Télécharger la Note d'analyse "Où réduire le poids de la dépense publique ?"
Le gouvernement français ambitionne de réduire le poids des dépenses publiques. Objectif : s’autoriser une baisse des prélèvements obligatoires et garantir la soutenabilité de la dette publique à long terme. Possible ? Sans doute si l’on se fie à l’expérience de nos voisins européens : 21 pays de l’Union européenne sur 27 y sont parvenus au cours des vingt dernières années. Mais où et comment baisser la dépense publique française ? Via une approche comparative originale, la note de Christophe Gouardo et Fabrice Lenglart éclaire les choix possibles en évaluant la faisabilité et les implications de trois scénarios.
Défense, redistribution, santé… les postes sur lesquels la France dépense plus
Partant des données de la comptabilité nationale qui offre une classification des dépenses commune aux 27, les auteurs distinguent cinq postes de dépenses (regroupant quinze sous-postes) qui correspondent aux grandes missions de l’État et des collectivités locales. Sur cette base, ils mesurent la part de PIB alloué par la France à chaque poste de dépense, et la compare à celle de onze de ses voisins européens. Une manière d’éclairer les spécificités françaises.
Bilan : si la France détient le record européen du niveau de dépenses publiques – 56,5 % du PIB en 2017 – c’est d’abord du fait de son système redistributif. Ce poste représente 20,1 % du PIB (potentiel), soit 4,3 points de plus que la moyenne européenne, les trois quarts de cet écart étant imputables au choix d’un système de retraites par répartition socialisé, et plutôt « généreux » comparativement. Hors retraites, l’écart est plus faible. Les dépenses de redistribution (aides sociales et revenus de remplacement) sont plus élevées que la moyenne européenne d’1 point de PIB mais la France affiche dans le même temps un taux de pauvreté des 0-64 ans inférieur (15 % contre 18 % pour la moyenne européenne).
Autre poste de dépenses sociales, la fourniture de services – santé et éducation en tête – représente 17,5 % du PIB. Un montant qui place la France dans la moyenne européenne mais en retrait par rapport aux pays nordiques (5 points en dessous). Les résultats sont cela dit très contrastés selon les sous-postes : la France dépense moins que ses voisins pour l’éducation (élémentaire et pré-élémentaire surtout) et la recherche. Elle dépense également beaucoup moins que ses voisins, nordiques cette fois, pour l’accueil des moins de 3 ans comme pour la dépendance. En revanche, ses dépenses liées aux services de santé sont plus élevées qu’ailleurs, tout particulièrement les dépenses en produits médicaux et en santé marchande (médecine libérale, cliniques privées…). Un résultat cohérent quand on sait que nos dépenses totales de santé par habitant (publiques et privées) sont parmi les plus élevées des pays de l’OCDE.
Il n’y a pas que les dépenses sociales qui tirent vers le haut le ratio français. Du côté de la fourniture de services collectifs – fonctions régaliennes et administration générale –, la France affiche un écart avec ses voisins européens d’un peu plus d’1 point. Et contrairement à une idée répandue, les dépenses de fonctionnement de nos administrations (centrales comme locales) ne sont responsables que d’un tiers de cet écart. Loin derrière la dépense militaire qui, avec 1,8 % du PIB, se situe à un niveau inégalé en Europe, sauf par le Royaume-Uni. Autre gros poste qui singularise la France (idée moins répandue), le soutien à l’économie représente 6,2 % du PIB (hors CICE qui, bien que comptabilisé dans les dépenses, s’apparente à une moindre recette). Ce pourcentage qui place la France très au-dessus de ses voisins (avec un écart de 1,1 point) n’est pas imputable à un dispositif d’aide en particulier, soulignent les auteurs. En revanche, il met en évidence « une propension plus forte qu’ailleurs à soutenir l’économie marchande par la dépense publique ».
Comment réduire : trois scénarios comparés
Quelles dépenses faudrait-il réduire et quelles autres préserver ? La réponse relève d’abord du choix politique. Tout ce que peut faire l’expert, de son côté, c’est évaluer si ce choix est réaliste au regard de l’objectif (chiffré) de baisse des dépenses, et tenable au regard des « efforts » qu’il implique selon les postes.
Certaines dépenses sont en effet moins faciles que d’autres à diminuer à moyen terme, voire simplement à stabiliser, soulignent Christophe Gouardo et Fabrice Lenglart. C’est le cas par exemple des dépenses de retraite. Si elles représentent la moitié de la hausse des dépenses publiques en volume depuis 2009, c’est de fait parce qu’elles augmentent « spontanément » avec le nombre des plus de 60 ans – +2 millions depuis 2009 – et ce, bien que le système soit à l’équilibre à long terme, la France étant un des pays européens dont le poids des dépenses de retraite est désormais le mieux contenu en tendance. À ce type de contraintes (exogènes) s’ajoutent par ailleurs celles qu’un pays se choisit : ne pas toucher aux dépenses sociales dans un contexte de crise par exemple, ou à celles de la défense en cas de menace, ou encore investir dans l’éducation et/ou la transition écologique pour préparer l’avenir.
Pour éclairer les choix possibles et à tire d’illustration, les auteurs détaillent trois scénarios permettant de réduire structurellement les dépenses publiques de 3 points de PIB en 5 ans. Leurs conclusions sont instructives. D’abord, faire converger nos dépenses vers la moyenne européenne sans toucher au poids des dépenses sociales ni à celui des dépenses régaliennes (scénario 1) ne suffit pas à atteindre l’objectif. Un tel scénario supposerait de baisser les dépenses de soutien à l’économie et les dépenses des administrations centrales et locales très au-dessous de la moyenne européenne, avec des ajustements parfois peu réalistes, comme diviser par deux le poids des dépenses d’investissement local.
Ensuite, dans un scénario où on autorise une légère progression du poids des dépenses d’éducation et de la défense, où l’effort sur l’investissement local est modéré et où on choisit de ne pas toucher au poids des prestations sociales, l’objectif semble très compliqué à atteindre, et ce, même en consentant de gros efforts sur les autres postes. Sauf… à réduire sensiblement les dépenses de santé hors hôpital public, ce qui signifierait, en pratique, de procéder à des déremboursements et/ou de passer par une baisse de la prise en charge des soins (scénario 2). Enfin, sous hypothèse toujours d’une sanctuarisation des dépenses d’éducation et de défense, modérer la pression sur les dépenses de santé et viser une stabilisation (plutôt qu’une baisse) du poids de l’investissement public pour préparer la transition écologique (scénario 3) suppose d’élargir les économies aux dépenses de redistribution monétaire – retraites et prestations sociales – et aux aides à la personne.
Réduire la dépense publique de 3 points de PIB n’est donc pas impossible moyennant de gros efforts sur les dépenses qui ne font pas l’objet de choix collectifs conscients – dépenses d’administration générale et aides à l’économie marchande en tête. Mais il paraît peu réaliste d’imaginer pouvoir le faire sans modérer aussi la croissance des dépenses sociales.
En parallèle, une seconde note « Comment mesurer les économies sur les dépenses publiques ? » apporte un soutien méthodologique à la première, en présentant les difficultés posées par la mesure objective des économies de dépenses publiques.
Les opinions exprimées dans cette note engagent leurs auteurs
et n'ont pas vocation à refléter la position du gouvernement