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Note d'analyse
Publié le
Mercredi 09 Novembre 2022
Compte-tenu du rythme et de l’ampleur de l’effort à fournir dans la lutte contre le réchauffement climatique, il devient indispensable de prendre en compte dès maintenant son impact sur l’économie. La Première ministre a confié à Jean Pisani-Ferry une mission d’évaluation des impacts macroéconomiques de la transition écologique, dont France Stratégie assure le secrétariat et qui bénéficie de l’appui de l’Inspection générale des finances.
action climatique principale

Téléchargez la note d'analyse 114-  L’action climatique : un enjeu macroéconomique

La transition climatique est une grande transformation, analogue par son ampleur aux révolutions industrielles du passé, que le retard pris et le nouveau contexte géopolitique commandent de conduire à un rythme accéléré. Dans les années qui viennent, elle va affecter la croissance, l’inflation, les finances publiques, la compétitivité, l’emploi et les inégalités, en France et au niveau international. Ces incidences sont aujourd’hui mal comprises et mal prises en compte. L’objet de cette note est de mieux les cerner.

D’un point de vue économique, cette transition va reposer sur trois mécanismes principaux : la substitution de capital à des combustibles fossiles, qui va impliquer une augmentation substantielle des investissements (au total de l’ordre de 2,5 points de PIB en 2030, soit 70 milliards aux prix de 2021) ; la réorientation accélérée du progrès technique vers les alternatives aux énergies fossiles et l’amélioration de l’efficacité énergétique ; la modération des usages et des consommations énergivores (sobriété). Le dosage entre ces trois mécanismes relève de choix collectifs, qui peuvent différer d’un pays à l’autre et qui peuvent aussi varier dans le temps. 

Choc sur l’offre, inflation, finances publiques : les impacts de la transition climatique sur l’économie

À moyen terme (2030), il faut miser sur les technologies déjà fiables, et donc combiner substitution du capital aux énergies fossiles et efforts de sobriété. Il ne faut pas se cacher les coûts économiques de ces efforts. L’investissement va certes stimuler la demande, mais l’essentiel se joue du côté de l’offre :

  • Parce que du capital matériel (équipements, bâtiments), immatériel (brevets) et humain (qualifications) va être dévalorisé, la production potentielle va très certainement baisser ;
  • Parce que les efforts de recherche-développement seront principalement orientés vers l’économie de combustibles fossiles, les gains de productivité du travail et donc la croissance risquent d’être temporairement réduits. 

Mettre un prix sur une ressource jusqu’ici gratuite (un climat stable) constitue un choc négatif sur l’offre et entraîne une réduction du potentiel productif. Cela reste vrai quelles que soient les modalités retenues (tarification du carbone, réglementation, incitations). Combiné à un choc de demande positif, une réduction de l’offre est source de tensions inflationnistes. De surcroît, la crédibilité incertaine des politiques climatiques contribue à une situation d’insuffisance globale des investissements dans l’extraction et la production d’énergie, qui risque de constituer une contrainte à la croissance. Quant aux finances publiques, elles devront porter le poids des investissements publics et soutenir les efforts des entreprises et ménages insuffisamment solvables.

Les conditions du succès

Les politiques publiques ont la capacité de réduire substantiellement les coûts économiques de la transition, elles peuvent notamment :

  • Construire un consensus sur la stratégie climat en vue de permettre à chacun d’inscrire son propre effort dans une perspective d’ensemble, et d’augmenter ainsi l’efficacité des actions  ;
  • S’engager de façon crédible dans ces transformations, notamment par la planification écologique. Il est nécessaire que la planification des actions publiques prenne appui sur une trajectoire de prix implicite du carbone. Même en l’absence d’une fiscalité générale du carbone (au-delà des seuls marchés de quotas européens), cela permet de garantir un minimum de rationalité des choix publics ;  
  • Se doter d’une doctrine d’emploi des fonds publics. Il y a beaucoup de mauvaises raisons de s’endetter, la transition climatique n’en fait pas partie. Il faut que la réforme du Pacte de stabilité prenne cette dimension en compte ;
  • Mieux articuler stratégie nationale et stratégie européenne. Le climat est une compétence européenne, mais nombre d’actions (politique énergétique, transports, logement) relèvent de principalement de décisions nationales. Entre ces deux niveaux, la coordination est aujourd’hui insuffisante.

Les suites

Cette note d’étape vise à soumettre à la discussion un cadre d’analyse certes simplifié et encore partiel, mais aussi explicite que possible. Les travaux à venir, qui donneront lieu à un rapport au printemps 2023, vont s’attacher à compléter ce premier éclairage, notamment sur les dimensions internationales qui n’ont été que rapidement évoquées, à identifier les zones aveugles de notre connaissance des mécanismes de la transition, à quantifier les ordres de grandeur en jeu, et surtout à intégrer des blocs de l’analyse qui restent à ce stade disjoints les uns des autres. Ils viseront à ce titre à contribuer à une meilleure prise en compte des enjeux économiques dans la construction de la stratégie française énergie climat.

Auteurs

Jean Pisani-Ferry
Selma Mahfouz