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Point de vue
Publié le
Vendredi 20 Avril 2018
Depuis trente ans, le travail a été profondément transformé. Et la technologie n’est pas seule en cause. La globalisation, la concurrence internationale, la tertiarisation de l’économie, la féminisation de l’emploi et l’élévation du niveau de qualification de la population ont aussi joué un rôle dans ces évolutions qui posent aujourd’hui un défi au système de protection sociale hérité de l’après-guerre. Si le temps long permet de mieux rendre compte des mutations du travail, il permet également de mesurer l’inertie et la lenteur des transformations.
Transformation ou révolution du travail ?

Le CDI à temps plein : toujours la norme ?

Au fil des générations, les parcours professionnels ont été de plus en plus jalonnés d’épisodes de chômage, de changements de carrière, de statut et de modularités – subies ou choisies – des temps de travail.

La cause réside, certes, dans l’atonie de la croissance économique, mais aussi dans le développement des statuts d’emploi alternatifs au CDI à temps plein (CDD, intérim, indépendants, temps partiels) que la législation a pu accompagner. Ces statuts restent encore loin derrière le CDI qui concerne toujours près de deux tiers des actifs en 2016 (graphique 1).

Graphique 1 – Part des statuts d'emploi à temps plein et à temps partiel dans la population active selon le sexe en 2016 (hors secteur public ; en %)

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Champ : France métropolitaine, population des ménages, personnes actives (hors secteur public) de 15 ans ou plus (âge au dernier jour de la semaine de référence).
Source : France Stratégie, sur la base de l'enquête Emploi 2016 de l'Insee.

Un actif sur dix est aujourd’hui en CDD ou en intérim, soit le double d’il y a trente ans. Les contrats temporaires restent néanmoins concentrés sur les jeunes et les peu qualifiés, et leur part dans l’emploi est relativement stable depuis quinze ans.

Les actifs – ou plutôt les actives – en emploi sont également plus souvent à temps partiel : les femmes travaillent presque autant que les hommes, mais elles sont beaucoup moins à temps complet, traduisant une segmentation de genre qui reste forte sur le marché du travail et une conciliation vie familiale-vie professionnelle encore fréquemment à la charge des femmes.

Autre facette des transformations du travail, le regain, depuis 2005, du travail indépendant précède, de fait, la vague récente d’ubérisation. Il fait suite à un déclin continu depuis trente ans de la part des non-salariés dans l’emploi (passant de 18 % à 12 %), principalement en raison de la chute du nombre d’exploitants agricoles.

Or, aujourd’hui, l’indépendant a changé de nature : il travaille davantage dans les services et en solo, est plus souvent qu’hier graphiste ou imprimeur, journaliste ou peintre, formateur ou kinésithérapeute, artiste ou électricien. Ce renouveau de l’indépendance dans les métiers de services n’est pas récent, mais s’est accéléré au milieu des années 2000 puis consolidé en 2009 avec l’entrée en vigueur du statut d’autoentrepreneur.

Si toutes ces évolutions écornent la norme du CDI à temps plein sur lequel notre protection des actifs a été construite, sa prédominance n’en est pas pour autant remise en cause et ne devrait pas l’être dans l’avenir.

La crainte d’une intermittence généralisée des parcours ou de la fin du salariat, remplacé par une armée de micro-entrepreneurs, n’est pas validée par les faits et la relative lenteur des évolutions : ni la part des contrats temporaires, ni celle de l’emploi non-salarié ne sont appelées à croître mécaniquement. À cadre législatif constant, France Stratégie estime qu’ils pourraient représenter a maxima un peu plus d’un quart de l’emploi, contre 22 % aujourd’hui. Le développement des plates-formes dites d’emploi reste un phénomène numériquement marginal et très urbain. Par ailleurs, si la frontière entre salariat et non-salariat se brouille, le développement de statuts hybrides (portage salarial, coopératives d’activité et d’emploi et groupements d’employeurs) « déjà relativement anciens, ne laisse pas envisager le franchissement symbolique du seuil de 100 000 emplois » [1] (alors que 25 millions de personnes sont en emploi, dont 18 millions sont salariés du secteur privé et 5 millions agents publics).

Le travail face au changement technologique

Le travail se transforme, non seulement dans ses formes, mais aussi dans son contenu et dans son organisation, du fait des changements technologiques – numériques en particulier. D’un côté, la révolution numérique est porteuse de nouvelles opportunités d’emplois moins pénibles et moins répétitifs, d’une promesse d’autonomie et d’un accès facilité à la mise à niveau des compétences. D’un autre côté, la digitalisation est aussi synonyme de destruction d’emplois, d’une obsolescence accélérée des compétences, de nouveaux risques de santé liés à l’hyper-connectivité et à l’interpénétration des espaces professionnels et personnels. Pour minimiser ces risques et sécuriser les parcours, il est nécessaire de mesurer l’ampleur de la transformation attendue, en particulier des évolutions des métiers.

Les métiers ne vont pas disparaître, mais une partie de leurs tâches sera automatisée à des horizons divers selon les activités et les entreprises. Seuls 9 % des emplois en France – entre 6 % et 12 % dans les grandes économies développées – sont susceptibles d’être totalement remplacés par des machines (graphique 2). Mais 20 % d’entre eux seront confrontés à une évolution sensible des tâches, modifiant le contenu des métiers. La question de l’adaptation des compétences tout au long de la vie devient dès lors centrale pour permettre aux actifs de saisir toutes les nouvelles opportunités et éviter le risque d’être « déclassé ».

Graphique 2 – Pourcentage de travailleurs occupant un emploi à risque élevé d'automatisation

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Source : Arntz, M., T. Gregory et U. Zierahn (2016), « The Risk of Automation for Jobs in OECD Countries: A Comparative Analysis », Documents de travail de l'OCDE sur les affaires sociales, l'emploi et les migrations, n° 189, Éditions OCDE, Paris.

Alors que les droits sociaux dépendent encore très largement du statut, du temps de travail et de la durée dans l’emploi, toutes ces évolutions imposent de répondre à de nouveaux besoins de protection, de « décorréler » les droits acquis au travail des statuts et des entreprises, et de mettre l’accent sur la formation des adultes. Les réformes engagées autour d’une plus grande universalisation des droits sociaux (extension de l’assurance chômage) et de leur individualisation (compte personnel d’activité) vont dans ce sens.


[1] Conseil national de l’information statistique (2016), « La diversité des formes d’emploi », Rapport du groupe de travail présidé par Bernard Gazier, n° 142, juillet, p. 62.

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Auteurs

Jean Flamand
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Travail, emploi, compétences
Cécile Jolly - Equipe
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Travail, emploi, compétences

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