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Publié le
Jeudi 08 Février 2018
Jeudi 08 Février 2018
14h00 à 17h30
France Stratégie a lancé un cycle de séminaires dédié au rôle de l’expert dans le débat public et la décision publique, qui vise notamment à comprendre les ressorts de la défiance que ce rôle suscite dans l’opinion. Cette sixième séance, consacrée aux questions climatiques, était au cœur des enjeux du cycle : la crise de confiance sur ce sujet se traduit par une remise en cause des conclusions scientifiques dans les médias et par le biais de la parole politique. La confusion créée par la multiplication de la parole des experts, la concurrence entre expertises, l’insertion d’acteurs tiers et le développement d’instances et d’agences chargées de construire une réflexion sur le passage du savoir au pouvoir sont autant d’éléments qui ont été abordés lors de cette rencontre.
Compte rendu

La question climatique est un enjeu politique et sociétal de premier plan. Dans ce champ, la parole de l’expert souffre d’une ambiguïté : malgré un consensus de plus en plus fort au sein de la communauté scientifique pour affirmer la réalité du réchauffement climatique d’origine anthropique, des voix discordantes, ayant bénéficié d’une audience importante dans les médias, génèrent une confusion qui retarde l’échéance d’une mobilisation collective pour y faire face.

Les apports des sciences du climat

Les études scientifiques sur le climat se sont caractérisées ces dernières années par un perfectionnement des méthodes employées (modèles, prévisions) et ont étendu leur champ d’intervention. Elles bénéficient d’une forte coordination au niveau international (Programme d’études du climat, Future Earth). Avec environ 20 000 experts dans le monde dont un millier en France, les sciences du climat ont notamment permis de mettre en évidence l’influence de l’homme sur la perturbation des équilibres climatiques. Depuis trente ans, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est un des principaux vecteurs de diffusion de ces travaux. Il publie des rapports de synthèse des connaissances scientifiques, qui permettent d’informer les décideurs. Si sa première mission n’est pas de vulgariser les études scientifiques, comme le souligne Philippe Marbaix, son rôle est crucial dans le cadrage des enjeux des négociations climatiques. À l’occasion de chacune de leurs publications, et à l’approche de conférences internationales majeures, les travaux du GIEC font l’objet de nombreux débats et commentaires, et de remises en cause, notamment par quelques experts se réclamant du « climatoscepticisme ».

L’expertise face au climatoscepticisme

Inventé aux États-Unis à la fin des années 1970, le concept de climatoscepticisme émerge avec la montée en puissance des sciences de l’environnement. Ces sciences, sur lesquelles prennent appui ceux qui prônent un renforcement de la réglementation environnementale, sont perçues comme un danger pour la liberté d’entreprendre, attisant les oppositions anticommunistes.

Dans Les Marchands de doute[1] paru en 2012 en France, la professeure d’histoire des sciences de la terre Naomi Oreskes et Erik Conway, historien à la NASA, ont décrit le rôle des think-tanks dans la diffusion du climatoscepticisme, en particulier celui du George Marshall Institute, dès 1984. 

Le phénomène se développe aux États-Unis, particulièrement sous l’impulsion d’experts auto-proclamés ou de scientifiques parfois éminents mais intervenant souvent hors de leur champ de spécialisation, qui alimentent le débat. Stéphane Foucart a rappelé que 900 millions de dollars avaient été mobilisés chaque année entre 2003 et 2010 pour financer le climatoscepticisme. Les fondations privées en sont alors les principales contributrices. Des stratégies particulières sont déployées pour créer des oppositions visibles et médiatiques : la fabrication de contentieux, l’utilisation détournée des dissensions existantes au sein de la communauté scientifique ou la diffusion de tribunes par des journaux.

En France, le terme « climatosceptique » apparaît en 2006. Il s’agit alors d’une duplication du terme américain. Le mouvement de mise en doute des résultats acquis par les sciences du climat se développe avec la traduction d’études et de manifestes américains, accompagné activement, dans un premier temps, par l’Académie des sciences et par différentes personnalités scientifiques de renom. Malgré ces efforts, il semblerait néanmoins que les climatosceptiques soient en voie de perdre la bataille…

Une prise de conscience réelle ?

Les conclusions de l’étude réalisée par l’ADEME, présentées par Solange Martin, font ressortir une sensibilisation croissante de l’opinion publique aux enjeux environnementaux et notamment climatiques. Ces huit dernières années, on aurait ainsi assisté à une hausse du nombre des convaincus de l’origine humaine du changement climatique actuel : 72 % des sondés répondent en effet que, d’après eux, « le réchauffement de la planète est causé par les activités humaines »[2].

Le constat dressé en matière de mobilisation politique et citoyenne est moins optimiste. Malgré l’accord de Paris qui a rappelé la nécessité de se remettre sur « la bonne trajectoire », comme l’a souligné Jacques Treiner, les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître.

Quel sens pour l’expertise sur les questions climatiques ?

Selon Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, il est nécessaire d’assurer une plus forte association entre le monde scientifique et la sphère politique. Cela pourrait passer par la nomination d’un conseil scientifique auprès du président de la République, comme c’est le cas aux États-Unis. L’éducation aux sciences devrait également être mobilisée pour permettre aux jeunes de comprendre et d’analyser l’information scientifique.

La réponse pourrait aussi venir des territoires. Des initiatives se développent dans différentes régions, à l’instar des activités conduites par le Centre Ressource du Développement Durable (CERDD) des Hauts-de-France, présenté par Elaine Briand. Le CERDD associe des « parties prenantes » régionales (départements, région, ADEME, État) dans le cadre de projets de mobilisation et de sensibilisation des acteurs territoriaux. La mise en place d’une feuille de route territoriale commune mêlant opérationnalisation, formations et conseil aux acteurs publics permet une meilleure diffusion des connaissances scientifiques et des cadres juridiques en matière environnementale. Donc, une meilleure prise en compte de ces enjeux dans le processus de décision.

Bettina Laville, présidente du Comité 21, a conclu l’après-midi sur les enjeux d’une meilleure appropriation par le public des études scientifiques. Évoquant une évolution du rapport des décideurs à l’expertise, Mme Laville a gagé que les nouvelles générations valoriseraient davantage l’action, bien que la parole des experts soit nécessaire pour concevoir les solutions de demain.

Intervenants :

  • Élaine Briand, chargée de mission « ressources climat », CERDD (Hauts-de-France)
  • Stéphane Foucart, journaliste, Le Monde
  • Bettina Laville, conseillère d’État, présidente du Comité 21
  • Philippe Marbaix, chargé de recherche, Université catholique de Louvain
  • Solange Martin, sociologue, ADEME
  • Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement
  • Jacques Treiner, physicien

[1] Naomi Oreskes et Erik M. Conway, Merchants of Doubt: How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Global Warming, Bloomsbury Press, 2010

[2] Étude ADEME « Les représentations sociales de l’effet de serre et du réchauffement climatique », octobre 2016