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Point de vue
Publié le
Jeudi 01 Juillet 2021
Les dispositifs de soutien aux entreprises depuis le début de la pandémie de Covid-19 se sont traduits par une baisse spectaculaire des procédures de défaillance d’entreprise depuis mars 2020, en dépit des restrictions d’activités. Doit-on s’attendre à un mur de faillites au moment de la reprise ? Les tribunaux de commerce pourront-ils faire face à un afflux de cas ? La question de l’engorgement des tribunaux de commerce peut paraître secondaire, mais s’il aboutit à une dégradation de l’efficacité du processus de restructuration, des entreprises solvables risquent d’être liquidées alors que d’autres vouées à l’échec seraient maintenues artificiellement en vie.
Point de vue Tribunal de commerce

Télécharger le Point de vue - Les tribunaux de commerce pourront-ils faire face
au rebond des faillites suite à la crise ?

Ce point de vue reprend les résultats d’un travail effectué à France Stratégie pour nourrir le rapport de la mission « Rebond économique des territoires » confiée au député Jean-Noël Barrot.

En l’état actuel de nos connaissances, plusieurs facteurs incitent à l’optimisme à la fois concernant la reprise des faillites (un « mur » de faillites est peu probable) et la capacité des professionnels de la liquidation et restructuration des entreprises – juges et greffes des tribunaux de commerce, administrateurs et mandataires judiciaires – à faire face à une reprise inéluctable des faillites.

Les restrictions d’activités mises en place depuis mars 2020 se sont traduites par des baisses d’activité importantes au niveau de l’ensemble de l’économie, et plus spécifiquement dans certains secteurs comme celui de l’hôtellerie-restauration. Les revenus des entreprises en ont souffert. Dans le même temps, des dispositifs universels et ciblés ont été mis en place pour soutenir les entreprises. Le résultat est que contrairement à ce que l’on aurait pu attendre[1], le nombre d’entreprises initiant une procédure de défaillance auprès des tribunaux de commerce depuis mars 2020 est extrêmement faible comparé aux mois ayant précédé la pandémie de Covid-19 (graphique 1). Ceci est vrai sur l’ensemble du territoire (carte 1). Même si les comparaisons internationales en matière de faillites sont rendues difficiles par la variété des définitions de ce qui constitue une faillite, il apparaît que la baisse des défaillances d’entreprises enregistrées en France en 2020 (par rapport à l’année 2019) a été parmi les plus importantes, avec l’Australie et le Royaume-Uni (graphique 2).

Si cela peut paraître une bonne chose – car des faillites ont été évitées – cela fait craindre un rebond des défaillances d’entreprises au moment où l’activité économique reprendra et où les aides publiques s’arrêteront. D’une part parce que les entreprises déjà fragiles avant la pandémie risquent d’entamer une procédure de faillite que les aides versées et les liquidités accordées depuis mars 2020 ont retardé. D’autre part, parce que le bilan des entreprises et leur productivité ont été affectés par les mois de pandémie, fragilisant certaines d’entre elles au point de les amener à la faillite.

De nombreuses questions se posent aujourd’hui sur la situation financière des entreprises et les conséquences probables sur l’ensemble de l’économie. Plusieurs questions ont été traitées dans des publications récentes. Par exemple, Doucinet et al. (2021) évaluent que 6 % des entreprises pourraient se trouver dans une situation difficile avec le retrait des mesures de soutien. Gourinchas et al. (2021) évaluent l’impact du surcroît de dette sur le bilan des banques et le coût pour les finances publiques de la garantie accordée sur des prêts. Hadjibeyli et al. (2021) mesurent pour la France l’impact sur l’illiquidité et l’insolvabilité des entreprises de la crise Covid et du soutien public ainsi que les effets à attendre du surcroît d’endettement sur l’investissement des entreprises tout comme Demmou et al. (2020) le mesurent sur un panel d’entreprises des pays de l’OCDE.

Graphique 1.

Somme cumulée du nombre d’ouvertures de procédures collectives (redressements et liquidations judiciaires)

dans les tribunaux de commerce (2008-2021)

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billet_tribunal_de_commerce_-_graphique_1.png, par spaupardin

Champ : ouvertures de procédures de redressement et de liquidation judiciaire dans les tribunaux de commerce (les conversions de redressement en liquidation ne sont pas comptées comme de nouvelles procédures).

Lecture : la somme cumulée des défaillances jusqu'à la semaine 19 était de 7 775 en 2021 contre 9 690 en 2020 et 14 639 en 2019.

Source : BODACC jusqu’au 6 juin 2021, calculs des auteurs

 

Carte 1.
La baisse des cas de faillites depuis mars 2020 se retrouve sur tout le territoire métropolitain
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billet_tribunal_de_commerce_-_carte_1.png, par spaupardin

Lecture : les deux tribunaux de commerce de Corse ont enregistré une baisse d’au moins 45 % des cas de faillite entre la période mars 2019-février 2020 et la période mars 2020-février 2021.Note : le champ est celui des seuls tribunaux de commerce. La justice commerciale dans les départements d’Alsace et de Moselle et dans les départements d’Outre-mer est rendue par des tribunaux judiciaires ; en conséquence, les chiffres pour ces départements ne sont pas reproduits ici.

Source : BODACC, calculs des auteurs

Graphique 2.

Écarts en % des défaillances d’entreprises entre 2020 et 2019

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billet_tribunal_de_commerce_-_graphique_2.png, par spaupardin

Source : Timely Indicators of Entrepreneurship database OCDE, calculs des auteurs

 

1. Un « mur » de faillites est peu probable

Alors qu’en 2019 un peu moins de 39 000 entreprises avaient entamé une procédure de faillite en France auprès d’un tribunal de commerce, très peu d’entreprises ont fait faillite en 2020 (environ 25 000) et au cours du premier trimestre de 2021 (5 000 environ). La crainte est désormais que les faillites qui n’ont pas eu lieu depuis mars 2020 arrivent devant les tribunaux dans les prochains semestres[2]. À cela s’ajoutera inévitablement les faillites directement liées à la pandémie, c’est-à-dire celles liées à l’augmentation de l’endettement des entreprises et à la baisse de la productivité.

L’incertitude qui entoure la situation actuelle rend les prévisions impossibles, ne serait-ce que parce que le nombre de faillites à attendre dans les 18 mois à venir dépendra de la force de la reprise économique à l’issue de la levée des restrictions, d’un éventuel quatrième confinement et des mesures destinées à soutenir les entreprises les plus affectées. Comme le montrent Gourinchas et al. (2021), un retrait trop rapide des mesures de soutien ou un resserrement de la politique monétaire contribueraient à précipiter les faillites d’entreprises. Sans vouloir se livrer à l’impossible exercice de prévision, il est possible d’établir des ordres de grandeur. C’est ce que nous proposons ici.

Les chiffres tirés du bulletin des annonces civiles et commerciales (BODACC) montrent un déficit d’environ 21 000 faillites au cours des 16 mois allant de mars 2020 à juin 2021. Cela signifie que sur ces 16 mois, dans une situation sans pandémie, il y aurait eu 21 000 faillites de plus que celles qui ont été observées. Un report intégral de ces faillites « manquantes » au second semestre 2021 serait de nature à engorger les tribunaux de commerce. Mais un report intégral et immédiat est peu probable. Le report des faillites manquantes ne sera pas intégral car, pour au moins une partie des entreprises en situation de faiblesse avant la pandémie, l’accès facilité à la liquidité aura permis de sortir de difficultés de financement qui n’étaient que passagères. Le report ne sera par ailleurs pas immédiat mais s’étalera dans le temps, car les entreprises pour lesquelles l’accès à la liquidité ne suffit pas à sortir durablement des difficultés survivront néanmoins quelques trimestres ou années supplémentaires. Ainsi, les faillites « manquantes » de 2020-2021, si elles doivent arriver, s’échelonneront sur plusieurs semestres.

À l’aide d’un modèle statistique simple repris de Cros et al. (2021)[3] (voir encadré) nous évaluons que la dégradation du bilan et de la productivité des entreprises à la fin du premier semestre 2021 pourrait conduire à une hausse des faillites de l’ordre de 15 % (c’est-à-dire environ 6 000 faillites) par rapport à une année « normale », dans le cas où les déterminants de la faillite seraient identiques à ceux des années passées. Cette évaluation de surcroît lié à la pandémie est très incertaine, car elle se fonde sur un modèle statistique de prédiction de la défaillance estimé sur des données pré-pandémie. Le lien estimé entre l’endettement d’une entreprise et sa probabilité de faire faillite peut être affaibli dans la période post-pandémie. En 2019, un niveau d’endettement élevé pouvait être le résultat de difficultés structurelles de l’entreprise. À la fin 2020 au contraire, un endettement élevé peut simplement résulter du choc Covid subi par l’entreprise et ne pas être un révélateur de difficultés structurelles de l’entreprise. Dans le cas d’un affaiblissement du lien entre endettement et probabilité de faillite, notre évaluation d’un surcroît de 6 000 faillites supplémentaires surestime probablement le nombre de faillites directement liées à la pandémie.

2. Les tribunaux de commerce et les professionnels de la liquidation et la restructuration des entreprises seraient en mesure de traiter une reprise des défaillances d’entreprises après le creux observé depuis mars 2020

En prenant en compte à la fois le report des faillites manquantes de mars 2020 à juin 2021 et le surcroît de faillites directement liées à la dégradation du bilan et de la productivité des entreprises du fait de la pandémie, 27 000 défaillances seraient en suspens. Si ces défaillances se présentaient toutes au second semestre de 2021 en plus des 20 000 défaillances attendues normalement chaque semestre, les tribunaux de commerce seraient probablement débordés. Cela reviendrait à devoir traiter en un semestre davantage de cas qu’en une année normale.

Des tribunaux de commerce débordés peuvent nuire à la qualité des décisions prises. Il n’y a pas, à notre connaissance, d’études empiriques sur le lien entre le devenir des entreprises et le nombre de cas traités par les tribunaux de commerce en France. L’identification causale de l’impact de la charge de travail des tribunaux sur la survie des entreprises est compliquée par le fait que ces deux variables sont dépendantes de la situation économique. Iverson (2018) montre qu’aux États-Unis des tribunaux surchargés auraient un « biais à la liquidation » au détriment de la survie des entreprises. Toujours aux États-Unis, Müller (2021) estime que la surcharge de travail des juges dans les tribunaux aboutit à une augmentation du coût du financement pour les entreprises et à une réduction des maturités des emprunts pour l’ensemble des entreprises. Le biais à la liquidation s’expliquerait par la volonté des réduire la charge de travail car, du point de vue du tribunal, aux États-Unis, une entreprise mise en liquidation demande moins de travail qu’une entreprise dont il faut restructurer la dette[4]. Mais on peut imaginer la réaction inverse : en présence d’un afflux soudain de cas, la tentation peut être de repousser la décision irréversible de fermeture de l’entreprise en essayant plutôt de restructurer sa dette. Cet effet a d’autant plus de chance de jouer que la situation économique est incertaine et inédite. Dans un cas comme dans l’autre, la qualité de la justice commerciale est meilleure si les tribunaux – et l’ensemble de l’éco-système de la restructuration/liquidation des entreprises – disposent du temps suffisant pour examiner les cas individuels.

Deux séries de faits peuvent inciter à l’optimisme quant à la capacité des tribunaux de commerce à traiter les cas qui se présenteront. D’une part, par le passé, les tribunaux de commerce ont connu des niveaux d’activité bien supérieurs à ceux des années récentes, sans que l’on décèle alors un changement notable dans les chances de survie des entreprises en faillite. En 2009 par exemple, on comptait près de 48 000 ouvertures de procédures de liquidation ou de redressement, contre 39 000 seulement en 2019. Cela démontre l’existence des marges de manœuvre significatives, d’autant que depuis 2008, le nombre de juges a augmenté dans plusieurs tribunaux de commerce. D’autre part, le faible nombre de procédures initiées en 2020 se traduit aujourd’hui par un faible stock d’affaires en cours, les tribunaux ayant continué de traiter les cas initiés avant la pandémie. Alors qu’à la fin février 2019, environ 10 000 cas de redressement judiciaire attendaient un premier jugement (pour décider si l’entreprise serait cédée, liquidée ou sa dette restructurée), il n’y en avait plus que 5 000 à la fin mars 2021. Par comparaison, à la fin mars 2014, compte tenu des procédures ouvertes fin 2012 et en 2013, il y avait environ 15 000 redressements judiciaires en attente de premier jugement. Dès lors, un étalement sur quelques semestres des 27 000 faillites en suspens serait absorbable.

3. Des tensions possibles dans les tribunaux de commerce ayant un faible nombre de juges par cas

Pour identifier si certains tribunaux de commerce risqueraient de faire face à un trop grand nombre de cas, nous avons simulé pour chaque tribunal le nombre d’ouvertures de procédures de faillite auquel il pourrait faire face pour les trois semestres à venir. Pour ce faire, nous avons ajouté au nombre de faillites enregistrées usuellement le rattrapage des faillites manquantes depuis mars 2020 dans ce tribunal et le surcroît de faillites à attendre du fait de la dégradation des bilans et de la productivité des entreprises de son ressort[5].

Nous comparons alors le nombre de faillites par juge à attendre chaque semestre dans ce tribunal au nombre le plus haut observé depuis 2009. 32 tribunaux de commerce sur 134 connaîtraient dans ce scénario plus de 10 % de cas par juge au-dessus du maximum observé par le passé, dont 16 avec un surcroît de cas supérieur de 20 % ou plus à leur maximum passé. Mais pour la plupart de ces tribunaux, le nombre de cas par juge[6] reste inférieur à 15 cas de liquidation ou redressement judiciaire par semestre (un chiffre élevé mais déjà observé par le passé dans certains tribunaux). Un seul tribunal de commerce se retrouverait dans une situation vraiment tendue si notre scénario se réalisait. Un étalement du rattrapage sur cinq semestres plutôt que trois éliminerait les tensions dans tous les tribunaux.

Graphique 3.

Nombre de cas par juge depuis 2009– moyenne des tribunaux de commerce

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billet_tribunal_de_commerce_-_graphique_3.png, par spaupardin

Lecture : le nombre moyen d’ouvertures de procédures de faillite (redressement judiciaire ou liquidation) dans les tribunaux était un peu inférieur à 14 en 2009 et un peu supérieur à 6 en 2020. Dans le scénario 1 où les faillites « en suspens » s’étaleraient sur trois semestres (à partir du second semestre 2021) il y aurait 15 nouveaux cas par juge en moyenne en 2022, et environ 13 si ces faillites s’étalaient sur quatre semestres (scénario 2).

Source : BODACC, annexe 7.2 du Code de commerce, calculs des auteurs

Conclusion

À l’issue des périodes de confinement et avec la disparition progressive des aides aux entreprises, il est probable que le nombre de faillites augmente significativement par rapport aux niveaux d’avant la pandémie. La plus grande partie de ce surcroît de cas serait due au « rattrapage » des faillites « manquantes » depuis mars 2020. Certes, des entreprises sortiront fragilisées de la crise au point de les conduire devant les tribunaux, mais l’impact de la pandémie proprement dit sur les faillites devrait être contenu, notamment si les mesures de soutien sont maintenues dans les secteurs les plus touchés. Au total, les tribunaux de commerce devraient être bien davantage occupés fin 2021 et en 2022 qu’ils ne l’ont été en 2019. Cependant, un engorgement généralisé des tribunaux de commerce semble peu probable si le surcroît de faillites s’étale sur au moins trois semestres. La situation de chaque tribunal doit être suivie de près et le nombre de juges – décidé par la chancellerie chaque année avec entrée en vigueur au début de chaque année civile – ajusté si besoin. Les interrogations sur la situation des entreprises françaises à l’issue de la pandémie ne se limitent pas bien évidemment au nombre de faillites et à la capacité des tribunaux à y faire face. Sans déclencher leur faillite, la dégradation des bilans des entreprises peut aussi réduire leur capacité d’investissement, ce qui obèrerait aussi les perspectives de rebond à moyen terme de l’économie française.


Bibliographie

Bermant G., Lombard P. A. et Wiggins E. C. (1991). « A day in the life: The federal judicial center’s 1988-1989 bankruptcy court time study », American Bankruptcy Law Journal, n° 65, janvier, p. 491-524.

Cros M., Epaulard A. et Martin P. (2021), « Will Schumpeter catch COVID-19? », COVIDeconomics, vol. 70, n° 25, février.

Cros M., Epaulard A. et Martin P. (2020), « Les défaillances d’entreprises dans la crise Covid-19 : zombification ou mise en hibernation ? », France Stratégie, décembre.

Demmou L., G. Franco, S. Calligaris et Dlugosch D. (2020), « Insolvency and debt overhang following the COVID-19 outbreak: assessment of risks and policy responses », OECD Working Papers, novembre.

Doucinet V., D. Ly et Torre G. (2021), « L’impact différencié de la crise sur la situation financière des entreprises », Bloc-notes Éco, billet n° 219, Banque de France, juin.

Gourinchas P.0., Ş. Kalemli-Özcan, V. Penciakova et Sander N. (2021). « COVID-19 and Small- and Medium-Sized Enterprises: A 2021 “Time Bomb”? », AEA Papers and Proceedings, n° 111, mai, p. 282-286.

Guerini M., L. Nesta, X. Ragot et Schlavo S. (2020), « Dynamique des défaillances d’entreprises en France et crise de la Covid-19 », OFCE Policy Brief, n° 73, juin.

Hadjibeyli B., Roulleau G. et Bauer A. (2021), « L’impact de la pandémie de Covid-19 sur les entreprises françaises », Trésor-Éco, n° 282, Direction générale du Trésor, avril.

Iverson B. C. (2018), « Get in line: Chapter 11 Restructuring in crowded bankruptcy courts », Management Science, vol. 64, n° 11, p. 5370-5394.

Iverson B. C., Ellias J. A. et Roe M. (2020), « Estimating the need for additional bankruptcy judges in light of the COVID-19 pandemic », Harvard Business Law Review, n° 11, juin.

Müller K. (2021), « Busy bankruptcy courts and the cost of credit », Journal of Financial Economics, à paraître.


Encadré – Méthode statistique pour évaluer le nombre de faillites

à attendre après la fin des mesures sanitaires

 

Le modèle économétrique

Le modèle de prédiction de faillites est un modèle Logit[7] estimé sur l’observation du devenir des entreprises en 2019 en fonction de leurs caractéristiques observées en 2017. Il est identique à celui estimé par Cros et al. (2021). La probabilité est évaluée en fonction du ratio d’endettement de l’entreprise défini comme le ratio des dettes (bancaires, fournisseurs et autres) à son actif ; de la productivité apparente du travail dans l’entreprise (milliers d’euros par employé) ; de la taille de l’entreprise (mesurée par ses effectifs – en log). Des effets fixes contrôlent le secteur d’activité de l’entreprise (nomenclature A21), sa classe d’âge et le tribunal de commerce dont elle dépend. Le modèle estimé porte sur les entreprises de 1 à 249 salariés (c’est-à-dire les TPE et les PME) pour l’année 2019. Les résultats de l’estimation sont présentés dans le tableau ci-dessous.

 

Tableau 1. Résultat du modèle Logit de prédiction de faillite d’une entreprise en 2019

 

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billet_tribunal_de_commerce_-_encadre_tableau_1.png, par spaupardin

La prise en compte du choc Covid

Le résultat du modèle économétrique ci-dessus (colonne 2) est appliqué aux mêmes données que celles utilisées pour l’estimation transformées pour tenir compte de deux chocs : un choc de productivité et un choc de dette.

Le choc de productivité est construit au niveau sectoriel à partir de l’enquête ACEMO – COVID de la DARES. Une question (1 – Q15) de cette enquête porte spécifiquement sur la baisse de la productivité – ou la hausse des coûts liés à la pandémie – et les entreprises doivent déclarer si pour elles l’impact est nul, modéré (inférieur à 10 %) ou élevé (supérieur à 10 %). En codant les réponses à cette question pour le mois de février 2021, la perte moyenne de productivité varierait de 2,4 % dans l’industrie pharmaceutique à 8,7 % dans l’hôtellerie-restauration. Nous attribuons aux entreprises la baisse de la productivité du secteur auquel elles appartiennent (niveau A38, qui est celui de l’enquête). Nous considérons cette baisse de productivité comme étant pérenne, alors qu’il est possible que cette baisse soit réduite lorsque les restrictions sanitaires seront levées.

Le choc d’endettement est mesuré à un niveau sectoriel plus fin (A88) et en fonction de la taille de l’entreprise (TPE ou PME) à partir des données sectorielles obtenues auprès du comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l’épidémie de Covid-19. Le surcroît d’endettement pris en compte est celui des prêts garantis par l’État (de mars à décembre 2020) et des reports de cotisations sociales dus à la fin décembre 2020[8]. Ce surcroît est rapporté à l’actif total des entreprises du secteur. En moyenne, le ratio d’endettement des activités créatives, artistiques et de spectacle croît de 8 points de pourcentage, celui de la restauration de 7,4 points. Ce surcroît d’endettement est majoritairement (90 % environ) lié à l’endettement PGE.

Une fois ces chocs de dégradation de bilan et de productivité pris en compte, le surcroît de faillites serait de 6 000. C’est le chiffre présenté dans la ligne (5) du tableau ci-dessous qui résume les principaux ordres de grandeurs sur les faillites.

 

Tableau 2. Quelques ordres de grandeur

 

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billet_tribunal_de_commerce_-_encadre_tableau_2.png, par spaupardin

Note : tous les chiffres ont été arrondis au millier supérieur.

Lecture : nous évaluons à 27 000 le nombre de faillite « en suspens » à la fin du premier semestre 2021, 21 000 sont des faillites qui auraient eu lieu en temps normal sur la période allant de mars 2020 à juin 2021, et 6 000 sont directement liées à la dégradation de la productivité et du bilan des entreprises.

Source : BODACC et calculs des auteurs


[1] Voir Guerini et al. (2020).

[2] Mais en tout état de cause a priori pas immédiatement, étant donné que le début du remboursement du PGE a pu être repoussé à partir du deuxième trimestre 2022.

[3] Voir Cros, Epaulard et Martin (2020).

[4] Voir par exemple Bermant et al. (1991).

[5] Iverson et al. (2020) se livrent à un exercice de prédiction du nombre de faillites pour évaluer les besoins en juges des faillites aux États-Unis. Plutôt que de regarder la situation précise de chaque entreprise, les auteurs utilisent le taux de chômage local pour prédire le nombre de faillites à attendre dans chaque county. Ce choix méthodologique s’explique par le fait qu’aux États-Unis les juges des faillites traitent aussi bien les cas des entreprises que ceux des ménages surendettés.

[6] Le nombre de cas par juge est un indicateur imparfait de la charge de travail des juges des tribunaux de commerce. Leur charge de travail effective dépend en effet de la complexité des cas, de la taille des entreprises concernées mais aussi d’autres activités comme l’instruction et le jugement des contentieux et la prévention/détection des entreprises en difficulté.

[7] Un modèle Logit est un modèle économétrique utilisé pour estimer les corrélations entre un événement binaire (ici la faillite/non-faillite) et d’autres variables (ici par exemple l’endettement des entreprises, leur productivité, etc.). Il est fondé sur une loi logistique, d’où son nom.

[8] Il s’agit d’une approximation du surcroît d’endettement des entreprises. Ne sont en effet pas pris en compte les autres prêts contractés par les entreprises pendant la pandémie soit auprès de leurs banques, soit auprès de leurs fournisseurs.

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Anne
Épaulard
Anciens auteurs de France Stratégie
Florian Gache