Composé à parité des administrations d’une part, des organisations représentatives des salariés et des employeurs d’autre part, ce comité a reçu une double mission : le suivi de la mise en œuvre du CICE et l’évaluation de ses effets. Il a rendu un premier rapport en octobre 2013, qui ne pouvait que donner une appréciation générale sur les premiers éléments de mise en place du dispositif : à la date de publication, les entreprises n’avaient pas encore pu matérialiser leur créance (si ce n’est par le préfinancement). Ce premier rapport s’appuyait donc essentiellement sur des estimations ex‐ante.
L’année écoulée a été celle de la mise en application concrète du CICE. Le recul supplémentaire permet d’avoir aujourd’hui une vision plus riche et plus fine de ce dispositif et de ses implications.
Une année de mise en œuvre et d’apprentissage
Par construction, le CICE calculé sur la masse salariale de 2013 n’est devenu une réalité fiscale qu’à partir d’avril 2014. Comme avec tout dispositif public de ce genre, cette première étape a constitué une phase de découverte et d’apprentissage pour les acteurs : en premier lieu pour les entreprises bénéficiaires, mais également pour les administrations concernées ou encore pour les tiers tels que les experts‐comptables ou les banques.
Du côté des entreprises, la mécanique propre au crédit d’impôt, notamment son incidence décalée dans le temps, n’a pu qu’amplifier l’importance que revêt ce processus d’apprentissage et d’appropriation.
En 2013, le CICE était une mesure connue de façon très approximative par nombre d’entreprises, qui parfois l’ont confondu à tort avec le mécanisme de préfinancement. Surtout, le CICE avait peu d’incidences concrètes à court terme.
Pour la plupart des entreprises, la principale manifestation concrète du CICE a été, à partir de juillet 2013, l’obligation de déclarer l’assiette des salaires inférieurs à 2,5 SMIC dans le bordereau récapitulatif de cotisations sociales (BRC). Pour certaines, son existence s’est manifestée par le biais des relations contractuelles, sous l’effet de la prise en compte du CICE dans l’indice du coût du travail ou sous la pression de donneurs d’ordre leur demandant de répercuter sur leurs tarifs une baisse de coût encore virtuelle d’un point de vue financier.
Les incidences comptables et fiscales du dispositif n’ont vraiment commencé à se concrétiser qu’au premier trimestre 2014, contribuant progressivement à faire évoluer la perception des entreprises. En fonction de leur date de clôture d’exercice comptable et leur régime fiscal, celles‐ci ont été amenées depuis avril 2014 à déclarer formellement leur créance fiscale à l’administration : imputation sur leur solde d’impôt, report sur les bénéfices futurs, ou demande de restitution immédiate pour certaines entreprises (PME, nouvelles entreprises et jeunes entreprises innovantes, entreprises en difficulté, etc.). En même temps, les entreprises comptabilisent leur future créance au titre de 2014 au fur et à mesure du versement des salaires.
Certaines appréhensions du côté des entreprises (sur d’éventuels contrôles fiscaux induits par le CICE, par exemple) ont mis du temps à être levées, d’autant que les débats publics autour du Pacte de responsabilité ont pu laisser planer un doute sur la stabilité du dispositif.
Dans un tel contexte, il est difficile de savoir dans quelle mesure et à quel rythme les entreprises ont réellement pris en compte le CICE dans leurs décisions, et a fortiori d’en cerner les incidences sur l’emploi ou l’investissement. Cette question n’a pas de réponse unique, tant les processus décisionnels diffèrent selon la taille des entreprises, leur organisation, leurs processus comptables et fiscaux ou encore leur situation économique et financière.
L’année écoulée a également été une période d’apprentissage et d’expérimentation pour les administrations en charge de gérer le déploiement du CICE.
Pour les organismes de sécurité sociale (URSSAF et ACOSS), il a fallu vérifier les déclarations d’assiette du CICE dans les bordereaux récapitulatifs de cotisations sociales et accompagner les entreprises dans cette nouvelle procédure. Cette tâche n’est pas totalement achevée, d’où la zone grise qui entoure encore le calcul du montant de CICE au titre de 2013.
Pour les services fiscaux, la comptabilisation des déclarations portant d’une part sur la créance et d’autre part sur sa consommation (imputation ou non sur le solde d’impôt dû en 2014 et restitution possible pour certaines entreprises) constitue un exercice en partie nouveau, tributaire du système d’information fiscal et des comportements déclaratifs des entreprises.
Enfin, cette année écoulée a été une période d’apprentissage pour le comité de suivi mis en place le 25 juillet 2013.
En raison du contexte décrit ci‐dessus, toute analyse du CICE et de ses effets nécessite prudence et humilité. Le retour sur l’année écoulée est extrêmement instructif sur la façon dont la mécanique du CICE a été progressivement assimilée et sur les obstacles que cette assimilation a pu rencontrer. Mais cette année ne peut être considérée comme représentative des comportements à venir : lorsque les acteurs se seront approprié le dispositif, et que sa stabilité sera considérée comme chose acquise, certaines décisions s’en trouveront affectées.
Une évolution du contexte pour le CICE : le Pacte de responsabilité
Le CICE constituait, lors de sa création fin 2012, une des trente‐cinq décisions concrètes du Pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi annoncé le 6 novembre 2012 dans le sillage du rapport remis par Louis Gallois. À la suite de l’annonce faite par le président de la République lors de ses vœux aux Français le 31 décembre 2013, le gouvernement en a fait une composante d’un Pacte de responsabilité et de solidarité plus ample, lequel comporte des mesures fiscales et sociales supplémentaires destinées à alléger le coût du travail ; des efforts en faveur de l’emploi des jeunes, de la qualité de l’emploi et de la formation doivent donner lieu à des négociations dans les branches professionnelles.
Ce changement de contexte aura des incidences pour le comité de suivi, puisque la feuille de route de la Grande Conférence sociale des 7 et 8 juillet 2014 prévoit « un élargissement du comité du suivi du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) qui deviendra un comité de suivi et d’évaluation de l’ensemble des aides publiques ».
Une année de suivi, préparatoire à l’évaluation
Les premières remontées d’information consécutives à la mise en place du dispositif ont permis d’enrichir le suivi du CICE. Elles ont notamment conduit à réviser, par rapport aux prévisions initiales, les montants des créances acquises par les entreprises et ceux de leur consommation au fil du temps.
Plusieurs facteurs entrent en compte dans ces révisions : ampleur de l’assiette salariale, degré d’intégration fiscale des entreprises au sein de groupes, comportement des entreprises à l’égard du dispositif, décisions d’imputation des créances sur les impôts dus. À cela s’ajoute une modification des normes de comptabilité nationale qui affecte, à partir de 2014, le calendrier de comptabilisation du CICE dans les comptes publics. Ces différentes révisions sont source de complexité et de confusion dans l’appréciation de la montée en charge du dispositif. C’est pourquoi le présent rapport s’attache à analyser point par point les raisons des écarts entre prévisions initiales et prévisions ajustées.
Le dispositif est maintenant entré dans une phase opérationnelle qui génère de nouvelles sources d’information, suscite ou révèle de nouveaux comportements de la part des entreprises et fait émerger de nouvelles questions.
L’année écoulée a permis d’accumuler des informations sur la façon dont ce dispositif, très concrètement, a été accueilli et adopté dans les entreprises. Plusieurs enquêtes ou sondages font mieux apprécier la façon dont différents acteurs dans les entreprises se positionnent à son égard et perçoivent ses conséquences. Diverses problématiques sont apparues au fur et à mesure que les implications comptables et fiscales se matérialisaient pour les entreprises et les administrations.
Pour autant, nous ne sommes pas encore à l’heure de l’évaluation ex‐post d’une politique publique. Ce rapport s’inscrit toujours dans une logique de suivi et d’appréciation du déploiement du CICE et de son appropriation par les entreprises. Sauf à supposer que celles‐ci aient parfaitement compris et anticipé le fonctionnement du dispositif dès son annonce, il serait présomptueux de prétendre dès aujourd’hui juger des effets du CICE en régime permanent. À cela s’ajoutent les contraintes de disponibilité des données. Les informations accumulées progressivement au cours des douze derniers mois, qu’elles soient quantitatives ou qualitatives, permettent néanmoins d’affiner certains questionnements ou certaines hypothèses, qui, dans le précédent rapport, avaient été seulement ébauchées.
Ce faisant, le rapport pose les bases d’une nouvelle étape d’évaluation proprement dite. Le temps est venu de lancer un appel à projets de recherche auprès de la communauté scientifique, pour obtenir des réponses rigoureuses. Le faire plus tôt aurait été improductif car les données exploitables sont encore rares et leur accessibilité est peu probable avant début 2015.
Organisation du rapport
Dans un premier temps, le rapport rend compte de façon aussi complète que possible des données quantitatives caractérisant le déploiement du CICE. Autrement dit, quelles sont les sommes en jeu ? À partir des sources fiscales et sociales, l’examen porte à la fois sur le niveau effectif de la créance totale au titre de 2013 et sur sa consommation en 2014 (imputations et restitutions).
Ces données sont confrontées aux projections initiales, en termes de niveau comme de répartition, avec à la clé des prévisions réajustées pour 2014 et 2015.
Le dernier volet quantitatif portera sur le préfinancement du CICE, pour en mesurer la dynamique depuis 2013 mais aussi pour commencer à identifier les caractéristiques des entreprises y ayant recours.
Dans un second temps, le rapport s’attache à adopter le point de vue des acteurs et à rendre compte, notamment à partir de données à caractère plus qualitatif, des pratiques et des perceptions associées au crédit d’impôt dans les entreprises. Partant du traitement comptable du CICE, le rapport questionne la nature technique du dispositif, puis la façon dont il a pu être anticipé et perçu dans les entreprises jusqu’à ce jour.
Vient ensuite la question de l’utilisation du CICE avec pour corollaire les enseignements issus de la première vague d’informations – consultation des représentants du personnel ou prise en compte du CICE dans les négociations de prix entre entreprises.
L’objet de ce rapport est, plus que de porter un jugement sur le CICE, d’affiner notre compréhension des enjeux et des questionnements pertinents sur le fonctionnement et les implications de ce dispositif. Cette analyse doit permettre d’orienter la démarche de suivi et d’évaluation pour les exercices à venir.
À cet effet, nous présentons en fin de chaque section thématique un encadré synthétisant le principal enseignement à retenir mais surtout les pistes à envisager pour le suivi du dispositif en 2015 d’une part, et les questions concernant la démarche d’évaluation économique du CICE à moyen terme d’autre part.
La conclusion du rapport remet en perspective ces questions qui, au regard de l’année écoulée, apparaissent centrales pour guider l’évaluation à proprement parler du CICE, mais aussi pour orienter les travaux de suivi du comité pour l’année à venir.