Point de vue Quelle France dans 10 ans? Commentaire de Charles Wyplosz L'économiste Charles Wyplosz a rédigé un commentaire critique sur le document "Quelle France dans 10 ans ?". Publié le : 26/09/2013 Temps de lecture 10 minutes Depuis une dizaine d’années, nous avons eu le Rapport Camdessus, le Rapport Pébereau et le Rapport Gallois, sans compter les rapports de la Cour des Comptes et de multiples études de l’OCDE. Bien que différentes ici et là, ces études ont dégagé depuis longtemps un diagnostic largement partagé des sources du déclin de la France et des mesures à prendre pour y remédier. Le rapport du CGSP est différent. À la précision technocratique des précédents rapports il substitue une vision très large. Le questionnement de l’exception française est nécessaire, non pour définir les réformes nécessaires, elles sont bien connues, mais pour construire une stratégie qui rende ces changements possibles. En s’engageant dans cette voie, le rapport fait œuvre utile. C’est sa force et sa faiblesse. Plus général, il est aussi plus vague, tant dans le diagnostic que dans les propositions. Par exemple, que veut dire « l’écosystème national ne favorise ni l’orientation des ressources – financements et talents – vers les entreprises insérées dans la concurrence internationale, ni le développement des entreprises à potentiel » ? C’est quoi un écosystème ? Comment on le change ? Et qui sait quelles sont les « entreprises à potentiel » ? Le défi est de combiner large vue et rigueur. Sur ce dernier aspect, des progrès sont nécessaires. Diagnostic Rien à dire sur les chiffres. Ils sont ce qu’ils sont et ils sont connus. Mais à trop embrasser de visions différentes, et de différente importance, il laisse un sentiment d’imprécision. Nous sommes bien éduqués, bien équipés, bénis des dieux en matière de cadre de vie, nous avons tout pour réussir mais nous doutons de nous. C’est pour cela que nous ne pouvons pas nous mettre d’accord sur une stratégie, sur les OGM, sur l’industrialisation ou sur la dette publique. Ainsi, il suffirait de redonner confiance aux Français pour croître de 2% par an. Si c’était vrai et si c’était possible ! Sur la dette publique, que j’ai beaucoup étudiée, la raison est bien connue et pas spécifiquement franco-française. Nous sommes victimes d’une externalité (common pool) : nous voulons recevoir plus d’argent de l’État mais c’est aux autres de payer de payer les impôts. Je suspecte que c’est le même phénomène qui affecte beaucoup d’autres questions abordées dans le rapport. Je suis d’ailleurs frappé que n’apparaisse nulle part le nom de Pierre Cahuc et de son livre sur la Société de Défiance (co-écrit avec Yann Algan) qui, à mon sens, développe en détail cette interprétation du mal français. Trop simpliste et trop réducteur ? Mais à multiplier les interprétations, on n’en a aucune. Une des vertus de la discipline économique est précisément de chercher la ou les explications les plus puissantes. Nous ne doutons pas de nous, nous comprenons que notre modèle post-1945 ne fonctionne plus. Nous voulons des réformes, certes, mais que les sacrifices soient subis par un autre que moi (le très classique syndrome du « not in my backyard »). Nous sommes morcelés en une infinité de groupes de pression qui défendent férocement leurs avantages acquis (oserai-je aussi citer mon livre avec Jacques Delpla ?). Ce serait d’ailleurs utile dans un haut lieu de la concertation de proposer un guide de lecture de ce qui rend la concertation si difficile. Ce serait bien d’appeler un chat, un chat. La mondialisation Le thème dominant (leitmotiv) semble être celui de la mondialisation. C’est de la bonne pédagogie, mais le risque est grand que les lecteurs concluent que c’est là la source directe de nos malheurs. A mon sens, les problèmes créés par la mondialisation sont le révélateur du mal français. La mondialisation introduit la concurrence, donc la remise en cause des positions établies. Le problème est donc, encore et toujours, le refus des groupes de pression de laisser gentiment disparaître telle ou telle activité qui, compétition ou pas, n’est plus compatible avec le progrès des connaissances. Les pays du Nord, qui ont moins d’inégalités que nous, réussissent parce qu’ils voient dans le progrès la source de croissance. Idem, bien sûr, aux États-Unis. D’ailleurs les nombreuses pages consacrées à l’égalité et au partage des revenus se lisent comme un plaidoyer pour ne pas laisser la concurrence faire son travail. Si le rapport veut encourager la croissance, il devrait pour une fois se concentrer sur la taille du gâteau plus que sur son partage. Je sais bien que c’est une ligne de démarcation entre la gauche et la droite (enfin, une petite partie de la droite) mais c’est une mauvaise ligne de démarcation. Une fois encore, les pays nordiques ont trouver le moyen faire disparaître cette opposition ; ce serait bien d’expliquer comment ils font. Le rôle de l’État C’est l’autre thème dominant : l’État reste le levier indispensable pour la renaissance de l’économie français. Je pense exactement le contraire. C’est la toute puissance de l’État, et de ses lois tatillonnes, qui est le frein essentiel à la croissance. C’est d’ailleurs la conclusion de Cahuc qui dénonce l’étatisme et le corporatisme à la Beffa, qui a d’ailleurs l’honneur, lui, d’une citation. Pour commencer, l’administration est pléthorique. Pour réduire un peu leur désœuvrement, les fonctionnaires inventent des règles et des questionnaires qui étouffent les entreprises, et principalement les PME qui n’ont pas les services juridiques adéquats pour « dialoguer » avec l’administration. Pourquoi ne pas citer les comparaisons internationales en matière de bureaucratie ? Le thème du mittelstand est abordé, mais sa faiblesse est attribuée à l’écosystème ! Demandez aux petits entrepreneurs quel est leur problème. Ils parleront de réglementation et des impôts nécessaires au maintien de la bureaucratie qui édicte ces réglementations. Ce n’est pas dit, mais on sent bien que le rapport défend la politique industrielle consacrée à encourager les « entreprises à potentiel ». S’il est une question qui a été tranchée par la recherche économique c’est que l’État est incapable d’identifier les secteurs du futur. L’idée que l’on peut adopter maintenant les technologies qui n’ont pas été adoptées il y a dix ans est surprenante : elles sont aujourd’hui dépassées !Enfin, l’éducation nationale et la surprenante admiration pour Chevènement et son objectif de 80% de bacheliers. Certes, nous avons désormais 60% de bacheliers mais leur orthographe est catastrophique et le bac ne sert plus de signal puisque presque tout le monde l’a. Alors on va en fac pour acquérir le bon signal. Mais la fac n’a pas les moyens de former 60% d’une classe d’âge et donc le signal ne fonctionne pas. Le rapport se réjouit de l’allongement du nombre d’années d’études mais former un étudiant coûte cher et il faut aussi se demander ce que les étudiants apprennent. Ce serait bien d’aborder le thème de la productivité de notre système d’éducation. Et d’expliquer pourquoi il est devenu plus que jamais (merci Chevènement) une source de reproduction des inégalités. Il serait honnête de reconnaître que ce que l’État peut faire de mieux est de cesser d’être un frein à la croissance. Les possibilités sont immenses. Potentiel de croissance C’est vrai que notre retard (mesuré par exemple par le PIB/tête, 30% en dessous de celui des Etats-Unis) est une promesse de croissance. C’est le très classique rattrapage de Solow et c’est la carotte à montrer aux responsable politiques. Mais notre PIB/heure travaillée est au même niveau, ou presque, que celui des États-Unis. Notre retard tient donc au faible nombre d’heures travaillées. Personne ne veut vraiment abandonner les 5 semaines de vacances, donc nous ne rattraperons jamais les États-Unis, sauf s’ils finissent par adopter un style de vie plus « européen ». Mais il y a des gisements de croissance immenses : réforme du marché du travail, voir les travaux de Cahuc et ceux de l’OCDE allongement du nombre d’années travaillés (pas en 2035, maintenant)réduction des charges sociales qui pénalisent massivement l’emploi (bien plus que le coût du logement !) remise en cause du niveau élevé du salaire minimum qui exclu les jeunes non qualifiés, ce qui transforme nos banlieues en lieux de criminalité (et impose des dépenses de police improductives). Ces réformes doperont la croissance bien plus que tout ce que le rapport suggère ! Conclusion Le panégyrique de Chevènement résume de manière symbolique les limites du rapport et de sa vision. L’idée de départ était la justice sociale, donc la répartition du gâteau national. Mais il fallait développer une vision de l’éducation supérieure de masse et la mettre en œuvre pour que le gâteau augmente en proportion. Les exemples réussis (États-Unis, Grande-Bretagne) fonctionnent de manière radicalement différente (les universités y sont hiérarchisées). Ce n’est pas une question de ressources, mais de rigueur dans la vision. L’enfer, hélas, est pavé de bonnes intentions.Petites remarques secondaires- La féminisation « à l’instar de l’aide à la personne » : ho, quel machisme ! Les femmes sont infirmières, nounous, assistantes auprès des personnes âgées, institutrices. Oui mais elles seront bientôt (ou sont déjà) dominantes en médecine, dans la magistrature et bien d’autres mâles professions d’élite. - Sur le contraste Japon-Grande Bretagne, il serait bon de rappeler clairement que le Japon stagne depuis 20 ans alors que la Grande-Bretagne a connu une belle croissance. Ça pourrait aider le lecteur à faire le choix. - « L’exemple du Conseil d’orientation des retraites, au sein duquel un diagnostic partagé s’est progressivement forgé entre experts et partenaires sociaux, montre qu’il est possible de s’entendre sur les questions même lorsqu’on leur apporte des réponses différentes, voire opposées”: mais si les réponses sont opposées, où est le progrès ? La réforme à minima qui vient d’être adoptée montre bien que les groupes de pression ont tout compris et ne lâchent rien. Partager la page Partager sur Facebook - nouvelle fenêtre Partager sur X - nouvelle fenêtre Partager sur Linked In - nouvelle fenêtre Partager par email - nouvelle fenêtre Copier le lien dans le presse-papier Téléchargement Quelle France dans dix ans? 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