée dans les mois à venir. Les simulations existantes (Gourinchas et al., DG Trésor et OFCE) [8] prédisent toutes une augmentation très forte des défaillances de PME par rapport aux années 2018 et 2019, jusqu’à 25 % par exemple dans le secteur hébergement et restauration. Ces simulations ne prennent cependant pas en compte l’ensemble des mesures de soutien mises en place. Il est donc difficile à ce stade d’anticiper quand et dans quelle mesure la vague de défaillances aura lieu.

Nous proposons ici une méthode simple à partir de notre modèle économétrique en considérant que la hausse des faillites à attendre dans le secteur du commerce à partir de 2021 serait la somme de trois effets :

  • le rattrapage des défaillances « normales » qui n’ont pas eu lieu en 2020 (par comparaison avec les défaillances observées en 2019 ;
  • la baisse de l’activité en moyenne sur la période 2020-2021 ;
  • le surcroît de dette que les entreprises auront accumulé.

Pour ces deux derniers effets, nous nous concentrons sur les entreprises du commerce au sens large retenu dans ce Focus et considérons 3 scénarios plausibles en fonction des répercussions du choc Covid-19 sur la productivité et l’endettement des entreprises du commerce :

  • les entreprises les moins touchées du commerce enregistreraient une baisse de 3 % de la productivité du travail, mais leur niveau d’endettement ne serait au final pas modifié ;
  • les entreprises moyennement touchées connaîtraient une baisse de 6 % de la productivité du travail et une augmentation de 2,5 points de leur ratio d’endettement (toutes dettes confondues, c’est-à-dire la dette bancaire, la dette fiscale et sociale et la dette fournisseur), celui-ci passant par exemple de 20 à 22,5 % ;
  • les entreprises fortement touchées verraient la productivité du travail diminuer de 12 % et leur ratio d’endettement de 5 points (passant par exemple de 20 à 25 %).

Comment justifier ces trois scénarios ?

  • concernant la baisse de la productivité, l’idée est que toutes les entreprises du commerce ont fait face à une baisse de la productivité du travail, ne serait-ce que du fait des périodes de fermeture, de l’imposition de gestes barrières et de la baisse de la demande. Pour les entreprises moyennement affectées par le choc, la baisse de la productivité du travail serait de 6 % ce qui correspond à peu près à la baisse de croissance annuelle cumulée attendue sur la période 2020-2021 [9]. Pour les entreprises les moins touchées, l’impact sur la productivité du travail serait deux fois moindre (soit – 3 %) et deux fois supérieur (– 12 %) pour les entreprises les plus touchées [10] ;
  • concernant la hausse de l’endettement, pour calibrer un choc plausible nous avons observé les distributions des prêts garantis par l’État à la fin novembre 2020 telles que publiées sur le site d’Etatlab et calculé à quelle hausse du taux d’endettement cela correspondait utilisant le bilan des entreprises. À lui seul, le PGE correspondrait à une augmentation du ratio d’endettement de 2,5 points dans certains secteurs du commerce. À partir de là nous avons construit trois scénarios. Dans le pire scénario, le ratio d’endettement à l’issue du second confinement augmenterait de 5 points par rapport à la situation de fin 2019 du fait non seulement du PGE, mais aussi des dettes fiscales et sociales accumulées du fait des reports de paiements accordés et d’éventuels délais dans le paiement des fournisseurs. Pour les entreprises les moins touchées, le ratio d’endettement n’augmenterait pas du fait de la conjugaison des périodes de confinement et du rattrapage partiel de l’activité. Finalement, les entreprises moyennement affectées verraient leur ratio d’endettement (toutes dettes confondues) augmenter de 2,5 points par rapport au niveau de la fin de 2019. Pour donner un ordre d’idée de l’ampleur des chocs d’endettement simulés, le taux d’endettement dans le commerce au sens large qui était en moyenne de 40 %, resterait inchangé pour les entreprises du commerce les moins touchées et à 45 % pour les entreprises les plus touchées.

En utilisant le modèle économétrique estimé pour l’année 2019 sur les entreprises du commerce (toujours selon notre définition large), le surcroît de défaillances à attendre à l’issue de la crise Covid-19 dans les entreprises du commerce irait de + 2,2 % pour les secteurs les moins touchés et jusqu’à plus de 25 % dans les secteurs du commerce les plus affectés par la crise du Covid-19 (cf. tableau ci-dessous).

Tableau 1
Trois scénarios plausibles pour les entreprises du commerce et hausse des défaillances (en %)

Secteurs

peu touchés

moyennement touchés

très touchés

Baisse de la productivité du travail

– 3

– 6

– 12

Impact sur le nombre de faillites

+ 2,3

+ 4,8

+ 9,9

Augmentation du ratio d’endettement (en points)

+ 0

+ 2,5

+ 5

Impact sur le nombre de faillites

0

+ 6,9

+ 14,4

Total

Impact sur le nombre de faillites

 

+ 2,3

 

+ 12,1

 

+ 25,7

Source : Modèle créé à partir des données de procédures collectives issues des publications BODACC, traitement auteurs et des données et caractéristiques individuelles issues de FARE 2017 et 2018, entreprises de 1 à 249 salariés.

Lecture : Dans les secteurs du commerce au sens large les plus touchés, le scénario envisagé est celui d’un surcroît de 25% des faillites en 2021 par rapport à une année normale.

Au total, si l’on ajoute le surcroît de faillites à attendre en 2021 du fait du phénomène de rattrapage lié au très faible nombre de défaillances d’entreprises en 2020, les taux de défaillances seraient en 2021 bien supérieurs dans le commerce à ceux observés en 2019.

Tableau 2.
Rattrapage et crise COVID-19 : taux de défaillance en 2021 (en %)

Secteurs

peu touchés

moyennement touchés

très touchés

Taux de faillite 2019 (1)

1,1

1,1

1,1

Taux de faillite 2020 (2)

0,7

0,7

0,7

Taux de faillite 2021 = (1) + (3) + (4)

1,53

1,63

1,78

Rattrapage 2020 (3) = (1) – (2)

0,4

0,4

0,4

Surcroît Covid-19 (4)

+ 0,03

+ 0,13

+ 0,28

Source : Modèle créé à partir des données de procédures collectives issues des publications BODACC, traitement auteurs et des données et caractéristiques individuelles issues de FARE 2017 et 2018, entreprises de 1 à 249 salariés.

Lecture : Dans les secteurs du commerce les plus touchés par la COVID-19, le taux de défaillance des entreprises passerait de 1,1% en année normale à 1,78% en 2021 : cela viendrait d’un effet de rattrapage du faible taux de défaillance de 2020 et d’un effet COVID-19.

Les scénarios développés ici sont très exploratoires et ne peuvent pas être considérés comme des prévisions. L’impact de la crise Covid-19 sur les défaillances d’entreprises dépendra en effet d’un certain nombre de facteurs qui sont à ce stade encore difficiles à estimer.

Tout d’abord, nos scénarios pour les entreprises du commerce font implicitement l’hypothèse qu’il n’y aura pas de troisième confinement, ce dont nous ne pouvons être certains aujourd’hui.

Une autre inconnue réside dans la nature des mesures d’aides aux entreprises qui seront éventuellement mises en œuvre par l’État pour retarder, voire limiter, les entrées en défaillances. Il reste que, les aides publiques qui permettent de maintenir la liquidité des entreprises (prêts, reports de charges fiscales et sociales...) se traduisent par des hausses de l’endettement des entreprises qui, in fine, est le principal de déclenchement des faillites d’entreprises. Les aides en liquidité retardent l’entrée en défaillances de certaines entreprises mais en augmentant leur dette aggravent le risque de défaillance future. Si l’objectif de l’intervention publique est d’éviter les faillites d’entreprises qui étaient saines avant la crise Covid-19, une réduction de la dette des entreprises sera sans doute nécessaire.

Le modèle économétrique utilisé est fruste :

  • notamment, il ne prend pas en compte les effets d’« équilibre général ». Dans le cas des faillites d’entreprises ceux-ci peuvent être de deux natures : d’une part, une hausse des faillites peut entraîner la fragilisation d’entreprises par des effets de contagion (clients et fournisseurs) et, d’autre part – et cela joue dans le sens inverse –, une entreprise peut bénéficier des difficultés de ses concurrentes ;
  • il existe dans le modèle économétrique un phénomène d’endogénéité qu’il est difficile de traiter et qui potentiellement nous conduit à surestimer le surcroît de défaillances du fait de la crise Covid-19. Le fait que le ratio d’endettement soit corrélé à la probabilité de faillite peut résulter d’une causalité inverse : une entreprise peu performante, croît lentement et dégage peu ou pas de profit et finit par accumuler des dettes. Ces dettes la mènent à la faillite, mais l’accumulation de dette est davantage le symptôme que la cause des problèmes de l’entreprise. Dans la situation actuelle, la hausse de dette qui résulte de la crise Covid-19 est d’une autre nature. Cette dette est le témoin du choc subi par l’entreprise et non pas le symptôme de la dégradation de sa capacité à dégager des profits et à rembourser sa dette. La prise en compte de la productivité du travail des entreprises permet en partie de réduire ce problème d’endogénéité mais pas parfaitement car elle ne reflète pas complètement la performance des entreprises et leur capacité à dégager des profits.

 

4. Les questions de politique économique

Lorsque, comme nous l’anticipons, le nombre de défaillances d’entreprises augmentera avec potentiellement un effet de rattrapage, il sera alors essentiel d’une part de réduire au maximum les défaillances des entreprises performantes en particulier du fait de leur dette accumulée pendant la crise,  et d’autre part d’éviter que des entreprises peu performantes soient sauvegardées, car dans les deux cas c’est la productivité agrégée qui sera réduite. À court terme, la réalisation du premier type de risque est plus grave que le second. Le ciblage imparfait des aides qui évite la défaillance d’entreprises performantes se fait aujourd’hui au prix du maintien d’entreprises peu performantes ou non viables. Un retrait progressif des mesures ou un durcissement graduel des conditions d’accès permettra de réenclencher efficacement le processus de réallocation. Si l’augmentation des défaillances dans les mois qui viennent ne constitue qu’un rattrapage vers une situation plus normale (donc autour de 30 % environ) cela ne devra pas être interprété comme un échec de la politique d’aide aux entreprises. Une difficulté d’ordre politique sera d’ailleurs qu’une forte pression va s’exercer sur le gouvernement pour que même ce rattrapage soit évité. Retarder la sortie des aides aux entreprises ne nous paraît cependant encore une fois dans la situation actuelle un risque majeur.

Dans le débat qui inévitablement émergera sur le nécessaire retrait des mesures de soutien, il sera important de bien mesurer et comparer les risques respectifs : le risque d’affaiblissement du tissu économique ; le risque sur la productivité de l’économie française ; le risque sur la dette publique impliqué par le coût des mesures. À ce stade, c’est le premier risque qui nous paraît toujours le plus grave et les interventions ont permis jusqu’ici de l’éviter et ce n’est que lorsqu’il sera écarté que les mesures de soutien devront être progressivement réduites. Nous considérons que pour réduire le risque de défaillances d’entreprises viables mais fortement endettées, l’excès de dette des entreprises devra être traité ce qui passera par une restructuration de certaines dettes contractées pendant la crise à la fois auprès de l’Etat et des créditeurs privés. Le risque sur la productivité est secondaire aujourd’hui mais il ne doit pas être négligé et il devra guider les modalités du retrait des mesures davantage que la question de la dette publique.

Aller vers encore davantage de ciblage des aides sur les secteurs qui ont subi le plus gros choc paraît désormais légitime. Dans la période actuelle nous considérons que l’arbitrage doit privilégier le soutien aux entreprises, même imparfaitement ciblé. Plutôt que de « zombification » des entreprises, il faut parler de « mise en hibernation » dans la mesure où le soutien devra rester temporaire.

De ce point de vue, éviter un engorgement des tribunaux de commerce permettrait de pas dégrader le nécessaire processus de réallocation [11]. Il sera ainsi important d’étaler le retrait des mesures de soutien pour éviter des dates butoirs qui pourraient générer un tel engorgement.


* Respectivement pour les auteurs : Université Paris Dauphine et France Stratégie ; Université Paris Dauphine et France Stratégie ; Sciences Po et Conseil d’analyse économique (CAE). Ce Point de vue est publié simultanément comme « Focus » sur le site du Conseil d'analyse économique (CAE).

[1] UK Insolvency Service Quarterly, https://www.gov.uk/government/statistics/monthly-insolvency-statistics-september-2020

[2] Destatis Press Release n° 394, 8 octobre 2020: « July 2020 : business insolvencies down 16.7% from July 2019 due to suspension of obligation to file for insolvency »

[3] Wang J., J. Yang, B. Iverson et R. Kluender (2020) : « Bankruptcy and the Covid-19 Crisis », Harvard Business School WP, n° 21-041.

[4] David C., R. Faquet et C. Rachiq (2020) : « Quelle contribution de la destruction créatrice aux gains de productivité en France depuis 20 ans ? », Document de Travail DG Trésor, 2020, à paraître.

[5] Voir le Document de travail préliminaire de Mathieu Cros, Anne Épaulard et Philippe Martin à paraître: « Will Schumpeter Catch Covid?».

[6] Ces données agrégées au niveau du secteur proviennent du Groupement des Cartes Bancaires CB, Groupement d’intérêt économique. Elles ont déjà été utilisées par le CAE, voir Bounie D., Y. Camara, É. Fize, J. Galbraith, C. Landais, C. Lavest, T. Pazem et B. Savatier (2020) : « Dynamiques de consommation dans la crise : les enseignements en temps réel des données bancaires », Focus du CAE, n° 49, octobre et Martin P., J. Pisani-Ferry et X. Ragot (2020) : « Une stratégie économique face à la crise », Note du CAE, n° 57, juillet. Elles sont aussi utilisées par l’INSEE. Nous remercions le Groupement des Cartes Bancaires CB pour ce partenariat dans le cadre de la Chaire Finance Digitale.

[7] Le choc de chiffre d’affaires tel que nous les mesurons est une approximation. En effet, le recours au paiement par carte bancaire a fortement crû pendant la pandémie du fait de la protection qu’offre le paiement sans contact par rapport au paiement en espèces. Surtout, le report vers le paiement en carte bancaire a sans doute été hétérogène entre les secteurs. Le report a probablement été plus important pour les commerces où les achats moyens sont de quelques euros, comme les boulangeries par exemple.

[8] Gourinchas P-O., S. Kalemli-Ozcan, V. Penciakova et N. Sander (2020) : « Covid-19 and SME Failures », IMF Working Paper, n° 27877, septembre ; Guerini M., L. Nesta, X. Ragot et S. Schlavo (2020) : « Dynamique des défaillances d’entreprises en France et crise de la Covid-19 », OFCE Policy Brief, n° 73 ; RESF 2021.

[9] Dans le projet de loi de finances rectificative présenté fin novembre 2020, le gouvernement prévoit un taux de croissance négatif pour l’économie française en 2020 (– 11 %) suivi par un rebond d’environ 6 % en 2021, soit un taux de croissance annuel moyen sur les deux années d’environ – 3 %.

[10] Parmi ces secteurs les plus touchés, certains sous-secteurs pourraient l’être encore davantage.

[11] Sur ce sujet, voir aussi, Chloé Zapha « Accélérer les procédures de restructuration en réponse au COVID-19 », Billet de blog Banque de France n°192. https://blocnotesdeleco.banque-france.fr/billet-de-blog/accelerer-les-procedures-de-restructuration-en-reponse-au-covid-19


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