Télécharger le rapport : Renforcer la capacité des entreprises à recruter
Le groupe de travail n° 4 du Réseau Emploi Compétences[1] avait pour objectif initial d’identifier les méthodes et les sources statistiques permettant d’appréhender les « modes d’alimentation » des métiers. L’accès à un emploi peut en effet s’opérer par des voies différentes – après une formation initiale ou continue, par exemple – ou bien privilégier certains profils – jeunes débutants, actifs expérimentés ou demandeurs d’emploi. Étudier ces chemins vers l’emploi permet d’éclairer la nature du lien entre formation et emploi.
La question a déjà été traitée, mais le plus souvent sous l’angle d’un dysfonctionnement de l’appareil de formation ou du processus d’appariement sur le marché du travail[2]. Avec cette idée sous-jacente que si un certain nombre d’emplois restent vacants, c’est par manque de candidats possédant les compétences adéquates. Progressivement, le groupe de travail a été amené à s’intéresser à l’autre bout de la chaîne, autrement dit aux modalités de recrutement des entreprises. Les pratiques de gestion de la main-d’œuvre lui sont en effet apparues comme un déterminant important des modes d’accès aux métiers. Or peu de travaux ont encore exploré cette voie.
Ce changement de point de vue modifie considérablement le regard porté sur la relation entre emploi et formation professionnelle. De fait, depuis une vingtaine d’années, les politiques en faveur de la formation professionnelle se sont multipliées – encore sous le dernier quinquennat. Elles sont en effet perçues comme un des principaux leviers de la lutte contre le chômage puisqu’elles sont censées réduire les difficultés de recrutement liées à l’inadéquation entre l’offre et la demande de compétences sur le marché du travail.
Cependant, force est de constater que les plans massifs de formation et l’élévation du niveau de diplôme ont eu peu de prise sur le taux de chômage. Certains travaux considèrent même que les effets de ces plans sont nuls, quand ils ne conduisent pas à dégrader relativement la situation des profils les moins diplômés. La première partie du rapport passe en revue la littérature sur ce sujet.
Ce constat entrouvre la porte à une autre interprétation des difficultés de recrutement, fondée non plus sur les défauts de compétences des actifs mais sur la qualité de la gestion de la main-d’œuvre pratiquée par les entreprises. Cette approche, complémentaire à la première, appelle la mise en œuvre de politiques de formation différenciées, selon les secteurs ou les profils, comme l’expose la deuxième partie du rapport.
Reste que cette gestion de la main-d’œuvre est complexe à appréhender car de nombreux facteurs entrent en ligne de compte. Quelle est la « structuration RH »[3] d’une entreprise ? Quelles sont ses pratiques en matière de recrutement et de formation ? Plusieurs sources statistiques et diagnostics permettent heureusement de mieux connaître cette dimension : leur exposé fait l’objet de la troisième partie de ce rapport.
Que nous révèlent ces sources ? Précisément que le niveau et la spécialité de formation ne sont pas toujours le premier critère de recrutement des entreprises. Avec d’importantes variations selon les métiers, les secteurs ou les territoires, ces entreprises tendent à privilégier l’expérience et la motivation comme indicateur de la capacité des candidats à satisfaire aux exigences d’un poste. Dès lors, les difficultés de recrutement ou les pénuries invoquées changent de visage : elles pourraient refléter non pas une inadéquation entre compétences détenues et compétences attendues mais plutôt les propres difficultés des employeurs à identifier la capacité des candidats. En améliorant en amont la gestion des ressources humaines, il deviendrait dès lors possible d’améliorer in fine l’impact de la formation sur le retour à l’emploi. Pour les pouvoirs publics, il deviendrait possible de mieux cibler les réponses aux besoins en ressources humaines des entreprises – qu’ils relèvent de la formation initiale ou continue, de dispositifs d’emploi ou d’appui et d’accompagnement.
Promouvoir une telle démarche suppose que les acteurs institutionnels – les Régions, l’État, Pôle emploi, les partenaires sociaux – sortent d’une logique « adéquationniste » axée sur le « tout formation ». Cela suppose aussi que le monde de l’entreprise prenne ses responsabilités dans l’identification de ses besoins en compétences. Certaines branches ont déjà commencé ce travail en mettant en place des outils d’accompagnement de leurs adhérents : accompagnement de proximité réalisé par les branches professionnelles ou les OPCA ou plateforme RH financée par l’État, etc.
Toutefois, la responsabilisation et l’accompagnement des entreprises restent souvent traités de manière secondaire, avec des efforts qui portent essentiellement sur la seule phase de recrutement : aide à la définition des profils de poste, au processus du recrutement proprement dit ou encore à l’accueil du nouvel embauché. Nécessaire, cet outillage demande à être complété. Ces dernières années, cet appui RH s’est en outre concentré sur la construction d’outils généralisables à l’ensemble des entreprises alors que les sources statistiques identifiées dans ce rapport montrent à quel point les systèmes de gestion de compétences sont à la fois multiformes, complexes et évolutifs[4].
Ce rapport vise à permettre aux acteurs de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle (EFOP) de s’emparer de ce sujet pour l’intégrer à leur réflexion sur l’évolution des politiques d’emploi et de formation pour leur territoire ou leur branche professionnelle.
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[1] Voir les annexes pour la composition du groupe et l’organisation des travaux.
[2] Voir par exemple Lainé F. (2011), « Construire une carte régionale des formations : outils, méthodes et enjeux pour la formation initiale », Centre d’analyse stratégique, juillet ; Lainé F. (2006), « De la spécialité de formation au métier : cas du bâtiment, de l’hôtellerie-restauration-alimentation et du commerce », Économie et Statistique, n° 388-389, Insee, juin.
[3] Par structuration RH, on entend les procédures mises en œuvre pour la sélection des candidats, la catégorie du « recruteur » (chef d’entreprise, responsable RH, etc.), mais aussi son niveau d’implication dans les recrutements. En effet, des travaux ont montré que les candidats étaient évalués différemment selon que les recruteurs étaient polyvalents ou spécialistes d’une technique d’évaluation particulière (Marchal, 1999) ou encore que leur jugement se formait à l’aune de leurs propres trajectoires sociales, scolaires et professionnelles (Hidri, 2009). Source : Yannick Fondeur (2014), « La “professionnalisation du recrutementˮ au prisme des dispositifs de sélection », Revue française de socio-économie, 2014/2, n° 14, p. 135-153.
[4] Voir la revue de littérature de Colin et Grasser (2008). Voir aussi Anact, DGEFP (2013) ou les travaux de Stéphane Michun (2007).