Le décompte des décès attribuables au virus dépend de bien des paramètres qui diffèrent d'un pays à l'autre : cause de décès renseignée sur la base d'une simple présomption ou d'un test antérieur, inclusion ou pas des morts en institutions, variabilité de l'enjeu des morts à domicile... les modalités de suivi de la mortalité liée au virus, ou même l'aptitude à procéder à cet exercice peuvent varier considérablement selon les pays, en particulier selon la solidité des systèmes sanitaires, sociaux et statistiques, et le degré de transparence politique. Mais compter les décès dans leur globalité est moins difficile, et beaucoup de pays le font depuis longtemps, ce qui permet des comparaisons précises dans le temps et entre pays.
Une méthode intéressante pour mesurer l'impact de la pandémie sur la mortalité, déjà empruntée par divers travaux de recherche et à laquelle France Stratégie a recouru, consiste donc à comparer la surmortalité entre pays. La surmortalité est la différence relative entre le nombre de morts estimé et le nombre de morts attendu. Pour chaque pays, le nombre de morts auquel on pouvait s'attendre hors Covid est une projection à partir des statistiques des quatre années précédentes. En effet, d'une année sur l'autre, la mortalité évolue en fonction notamment de la pyramide des âges ou encore de phénomènes irréguliers, comme la virulence de la grippe saisonnière ou une canicule. Le chiffre retenu est l'extrapolation linéaire des données des quatre « années » précédentes (années non civiles mais en glissement, de mars à février).
Le nombre de morts estimé est fondé sur les données publiées par chaque pays (mortalité constatée), complétées d'une estimation sur quelques semaines de 2021, à partir, d'une part de la trajectoire des bilans de décès « identifiés Covid » durant cette courte période et, d'autre part, des écarts moyens observés jusque-là entre ces bilans et l'excédent de mortalité.
Sur les 71 pays étudiés, il y a eu, de mars 2020 à février 2021, environ 1,8 million de morts identifiés Covid (source OMS, institution onusienne agrégeant les bilans nationaux) alors que, par rapport aux années précédentes, dans les mêmes pays, on constate environ 3,3 millions de morts en plus. Ce second chiffre est supérieur de 80 % au bilan consolidé de l'OMS, ce qui laisse présager une sous-évaluation significative du bilan mondial de la pandémie.
A cette aune, la France apparaît avoir subi une surmortalité significativement moindre que la moyenne européenne ; la surmortalité n'a été significativement plus basse qu'en Allemagne (moins de 9%), dans quelques pays nordiques et la région gréco-chypriote. Les autres pays d'Europe du Sud, ceux de l'est du continent, le Royaume-Uni ou même le Benelux, la Suisse et la Suède, ont été plus touchés. La surmortalité paraît avoir atteint des niveaux de l'ordre de 25 % en Espagne et en Italie, et de plus de 20 % au Royaume-Uni.
L'Europe serait elle-même moins durement touchée que la moyenne des pays étudiés (qui représentent ensemble plus de 70 % des décès mondiaux identifiés Covid au 28 février 2021). Elle se situe certes loin derrière l'Extrême-Orient et la zone Pacifique où les données disponibles n'indiquent généralement aucune surmortalité, ce qui vient confirmer une idée déjà assez répandue. Le taux de surmortalité frôle en revanche les 25 % aux Etats-Unis.
Ce positionnement meilleur qu'attendu de la France s'explique par le fait que son bilan des décès identifiés Covid apparaît très proche de l'excédent de mortalité ; il lui serait même très légèrement supérieur. Parmi les pays significativement touchés par la pandémie, seuls Israël, le Chili, et le Luxembourg enregistrent un excédent de mortalité plus significativement inférieur à leur bilan. L'écart constaté en Belgique est également voisin du niveau français. Dans les autres pays significativement touchés, l'excédent de mortalité est (souvent nettement) supérieur au bilan national.
Les écarts constatés entre bilans officiels et excédents de mortalité peuvent s'expliquer par les difficultés de décompte des « morts Covid » déjà évoquées, ou par des choix politiques délibérés, mais aussi par des écarts conceptuels entre les deux notions. En effet, la surmortalité intègre aussi les éventuelles pertes de chance pour d'autres malades, et des effets indirects de réduction d'autres causes de mortalité (limitation des accidents par les confinements, limitation d'autres pathologies par les gestes barrières, effets de substitution au titre des comorbidités...).
L'évaluation de la surmortalité peut aussi varier selon le point de comparaison retenu : moyennes 2016-2019 pour Eurostat, année 2019 pour l'Insee, l'INED procédant en complément à un chiffrage spécifique de l'effet du vieillissement (en l'absence de gains d'espérance de vie).
Le billet expose de façon plus détaillée les résultats et les questions de méthodologie sous-jacentes. Les enjeux associés à la mesure de la surmortalité peuvent concerner, à court terme, la structuration du débat public (lorsque celui-ci recourt légitimement à de nombreuses comparaisons internationales), mais aussi, de façon plus générale, la gestion internationale des pandémies.