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Point de vue
Publié le
Vendredi 17 Février 2017
Créé en 2011 à l’initiative de Barack Obama et Dilma Rousseff, le Partenariat pour un gouvernement ouvert (OGP) rassemble des chefs d’État et de gouvernement, ainsi que les représentants de la société civile de 75 pays[1]. L’OGP s’attache à promouvoir la transparence et l’intégrité de l’action publique ainsi que son ouverture à de nouvelles formes de participation des citoyens, notamment via l’utilisation des nouvelles technologies.
Le gouvernement ouvert, une réponse aux dérives de la démocratie ?

La France co-préside l’OGP depuis octobre 2016 pour un an aux côtés de l’ONG World Resources Institute. À ce titre, elle a accueilli le 4e Sommet mondial du Partenariat qui s’est déroulé du 7 au 9 décembre 2016 à Paris, lors duquel France Stratégie a animé une table ronde « Le numérique peut-il renouveler la démocratie européenne ? »[1].

Le gouvernement ouvert concrètement

Les initiatives relevant du gouvernement ouvert visent :

  • l’amélioration de l’accès à l’information relative aux gouvernements et aux administrations ;
  • la participation des citoyens à l’élaboration et à l’évaluation des politiques publiques ;
  • l’intégrité de l’action publique et des agents publics ;
  • l’utilisation des nouvelles technologies en faveur de l’ouverture et de la redevabilité.

En accord avec ces principes, l’OGP promeut l’open data, c’est-à-dire la publication de données détenues par la puissance publique dans des formats ouverts et réutilisables. En Uruguay, par exemple, la publication sur le site « ATuServicio.uy » de certaines données relatives aux services de santé, comme le temps d’attente, la satisfaction des usagers ou le prix des soins, a permis d’améliorer ces services et d’en faciliter l’accès aux usagers. Entre février et mars 2015, plus de 34 000 accès aux données ont été comptabilisés, sur une population de 3,5  millions de personnes.

Le partenariat soutient également la numérisation des services publics comme vecteur de la transparence et de l’efficacité de l’action publique, comme en Croatie où tout un environnement numérique a été créé afin de faciliter les démarches administratives des citoyens et de leur permettre aussi de prendre part à l’élaboration des politiques publiques. Une quarantaine de e-services sont aujourd’hui accessibles sur la plateforme « eGradjani » (eCitoyen), réunissant plus de 350 000 visiteurs uniques qui ont généré plus de 8 millions de demandes entre juin 2014 et janvier 2017[2].

La dimension participative est une dimension forte des projets soutenus par le partenariat. Ainsi, le Danemark a été récompensé pour la mise en place de « conseils de citoyens seniors »[3] pour qu’ils participent à l’élaboration des politiques publiques locales. Aux Pays-Bas, les citoyens de la municipalité de Tilburg ont été mis à contribution pour l’évaluation de la valeur de leur bien immobilier sur laquelle est basée la taxe foncière, ce qui a permis de diminuer le nombre de recours, de libérer du temps de travail pour les agents publics, mais aussi d’accroître la compréhension des citoyens et la confiance qu’ils ont dans le service public.

Le gouvernement ouvert comme réponse aux discours populistes

Lors de la cérémonie d’ouverture du sommet de l’OGP, à Paris en décembre, de nombreux intervenants ont rappelé les dangers qui pèsent sur les démocraties dans le monde, notamment la montée du populisme et la menace terroriste, et les réponses que peut apporter le gouvernement ouvert : face à ces défis, les démocraties ne doivent pas se replier sur elles-mêmes mais au contraire s’ouvrir. L’enjeu de l’OGP apparaît alors d’autant plus grand pour reprendre du terrain face à la défiance des citoyens envers les responsables politiques. Ainsi les différentes interventions ont souligné l’intérêt des dispositifs de transparence et d’évaluation, ou encore de consultation et d’implication des citoyens dans la conception et la réalisation des politiques publiques, pour recréer de la confiance et de l’intérêt pour la vie politique.

Les participants au Sommet ont exhorté les États membres à aller plus loin dans l’élaboration et la mise en œuvre d’actions en faveur d’un gouvernement ouvert. L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a mis en lumière la nécessité de passer d’une démarche de gouvernement ouvert (Open government) à une approche d’État ouvert (Open State). Cette conception signifie que les mesures d’ouverture, de transparence et d’intégrité de l’action publique concernent non seulement les institutions détenant le pouvoir exécutif mais également celles relevant du pouvoir législatif et de l’autorité judiciaire. Une telle démarche inclut également les collectivités territoriales et implique plus largement tous les agents publics de l’État.

Les conditions du succès

Pour convaincre les citoyens que leur implication n’est pas vaine et ainsi assurer la pérennité des initiatives, les États sont incités à avoir une approche globale du gouvernement ouvert, qui s’articule avec le fonctionnement classique des institutions. L’ouverture de l’action publique aux citoyens ne suffira pas à attirer leur participation, ni à regagner leur confiance. Il est nécessaire que les autorités publiques s’engagent ou soient contraintes de prendre en considération ce qui ressort de cette expression citoyenne pour éviter la déception de démarches de consultation qui apparaîtraient comme des opérations de communication, d’« openwashing ». Des résultats concrets doivent en ressortir, qui pourraient par exemple faire l’objet d’une évaluation pour valoriser leur apport dans la réalisation des politiques publiques.

Une fois les termes de la coopération clairement posés, la mobilisation citoyenne est encore loin d’être garantie. Sur ce point il est d’ailleurs utile de définir des objectifs, qui peuvent être propres à chaque démarche : souhaite-t-on mobiliser largement, atteindre une participation représentative de la population française, mobiliser les principaux concernés ou des experts ? Selon l’objectif recherché, des dispositifs plus ou moins inclusifs peuvent être mis en place, de la plateforme de consultation en ligne aux panels de citoyens. On peut également chercher à accompagner, à susciter la participation citoyenne par des partenariats avec des acteurs publics ou privés adéquats (ex : partenariat France Stratégie/Skyrock pour le projet « quelle France dans dix ans ? »). Les objectifs doivent être clairement affichés et les moyens nécessaires pour les atteindre mis en œuvre, au risque, encore une fois, de faire passer les initiatives de consultation pour des coups de communication qui ne servent in fine qu’à l’expression des mêmes élites.

Enfin le portage de ces initiatives est un enjeu pour leur pérennité. Même si une articulation avec les pouvoirs publics est inévitable pour qu’elles aient un réel impact, les initiatives citoyennes indépendantes ou privées sont des signes de renouveau de la vie démocratique et peuvent être mieux perçues par les citoyens et donc susciter davantage de participation. Là aussi un choix peut être fait au cas par cas : des projets menés directement par les acteurs publics ou laissés à la charge d’acteurs extérieurs en s’assurant d’une interface avec les pouvoirs publics. Par exemple, les pétitions en ligne pourraient être laissées à la main d’acteurs privés, tout en leur offrant une légitimité par l’intermédiaire du Conseil économique, social et environnemental (CESE), seule institution de la République qui puisse être saisie par la voie d’une pétition citoyenne. Aujourd’hui, les conditions de recevabilité d’une pétition ne sont pas adaptées aux pétitions en ligne, elles demandent en particulier qu’elle soit « établie par écrit ce qui exclut tout recours à une gestion électronique des signatures »[4]. Le CESE a d’ailleurs lancé une mission temporaire consacrée à « l’action du CESE en faveur de la participation citoyenne »[5].

Une réponse qui arrive peut-être trop tard

Néanmoins, dans un contexte de développement des discours de « post vérité » et de diffusion d’informations fausses (fake news), il convient de se demander si les mesures de transparence ne pourraient pas se retourner contre les institutions qui mettent en œuvre des actions en ce sens. En effet, la mise en lumière de conflits d’intérêts auparavant moins visibles pourrait accroître la défiance des citoyens envers ces institutions.

De plus, au regard des résultats des élections américaines et des futures élections en Europe, l’avenir de l’OGP est plus que jamais incertain. Les États-Unis avaient donné une forte impulsion au démarrage du projet sous la présidence Obama. Or, l’accession de Donald Trump à la Maison Blanche risque fort de s’accompagner d’un désengagement des États-Unis vis-à-vis de cette organisation. Samantha Power, désormais ex-ambassadrice des États-Unis à l’ONU, s’est voulue rassurante lors de son intervention à la cérémonie d’ouverture du Sommet : l’engagement des États-Unis continuera par l’intermédiaire des organisations de la société civile et des citoyens américains qui agissent en faveur de l’OGP. Le Partenariat peut également compter sur les États membres et les organisations de la société civile qui contribuent à la vie de l’organisation. Le remplacement  de Samantha Power par Nikid Haley (dont la nomination doit être confirmée par le Congrès) renforce l’incertitude existante sur la position future des États-Unis au sein de l’OGP.

La survie du Partenariat passera par sa capacité à démontrer et à rendre visibles les bénéfices concrets que peuvent retirer les citoyens des politiques publiques en faveur d’un gouvernement ouvert. À cet égard, la question de l’évaluation de telles politiques apparaît primordiale. Or, sur ce sujet, les interventions lors du sommet ont fait ressortir le caractère assez général des recommandations qui ont été formulées par les participants. Des évaluations précises ou des études d’impact des actions en faveur d’un gouvernement ouvert manquent cruellement pour asseoir sa légitimité, au-delà de la pétition de principe des vertus de la transparence et de l’ouverture, ce qu’on appelle parfois « la légitimité par les résultats ». Dans cette perspective, France Stratégie poursuivra ses travaux sur la démocratie numérique en étudiant l’intérêt et l’efficacité de quelques mesures prises dans le cadre de l’open government.


[2] Plus de statistiques sont disponibles sur le portail européen des données : https://www.europeandataportal.eu/data/fr/dataset/e-gradjani-statistika

Auteurs

Julia Charrié
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Libre
Julia
Charrié
Anciens auteurs de France Stratégie
Lucien Dornier