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Publié le
Mardi 16 Février 2016
Le bel avenir du Compte personnel d'activité - par Bernard GAZIER, Jean-François LE RUOF, Arnaud LOPEZ, Thierry PECH, Bruno PALIER, Martin RICHER.
Le bel avenir du CPA

Pour tous ceux qui, comme Terra Nova, plaident depuis de nombreuses années, pour une protection sociale attachée aux personnes plutôt qu'à l'emploi, et pour une flexsécurité à la française, le Compte personnel d'activité (CPA) est à la fois un aboutissement et une promesse.

Un aboutissement car il concrétise la recherche de droits sociaux personnalisés, portables d'un emploi à l'autre, d’une entreprise à l’autre, et clairement mis à la disposition des intéressés. Bien sûr, il ne s'agit encore pour le moment que de réunir quelques comptes – le Compte personnel de formation (CPF), le Compte épargne temps (CET), le Compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P)... Bien sûr, de nombreux éléments restent à préciser : les droits sociaux seront-ils formulés en points ? Dans quelles limites pourra-t-on transférer des points d'un registre vers un autre ? Le dispositif sera-t-il centré sur les salariés et les fonctionnaires ou bien englobera-t-il les étudiants, les indépendants, les entrepreneurs, les bénévoles... ? Etc. Toujours est-il que le compte personnel d'activité marque une avancée décisive en direction d'un modèle social assez radicalement différent de ce que nous avons connu depuis une cinquantaine d'années.

Une promesse, ensuite, car cette innovation n'est encore qu'un premier pas qui en appelle beaucoup d'autres si l'on veut accomplir pleinement le programme d'une protection sociale attachée aux personnes plutôt qu'à l'emploi, et capable de sécuriser les transitions professionnelles auxquelles une grande majorité d'actifs seront confrontés à l'avenir.

C'est pourquoi nous nous sommes proposé de réaliser ici un exercice de « politique fiction » : faire le portrait de ce que le CPA pourrait devenir dans le futur, l'outil idéal dont il sera peut-être l'ancêtre d'ici dix ou vingt ans si nous menons des réformes de progrès social ambitieuses et cohérentes avec cet horizon.

Nous sommes donc en 2030...

L'usager au centre de la protection sociale

En 2016, il y a très exactement 14 ans, un think tank progressiste proposait d’étendre et de développer progressivement le Compte personnel d'activité, qui venait à peine d'être porté sur les fonts baptismaux par le gouvernement de Manuel Valls, pour tendre vers un Compte social personnel universel. Il dessinait ainsi ce qui allait devenir le « CSPU ».

Plus personne aujourd'hui ne pourrait se passer de cet instrument qui est entré dans le quotidien de millions d’individus et qui permet à chacun d’obtenir, de connaître et d’exercer l'ensemble de ses droits sociaux à toutes les étapes de sa vie. Beaucoup ont oublié, en revanche, que, pour en arriver là, des problèmes d'une grande complexité ont dû être résolus. Les décisions politiques qui se sont succédées n’ont toutefois pas dévié de ce qui apparaissait comme un impératif fondamental dès le lancement du CPA en 2016 : la simplicité d'utilisation pour l'usager.

Comme toujours à l'époque, des bataillons d'experts étaient prêts à proposer des dispositifs tellement subtils et sophistiqués qu'à la fin, bien peu en dehors de leurs concepteurs, étaient en mesure d’en comprendre les mécanismes et même d'y recourir. Comme l’avaient compris les concepteurs du CPA, il fallait absolument rompre avec la situation qui avait été l'ordinaire des générations précédentes : celle d'une protection sociale non seulement attachée pour l'essentiel aux statuts d'emploi, mais largement illisible aux yeux de ses bénéficiaires, à tel point que de nombreux dispositifs sociaux connaissaient des taux de non recours scandaleusement élevés.

Le CSPU est l’aboutissement de ce long combat commencé avec le CPA il y a 14 ans. Pour les usagers, il se présente comme une page personnelle digitale et sécurisée, sur laquelle apparaissent le profil des droits et les éléments de leur parcours de vie. Chacun de mes droits sociaux est un « pavé » sur lequel je peux cliquer. J'accède alors à une page plus complète, qui elle-même s’ouvre sur un dialogue avec les administrations concernées. S’y affichent les messages, les contacts pris par les administrations et acteurs du social, et les démarches que j'ai moi-même réalisées.

Fini le temps où il fallait aller chercher soi-même les informations dans la jungle d'organismes déconnectés les uns des autres, patienter des heures au téléphone ou faire la queue aux guichets des différentes caisses. La protection sociale a opéré la même « révolution silencieuse » que l’administration fiscale dix ans avant elle. Avant la réforme de 2008, c’était au contribuable de savoir gérer les répartitions de tâches entre les services des impôts et la trésorerie. La réorganisation de 2008 créa un guichet fiscal unique, interlocuteur des usagers, qui lui-même répartit les tâches entre les équipes concernées en masquant la complexité aux yeux des contribuables. Le CSPU a permis de suivre le même chemin pour la protection sociale. Où il y avait dix guichets, il n'y a plus qu'un terminal et il est dans ma poche, consultable à tout moment depuis mon smartphone ou ma tablette. La protection sociale n'a désormais plus qu'un seul visage pour ceux qu'elle protège et accompagne. Chacun peut pousser sa porte à tout moment.

Et des portes, il a fallu en ouvrir beaucoup, voire en forcer certaines, tellement les résistances furent fortes et le pré-carré de chacun âprement défendu. Mais au total, en nous armant de pragmatisme, nous en avons à chaque fois largement franchi le seuil. Si les réformes successives du marché de l’emploi et les tentatives plus ou moins heureuses de simplification du droit du travail se sont heurtées à la difficulté à faire émerger un statut de l’actif, l’édification du CSPU a pu se faire grâce à une démarche agile adaptée aux besoins que les utilisateurs faisaient connaître à l’occasion de consultations en ligne ou par le truchement des forums collaboratifs.

Un contrat social rénové pour des citoyens acteurs des services publics.

Le CSPU est l'aboutissement de la révolution de la protection sociale qui a personnalisé les droits sociaux et placé chaque individu au centre du système. La personne est à présent considérée dans son entièreté, dans toutes les dimensions de sa vie et de ses éventuels problèmes. L'actif, le parent, le patient, le citoyen... ne sont plus appréhendés comme des entités séparées, mais comme les différents visages d'une même personne. De la même façon, les événements de la vie (échec scolaire, maladie, mal-logement, handicap, précarisation…) peuvent être mis en relation et faire apparaître leurs interactions. Cette approche globale de la personne se révèle fort utile tant les accidents de la vie et les vulnérabilités sociales se cumulent.

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