Fin 2015, France Stratégie, en partenariat avec l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et INRIA, l’institut national de recherche dédié au numérique, a initié le séminaire « Mutations sociales, mutations technologiques ». Au fil des quatorze rencontres, les intervenants ont passé en revue les changements profonds qui traversent notre société, en mettant en lumière les enjeux comme les écueils éventuels.
Le big data et les technologies liées à l’intelligence artificielle ont largement transformé notre quotidien ces dernières années. Nul doute qu’ils continueront de le faire, avec des machines qui, de deep learning en apprentissage non supervisé, seront de plus en plus capables d’initiative. Par ailleurs, les quantités formidables de données disponibles ont déjà apporté la preuve de leur potentiel à créer de la valeur : les équilibres économiques s’en trouvent chamboulés, avec notamment l’émergence de plateformes comme Google, Amazon ou Uber, qui tirent leur richesse de la taille de leurs réseaux d’utilisateurs et qui s’arrogent des situations de quasi-monopole. Pour certains intervenants, les transformations à l’œuvre sont comparables à une révolution industrielle. Avec une double dynamique : les nouvelles technologies font évoluer les modes de vie et les attentes des consommateurs, qui en se renouvelant suscitent à leur tour l’innovation et incitent les entreprises à adapter leur mode de fonctionnement.
Le marché du travail focalise une grande partie du débat : le développement de l’intelligence artificielle pose la question de la transformation des métiers et de la complémentarité entre l’homme et la machine. Dans ce contexte, l’adaptation des compétences via les formations initiales et continues s’impose comme un sujet crucial. Les plateformes favorisent aussi la diffusion de nouvelles façons de travailler, où la frontière entre amateurs et professionnels devient plus poreuse. Le recul du salariat traditionnel au profit de formes d’emploi atypique – marquées par la faiblesse de mouvements sociaux structurés – pourrait à terme remettre en cause notre modèle de protection sociale.
Si l’essor des plateformes suscite quelques appréhensions, les attentes de leurs utilisateurs n’en sont pas moins fortes. Les usages sont intenses, allant parfois jusqu’à l’addiction : 53 % des utilisateurs anglais de téléphone mobile vivent dans l’angoisse de la déconnexion. Mais les impacts variant avec les technologies, les usages et les personnes, il est trop tôt pour juger de l’effet global de ces technologies : par exemple, si nous perdons en mémoire déclarative, il semble que nous gagnions en attention visuelle sélective et en mémoire transactive.
La confiance devient un élément clé de notre relation aux technologies numériques. Confiance dans les objets connectés qui vont peupler notre quotidien, confiance dans les plateformes ou encore dans des réseaux sociaux de plus en plus mobilisés comme canaux d’information. Paradoxalement cette confiance devient centrale alors même que nous échappent toute compréhension et toute maîtrise des algorithmes qui orientent de plus en plus nos choix. Cette absence de contrôle, de même que les questionnements sur la propriété des données, la transparence ou encore la cybersécurité ont été un leitmotiv du séminaire, quel que soit le thème abordé.
Les pouvoirs publics ont eux aussi compris l’intérêt qu’ils avaient à mobiliser le numérique. Mais si les nouveaux outils peuvent améliorer et simplifier les services publics, ils ne sauraient constituer une réponse suffisante à la « fatigue démocratique » qui frappe les institutions et les modes de participation traditionnels. Ils peuvent au contraire entraîner l’exclusion de publics qui cumulent précarités sociale et numérique.
Les pouvoirs publics doivent aussi se saisir de la question de la régulation. Ne rien faire, c’est courir le risque d’une instrumentalisation des données, voire d’une prise de contrôle par une entreprise ou un État. Il faut donc assurer la transparence des données collectées et des algorithmes utilisés, afin de garder la main en amont sur le degré d’autonomie et sur les capacités décisionnelles de nos objets connectés et autres robots.
Enfin, les participants se sont mis d’accord pour relever un besoin criant d’éducation et d’acculturation de la population aux outils numériques et aux mécanismes sous-jacents.