Back to
Actualités
Publié le
Jeudi 17 Décembre 2015
À l’approche des discussions entre partenaires sociaux sur la prochaine renégociation de la convention d’assurance chômage, un groupe mixte d’experts et d’acteurs de la société civile souhaitent apporter un éclairage novateur sur l’impact du nouveau dispositif du compte personnel d'activité (CPA) sur ladite négociation.
Compte personnel d'activité et assurance chômage : osons une réforme structurelle !

Cette contribution s’inscrit totalement dans l’ambition rappelée par Jean Pisani-Ferry en introduction du rapport de France Stratégie sur le compte personnel d’activités : "le CPA peut et doit être l’occasion d’une modernisation de nos systèmes de protection sociale".Le compte personnel d'activité a été un des sujets majeurs de la conférence sociale du 19 octobre 2015. Pilier d’une refondation en profondeur de nos systèmes sociaux, celui-ci a deux caractéristiques essentielles et novatrices.Tout d'abord, le CPA est un droit universel. Chaque Français, dès 16 ans et jusqu'à sa retraite, bénéficiera d'un tel compte qu'il soit salarié du secteur public ou du secteur privé, qu'il soit salarié ou indépendant qu'il soit en situation de travail, de formation ou de chômage.Le CPA doît ainsi permettre de sortir d'une gestion par statut, par "case", tout en réduisant les inégalités de droits entre les "insiders" (les détenteurs de contrats longs) et les "outsiders" (les salariés précaires, chômeurs de longue durée, bénéficiaires du RSA, personnes en sous-emploi...). L’objectif est de permettre les mobilités et transitions professionnelles tout en assurant, quelle que soit la forme d'activité exercée, la continuité des droits fondamentaux : couverture maladie, retraite, indemnisation du chômage, formation…

Le CPA est ensuite un droit consolidateur. Il vise à permettre la mobilisation de différents droits dans un capital unique de façon à pouvoir déclencher des actions plus ambitieuses de formation ou de reconversion. Ces droits peuvent être des droits à congés, à formation, à retraite anticipée pour cause de pénibilité, d'épargne temps, de chômage ou encore, des droits nouveaux : droits à une seconde chance pour les "décrocheurs" par exemple.La fongibilité des droits sera cependant asymétrique : il ne sera pas possible par exemple d'échanger des droits à formation pour partir plus tôt en retraite. L'objectif ici est de permettre une élévation générale du niveau de qualification, de faciliter les transitions professionnelles et de mieux couvrir (en cotisations comme en droits) les nouvelles formes d'emplois.Ces deux caractéristiques du CPA, soulignées dans le rapport de France stratégie (1) et les attendus qui les motivent, ont des répercussions considérables pour l’assurance chômage.

En premier lieu, rappelons que le droit à l'assurance chômage est loin d’être un droit universel mettant sur un pied d’égalité l’ensemble des actifs. Déjà en février 2011, dans un article de la revue "Droit social" (2), Patrick Boulte et Jean-Baptiste de Foucauld dénonçaient un système d’assurance chômage essentiellement orienté vers les bénéficiaires de contrats longs, au détriment des salariés précaires soumis à des risques d'exclusion.Pour corriger cette distorsion de droits, ils proposaient notamment de diminuer les critères d'ouverture de droits (nécessité de cumuler 122 jours de travail pour être éligible), d'attribuer une surcote de durée d'emploi pour les contrats courts ou encore de fusionner l'allocation de solidarité spécifique et l'allocation d’aide au retour à l'emploi.Plus globalement, les auteurs suggéraient d’élargir la base cotisante en proposant à d’autres catégories (dont les salariés du secteur public) de cotiser à l'assurance chômage. Dans une logique de solidarité et d'universalité, il n'est pas concevable en effet de dissocier le "bon risque du mauvais risque". Outre l'impact financier d'une telle décision, elle serait l'occasion de repenser la gouvernance de l'assurance chômage en l’ouvrant à d’autres parties prenantes, comme l’État ou les associations et d'appliquer aux cotisations chômage le même type de réduction sur les bas salaires que pour les autres charges sociales.

En deuxième lieu, il reste à intégrer l'annexe la plus importante, celle sur les intérimaires, dans le dispositif de droit commun. En effet, comment admettre un traitement différent pour ceux qui enchaînent des CDD non intérimaires et qui eux relèvent du dispositif général ? Créer un droit universel suppose de clarifier ce point. Par ailleurs, il est aussi fondamental d'ouvrir le bénéfice de l’assurance chômage aux indépendants et aux nouvelles formes d’emploi, celles nées de "l'uberisation" de l'économie.Second trait majeur du CPA, il s'agit d'un droit consolidateur. À ce titre, le véritable enjeu est de pouvoir mobiliser le droit à indemnisation du chômage pour des reconversions lourdes y compris par anticipation.

L’objectif est de pouvoir verser un revenu pendant le temps de la formation, voire aussi d’utiliser des droits à indemnisation du chômage pour financer des coûts pédagogiques. L’assurance chômage change alors de nature, il ne s'agit plus seulement d'une assurance contre la perte de revenu, c’est aussi la capitalisation d’un droit à formation et à reconversion.Cela suppose de revoir tout à la fois les conditions d’attribution et les conditions de consommation du droit. Ainsi l’attribution d'un droit à assurance chômage ne supposerait plus comme condition expresse la perte involontaire d'emploi. Par ailleurs, la consommation du droit pourrait être bonifiée pour les demandeurs d’emploi en formation (soit à travers un droit plus long, soit au travers d’une moindre consommation des droits acquis). En outre, si aucune offre d'emploi valable n'est proposée en fin de formation, un capital de droit supplémentaire pourrait être reconstitué.La Commission sur le CPA a bien identifié cette possibilité en indiquant dans son rapport (p.78) : "la logique profonde du CPA est cependant d’aller plus loin en permettant d’utiliser, dans certaines limites, des journées d’indemnisation du chômage pour compléter des financements de formations qualifiantes". On mesure l’évolution radicale que cela sous-tend en permettant au chercheur d’emploi d’activer lui-même une sorte de "droit de tirage" et ainsi donner une application
concrète au projet de "droits de tirage sociaux" tels que définis en 1999 par Alain Supiot (3) ! L'utilisation des droits à assurance chômage dans un cadre universel et fongible nécessite enfin de revoir fondamentalement le mécanisme des droits rechargeables. Leur création dans la convention de 2014 a permis d'organiser la succession de périodes d'indemnisation sans perte de droits acquis. Il s’agit maintenant de quitter cette vision de droits fractionnés en périodes plus ou moins longues pour passer à une nouvelle étape où les droits rechargeables seraient définis, et accessibles, de façon continue, chaque mois. Il faudrait alors plutôt parler de "droits cumulables".Bien évidemment, toutes ces évolutions bouleversent l’équilibre économique de l'assurance chômage : cotisation du secteur public, surpondération des contrats précaires, abondement des droits en périodes de formation, refonte des droits rechargeables…, joueront en faveur, ou contre, un régime cumulant aujourd'hui un déficit cumulé de plus de 25 milliards d'euros. La question du niveau d’indemnisation et de son caractère plus ou moins incitatif devra donc être aussi au coeur des débats.La renégociation de la convention d'assurance chômage doit s'engager pendant le premier semestre 2016. La mise en oeuvre du CPA, annoncée au 1er janvier 2017, constitue une excellente opportunité pour engager les discussions de façon radicale.

Comme les auteurs précités y appelaient en 2011, la mise en oeuvre du CPA invite les partenaires sociaux à changer de logique, à savoir : s’engager dans une évolution structurelle du régime d’assurance chômage et non pas une simple évolution paramétrique.D’autre part, le succès du CPA dépend fortement de l'existence de droits à assurance chômage renouvelés : plus universels, plus engagés dans la lutte contre l'exclusion, plus incitatifs aux actions de formation garantissant au mieux l'égalité de traitement des chômeurs avec l'ensemble des salariés au regard des droits à retraite complémentaire. Très légitimement, le gouvernement semble laisser aux partenaires sociaux la primauté des discussions, mais jamais la convergence des intérêts n'a été aussi forte.Les présents signataires voient donc dans le CPA et dans une refondation structurelle de l'assurance chômage, une formidable opportunité pour mieux anticiper (et donc couvrir) les risques liés au sous-emploi tout en renforçant l'employabilité des personnes. Ils saluent la préoccupation de la Commission de renforcer toutes les capacités d'accompagnement auprès des chercheurs d’emploi et invitent les partenaires sociaux à innover tant dans le contenu et les modes de financement de cet accompagnement que dans l’ouverture aux acteurs de la société civile.

Gilles de Labarre, Jean Paul Domergue, Pierre Lachaize, Jean Jacques MaretteRéférences(1) France stratégie. Le compte personnel d’activité, de l’utopie au concret. Commission Compte personnel d’activité présidée par Selma Mahfouz, octobre 2015(2). Patrick Boulte, Jean Baptiste de Foucauld. Élargir et aménager l’assurance chômage. Revue Droit social, février 2011.(3) Supiot. A (1999). Au-delà de l’emploi: transformation du travail et devenir du droit du travail en Europe. Rapport pour la Commission européenne, mars.

Tous nos travaux sur  :