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Note d'analyse
Publié le
Jeudi 12 Janvier 2017
Pour élever le niveau de compétences de sa population active, pour lutter contre l’échec et la fréquence des réorientations en début de parcours dans le supérieur, ainsi que contre les inégalités sociales d’accès aux diplômes, la France doit prêter une attention particulière à la transition qui intervient au moment du baccalauréat, de l’enseignement secondaire à l’enseignement supérieur.
2017/2027 - La transition lycée-enseignement supérieur - Actions critiques

Face aux difficultés que rencontrent de nombreux étudiants pour s’orienter vers une formation dans laquelle ils ont de réelles chances de réussir, il importe de renforcer la continuité des enseignements de part et d’autre de cette frontière.

Pour y parvenir, deux options peuvent être envisagées :

  • la création, dans le cadre actuel, de plusieurs filières intégrées à cheval entre le lycée et le supérieur, visant notamment à favoriser la réussite des bacheliers professionnels ;
  • la mise en place d’enseignements modulaires aussi bien avant qu’après le baccalauréat, permettant aux élèves et aux étudiants de construire à la carte leur parcours de formation, en fonction de leurs aspirations et des compétences qu’ils acquièrent et certifient au fil des modules suivis.

Améliorer la réussite dans les études supérieures :
un enjeu fondamental pour la décennie à venir

Les travaux conduits par France Stratégie sur les questions de travail, d’emploi, de compétitivité et de numérique ont tous mis en évidence un déficit français en matière de compétences. Ce handicap est manifeste au vu des enquêtes internationales : résultats moyens au test PISA qui mesure les acquis des élèves du secondaire, résultats médiocres au test PIAAC qui mesure les compétences des adultes. L’accès à l’enseignement supérieur et la capacité à y obtenir des diplômes sont en outre marqués par de profondes inégalités.

Au-delà des efforts à accomplir en matière d’enseignement scolaire pour les plus jeunes et de formation pour les adultes déjà entrés sur le marché du travail, notre pays doit impérativement améliorer la capacité des élèves à poursuivre des études supérieures[1]. En effet, si les taux d’échec dans le supérieur sont inférieurs à la moyenne de l’OCDE (32 % en 2011), ils demeurent toutefois à des niveaux élevés : 20 % des étudiants ayant commencé des études supérieures en sortent sans avoir obtenu de diplôme, soit 75 000 jeunes par an[2]. De plus, la proportion de diplômés y progresse peu depuis dix ans. Or les conditions d’insertion sur le marché du travail sont directement liées au niveau de formation atteint par les jeunes, avec une situation plus favorable pour les diplômés du supérieur mais variable selon le diplôme et la spécialité.

Les difficultés se manifestent dès l’entrée dans le supérieur et elles se concentrent à l’université, où à peine plus de quatre étudiants sur dix (40 %) poursuivent, après une première année d’études en licence, dans la deuxième année de la même formation. Le coût collectif de ces accidents de parcours peut être estimé à plus de 500 millions d’euros[3] par an, soit le budget de fonctionnement de deux universités de taille moyenne. Alors que dans d’autres pays, notamment au nord de l’Europe, on valorise davantage les parcours variés, même s’ils retardent l’obtention des diplômes[4], on a tendance, en France, à valoriser avant tout les parcours linéaires et rapides, faisant apparaître les réorientations comme des échecs.

Cela plaide pour repenser la transition entre le lycée et l’enseignement supérieur. Le défi est d’autant plus important que les dix prochaines années vont être marquées par une augmentation mécanique des effectifs du supérieur, avec l’afflux des générations nombreuses nées au début des années 2000[5].

Des lycéens mal préparés ?

Les bacheliers qui poursuivent leurs études dans l’enseignement supérieur sont-ils pourvus des compétences nécessaires pour y réussir et y acquérir un diplôme ? Trois évolutions conduisent à en douter :

  • dans un contexte de relative stabilité de la démographie scolaire dans le secondaire, la croissance passée du nombre de bacheliers s’explique par la hausse du taux de réussite à l’examen dans les trois filières du baccalauréat ;
  • la proportion des étudiants abandonnant leur formation après une ou deux années d’études est forte[6]. Les difficultés se concentrent à l’université : seul un bachelier sur quatre s’inscrivant en licence réussit son diplôme en trois ans, et un sur cinq en quatre ans ;
  • ces difficultés concernent les bacheliers de toutes les filières, mais elles sont particulièrement importantes chez ceux qui, titulaires d’un baccalauréat technologique ou professionnel, s’engagent dans une poursuite d’études. Par exemple, alors que 34 % des bacheliers généraux qui s’inscrivent à l’université obtiennent leur diplôme de licence en trois ans, ceux issus de baccalauréats technologiques ou professionnels n’y parviennent que très rarement (respectivement 7 % et 2 %)[7]. Or le poids de la filière professionnelle dans les effectifs de bacheliers a doublé en vingt ans (de 14 % en 1995 à 29 % en 2015) et le taux de poursuite dans le supérieur des étudiants issus de cette filière a également doublé (de 16 % en 1995 à 34 % en 2014)[8].

Plusieurs causes qui se cumulent

Les défaillances de l’orientation et de la sélection. Les taux d’échec et de réorientation suggèrent qu’un grand nombre d’étudiants n’ont pas été bien informés ou n’ont peut-être pas pris le chemin le plus approprié. Par ailleurs, la sélection conduit dans certains cas à exclure les bacheliers de parcours qui leur conviendraient davantage. Par exemple, dans les filières d'enseignement supérieur court, la sélection telle qu'elle a été pratiquée jusqu’en 2013 a privilégié les bacheliers généraux au détriment des bacheliers professionnels. Une préparation inadaptée du côté du lycée. Les programmes d’enseignement secondaire sont indexés uniquement sur les épreuves terminales du baccalauréat. Compte tenu des indicateurs utilisés pour évaluer leur performance (taux de réussite à l’examen, « valeur ajoutée » par rapport au taux de réussite attendu en fonction de la sociologie de l’établissement), les lycées se concentrent sur la préparation des élèves à cet examen, et non pas sur l’anticipation de l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Une rupture dans les méthodes pédagogiques. Quitter le cadre du lycée (avec ses disciplines et ses enseignants uniquement dédiés au second degré, attachés à un groupe-classe pour une année entière) pour celui du supérieur (avec notamment amphithéâtres, cours magistraux, travaux pratiques, travaux dirigés, MOOCs, disciplines nouvelles, enseignants-chercheurs dont la mission pédagogique n’est pas très valorisée…) entraîne un risque de décrochage pour les étudiants les moins autonomes dans leur travail et pour ceux dont les bases méthodologiques sont les moins assurées.

Une transition sans gouvernance. Le passage du lycée au supérieur, bien que périlleux pour les étudiants, n’est, pour autant, pris en charge en tant que tel par aucun acteur institutionnel : trop souvent, l’amont et l’aval se renvoient la responsabilité de l’échec, sans que soit construite à ce jour de solution structurelle pour assurer l’engagement de l’un et de l’autre[9].

Ces difficultés traduisent aussi le caractère très hiérarchisé de notre système éducatif. Dès le début du lycée, l’enseignement est segmenté en plusieurs filières, entre lesquelles les mobilités sont limitées. Cette hiérarchisation se retrouve ensuite dans l’enseignement supérieur – notamment entre les filières sélectives et non sélectives – et elle continue de limiter les passerelles permettant aux étudiants de se réorienter d’un parcours à l’autre. La sélection étant réservée à certaines filières, les difficultés se concentrent davantage dans les filières non sélectives des universités, qui ont pour obligation d’accueillir tous les bacheliers qui le souhaitent (voir le schéma des inscriptions des bacheliers dans l’enseignement supérieur).

Réparer ce qui marche mal ? Ou transformer le système ?

Pour rendre la transition lycée-enseignement supérieur plus fluide et pour limiter les risques de décrochage dans les premières années des études supérieures ainsi que la fréquence des réorientations, il convient de chercher les moyens de combattre chacune de ces causes.

Quelle que soit l’option choisie pour organiser la transition secondaire-supérieur, il est tout d’abord indispensable de repenser l’information et l’aide à la décision des étudiants et des familles. L’absence ou l’inadéquation de l’information est en effet un facteur important d’échec et d’inégalité sociale entre les initiés et les autres. Pour y remédier, une priorité immédiate est de construire, en s’appuyant notamment sur les dispositifs APB et l’offre de l’Onisep, une plateforme[10] qui apporte aux utilisateurs des informations transparentes et exhaustives sur les formations et les parcours, les prérequis pour chaque formation, les procédures d’affectation, les chances de réussite selon les filières d’origine et les perspectives d’insertion professionnelle associées aux différents diplômes[11].

Au-delà, en raisonnant à un horizon de dix années, il est possible de dessiner deux stratégies de transformation de l’architecture du système éducatif pour une meilleure articulation du lycée et du supérieur.

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graphique-2017-2027-actions-critiques-transition-enseignement-superieur.jpg, par fcausse


1. Voir les chapitres 2, 8, 10 et 11, in France Stratégie (2016), 2017-2027 : Enjeux pour une décennie, La Documentation française, octobre.
2. MENESR-DEPP (2016), « L'état de l'enseignement supérieur et de la recherche en France », enquête Emploi, juin.
3. Sur la base d’un coût d'une année d'études dans le supérieur, hors recherche, soit près de 7 000 euros par étudiant.
4. OCDE (2014), « À quel âge les étudiants obtiennent-ils leur premier diplôme universitaire ? », Les indicateurs de l’éducation á la loupe, n° 23, mai.
5. L’effet démographique est estimé à plus de 335 000 étudiants, auxquels s’ajouteraient 460 000 étudiants si l’objectif de la StraNES d’atteindre un taux de 60 % de diplômés du supérieur dans une génération est réalisé, soit au total près de 800 000 étudiants de plus en 2027. Fauvet L. (2016), « Projections des effectifs
dans l’enseignement supérieur pour les rentrées 2015-2024
», note d’information Enseignement supérieur et recherche, n° 16-01, MENESR-SIES, février.
6. À l’Université, 32 % des bacheliers généraux, 70 % des bacheliers technologiques et jusqu’à 84 % des bacheliers professionnels abandonnent leur cursus initial de licence au bout de un ou deux ans. Certains d’entre eux se réorientent vers des filières non universitaires. Voir Kabla-Langlois I. (2016), « Les jeunes et
l’enseignement supérieur : s’orienter, réussir, s’insérer
», Insee Références.
7. MENESR-DGESIP/DGRI-SIES, champs France entière. Les résultats sont ceux de la cohorte entrée à l’université à la rentrée 2011.
8. Hors apprentissage pour les données de 1995.
9. En 2016, les académies d’Amiens, Dijon, Nancy-Metz, Nantes et Toulouse ont cependant expérimenté un nouveau système de « commission d’orientation post-secondaire », visant à apporter un éclairage aux lycéens dont les choix d’orientation présentent des difficultés.
10. Cet outil pourrait être financé dans le cadre du Programme des investissements d’avenir (PIA 3).
11. Voir Assemblée nationale, Rapport de la mission d’information sur les liens entre le lycée et l’enseignement supérieur, présenté par Emeric Bréhier, député, à la Commission des affaires culturelles et de l’éducation le 8 juillet 2015 (no 2951).

Aucun des documents publiés dans le cadre de ce projet
n’a vocation à refléter la position du gouvernement.

Auteurs

Daniel Agacincki
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Daniel
Agacinski
Anciens auteurs de France Stratégie
Mohamed Harfi
Mohamed
Harfi
Travail, emploi, compétences
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