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Interventions média
Publié le
Mercredi 18 Mai 2016
Jean Pisani-Ferry présentait cette semaine à l'Obs le projet de France Stratégie "2017/2027". Une interview de Sophie Fay.
L'Obs

En vous appuyant sur le contenu de votre audit du pays dans la perspective de la décennie à venir, pourriez-vous dire, vous aussi que la « France va mieux » ?

Notre travail d’analyse et de prospective (1) vise en effet à établir un diagnostic objectif, non-partisan, et à fournir des matériaux pour un débat de qualité, à la mesure des défis qui se posent au pays. Espérons que cela nous aidera à trouver les antidotes au Trumpisme qui nous menace.

Sur le “mieux”, tenons-nous donc en aux faits. Que constatons-nous ? Après le choc de 2009, la croissance a redémarré en France comme dans l’ensemble de la zone euro, puis elle s’est sérieusement tassée début 2011. Jusqu’à l’été 2015, elle est restée autour de 0,8% par an. Aujourd’hui, elle atteint 1,6%, le double. Sur l’emploi, la tendance est assez voisine : nous étions environ à 100 000 emplois de moins par an début 2013, maintenant nous sommes autour de 100 000 créations d’emplois par an.

Donc, objectivement, ça va mieux. Ce qui ne veut pas dire que ça va bien. D’abord parce que notre revenu par tête est au même niveau qu’en 2007 et qu’une décennie perdue, ce n’était pas arrivé depuis l’après-guerre ou, auparavant, les années 30. Cela explique l’extrême insatisfaction des Français. Ensuite parce que l’amélioration doit beaucoup à la baisse du prix du pétrole, à celle des taux d’intérêt et à la dépréciation de l’euro. Ce sont des facteurs temporaires, pas structurels. Enfin, parce que nous faisons nettement moins bien que les Britanniques ou les Suédois. Donc « ça va mieux », mais la France peut mieux faire encore.

N’y a-t-il pas en France, comme aux Etats-Unis, une sorte de polarisation, avec des gagnants peu touchés par la crise et beaucoup de perdants qui n’en sortent pas vraiment ?

La France n’échappe pas à la montée des inégalités, mais dans une bien moindre mesure qu’aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, la classe moyenne ne compte plus qu’un Américain sur deux, alors qu’elle englobe encore plus des deux tiers des Français (2). Cela dit, si nous avons contenu les inégalités monétaires à coup de prestations et de fiscalité, si nos amortisseurs sociaux fonctionnent, il reste que l’économie d’aujourd’hui valorise davantage le capital humain et les talents individuels. Et nous souffrons de fortes inégalités d’accès, qui concernent l’éducation, l’emploi, même le logement. L’école corrige moins bien les inégalités d’origine sociale que dans d’autres pays.

Nous connaissons aussi de graves phénomènes de discrimination. À qualification égale, une femme originaire du continent africain a huit fois moins de chance de faire partie des 10% de salariés les mieux payés. Le système de redistribution joue son rôle, mais les inégalités primaires sont bien là. Or il faut savoir que les discriminations ont non seulement un coût social, mais un coût économique. Aux Etats-Unis, leur réduction depuis les années soixante a représenté un sixième de la croissance. C’est énorme.

Les inégalités en France ne se creusent-elles pas surtout entre générations ?

La précarité et les risques qu’elle induit frappent les jeunes. Du coup, ils sont plus vulnérables à la pauvreté, alors que le niveau de vie des seniors s’est amélioré. C’est en partie compensé par les transferts à l’intérieur des familles, mais avec un effet pervers : cela renforce les inégalités sociales. De manière plus générale, il faut nous interroger sur notre politique des âges. L’Allemagne n’a pas fait le même choix que la France dans ce domaine: elle a beaucoup freiné les dépenses vieillesse (en reculant l’âge de la retraite ou en réduisant les pensions) et elle a investi dans l’éducation. Entre 2000 et 2013, les dépenses individuelles de vieillesse sont restées stables en Allemagne alors qu’elles ont augmenté d’un tiers en France. Les dépenses d’éducation, elles, ont augmenté plus que chez nous.

En matière de rattrapage de compétitivité des entreprises, votre étude montre que le chemin semble avoir été accompli…

Après la présidentielle de 2012, la question s’est imposée comme une priorité de premier rang. La situation était alarmante, et on y a consacré des moyens importants. Depuis 1999, l’écart France –Allemagne d’évolution du coût salarial unitaire était monté à 17%, il est revenu à 7%, en partie grâce aux hausses de salaires en Allemagne, en partie grâce au CICE et au Pacte de responsabilité. Ceci dit, d’autres pays de la zone euro comme l’Espagne ou l’Irlande ont fait encore plus d’efforts que nous, à coup de mesures socialement très dures. Et surtout, la baisse du coût unitaire du travail s’est faite en France par des moyens fiscaux, en mobilisant la ressource publique. Les évolutions de salaires se sont montrées peu sensibles au ralentissement de la productivité et à la hausse du chômage.

[...] lire la suite de l'interview sur le site de l'Obs

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