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Document de travail
Publié le
Lundi 26 Octobre 2015
La transition énergétique et la lutte contre le changement climatique représentent des coûts et des opportunités conséquents à l’échelle de l’économie. Les modèles macroéconomiques permettent de comparer l’effet des différentes politiques mises en œuvre pour déclencher et accompagner cette transition, exercice réalisé ici dans le cas de la France.
La transition énergétique vue par les modèles macroéconomiques

Utilisés non seulement pour mesurer l’effet de la transition énergétique sur la croissance à long terme, ils aident aussi à identifier d’éventuelles politiques conjoncturelles ou structurelles susceptibles de faciliter l’absorption par l’économie des changements significatifs qu’implique cette transition. Pour contribuer à une meilleure compréhension de ces modèles, France Stratégie a lancé un exercice de simulation de chocs sur le secteur énergétique, réalisé avec les modèles macroéconomiques disponibles pour l’économie française. Quatre équipes de modélisation1 ont participé à ces simulations qui visent à interpréter les divergences de résultats des différents modèles comme une façon d’identifier les mécanismes économiques cruciaux qui sont à l’œuvre dans la transition énergétique.

Sont analysés les résultats de ces simulations de chocs sur les variables énergétiques obtenus avec chacun des modèles. Les chocs envisagés successivement sont une hausse du prix des énergies fossiles, puis l’introduction d’une taxe carbone et enfin celle d’une taxe sur l’électricité.

Il ne s’agit pas de simuler des politiques économiques susceptibles d’être mises en place mais plutôt d’observer les impacts sur l’économie française de chocs « simples ».

Deux types de résultats sont présentés ici : les impacts sur l’équilibre macroéconomique (PIB, emploi, salaires, prix) et ceux sur les grandeurs énergétiques (consommation d’énergie, intensité énergétique, émissions de CO2).

Les principaux enseignements se résument ainsi :

  •  Les modèles de type macroéconométrique (Mésange, Némésis, ThreeME) s’accordent sur l’ampleur qu’aura une hausse du prix de l’énergie sur l’activité économique. L’impact négatif d’un renchérissement de l’énergie se fait rapidement sentir et peine à se résorber, même à long terme. Le modèle Imaclim-R induit des dynamiques différentes. Si à moyen terme (dix ans) ses résultats se rapprochent de ceux des autres modèles, les effets sont plus pénalisants à court terme et plus favorables à long terme.
  •  Les effets sur l’emploi, le chômage et les salaires varient d’un modèle à l’autre. La fluidité du marché du travail apparaît ainsi cruciale pour le partage, au sein de la population, des effets d’une hausse du prix de l’énergie et pour l’efficacité du recyclage des montants d’une éventuelle taxe sur l’énergie.
  •  Les réductions des émissions de CO2 générées par les hausses du prix de l’énergie sont remarquablement proches d'un modèle à l'autre. Par exemple, une taxe carbone d’un montant de l’ordre de 1 % du PIB en valeur ex ante se traduit à long terme par une diminution des émissions de CO2 de l’ordre de 15 % par rapport à la trajectoire de référence dans les quatre modèles. Le rythme de baisse des émissions diffère d’un modèle à l’autre mais les quatre modèles s’accordent sur le fait qu’au moins 50 % de cette réduction est obtenue au bout de trois ans.
  •  En revanche, les réponses en termes de consommation d'énergie finale (et d'intensité énergétique) diffèrent énormément d'un modèle à l'autre. Pour certains modèles (ThreeMe, Imaclim-R France), la réduction des émissions de CO2 est liée à celle de l'intensité énergétique qui diminue d’environ 10 % à long terme, pour d'autres (Némésis) la réduction des émissions de CO2 provient essentiellement d'une substitution entre des énergies plus ou moins polluantes (l’intensité énergétique ne diminue que de 3 % à long terme).

Ces résultats contrastés révèlent des hypothèses technologiques différentes d’un modèle à l’autre et déterminantes pour la formulation de recommandations de politiques économiques qui favorisent la transition énergétique.

Compte tenu de l’effet persistant des hausses du prix de l’énergie sur l’économie décrit par les modèles, le recyclage des montants prélevés par une taxe sur l’énergie est déterminant.La littérature empirique2 conclut usuellement que le recyclage devrait favoriser l’offre de biens et services et/ou de travail (allègements de charges, d’impôts, aides à l’investissement en efficacité énergétique ou soutien à la R & D) plutôt que la demande si l’on veut compenser les effets durablement négatifs de la hausse de la taxation sur l’énergie. Cela n’est pas incompatible avec une compensation de la perte de pouvoir d’achat liée au renchérissement de l’énergie que subiraient les ménages les plus modestes et/ou en précarité énergétique.

Ces enseignements sur l’impact des hausses du prix de l’énergie sur l’économie, l’importance à accorder au recyclage des montants levés par la fiscalité sur l’énergie et le rôle clé du fonctionnement du marché du travail sont conformes à ceux obtenus par d’autres modèles pour d’autres régions/économies3. Il est toutefois difficile de comparer l’ampleur des effets obtenus sur des économies dont le mix énergétique est différent de celui de la France. Ce sera l’objet de travaux futurs.

Dernière conclusion de cette comparaison : il y a à l’heure actuelle trop d’incertitudes pour analyser la dimension macroéconomique de la transition énergétique et des politiques d’accompagnement en s’appuyant sur un seul modèle. C’est l’utilisation conjointe de plusieurs modèles qui permet d’encadrer le champ des possibles, notamment en termes de possibilité de substitution énergétique et de représentation du progrès technique. Cette utilisation de plusieurs modèles permet aussi de distinguer les politiques d’accompagnement à mettre en œuvre dans tous les cas, de celles qui dépendent davantage de l’apparition (ou non) de nouvelles technologies et de leur rentabilité.


1 La direction générale du Trésor (modèle Mésange développé avec l’Insee), l’ADEME (modèle ThreeME développé avec l’OFCE), SEURECO (modèle Némésis), le CIRED et EDDEN (modèle Imaclim-R France).
2 Voir les communications et présentations faites lors du Mercator Research Institute on Global Commons and Climate Change’s Public Finance Workshop en mai 2013. http://www.mcc-berlin.net/events/events/article/public-finance-workshop.html
3 Commission mondiale sur l’économie et le climat, New Climate Economy Report (septembre 2014). http://newclimateeconomy.report/)

Auteurs

Pierre Douillard
Pierre
Douillard
Anciens auteurs de France Stratégie
Baptiste Boitier
Gaël Callonnnec
Anne Epaulard
Frédéric Ghersi
Emmanuelle Masson
Sandrine Mathy